Название: Monsieur Lecoq
Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Eh bien !… père Absinthe, déclara-t-il gravement, vous n’y êtes pas, oh ! mais là, pas du tout. Et la preuve que cet homme a une éducation bien supérieure à sa condition apparente, c’est que vous, un vieux roué, vous n’avez saisi ni son intention, ni sa pensée. C’est cette phrase qui a été pour moi le trait de lumière.
La physionomie du père Absinthe exprimait cette étrange et comique perplexité de l’homme qui, flairant une mystification, se demande s’il doit rire ou se fâcher. Réflexions faites, il se fâcha.
– Tu es un peu jeune, commença-t-il, pour faire poser un vieux comme moi. Je n’aime pas beaucoup les blagueurs….
– Un instant !… interrompit Lecoq, je m’explique. Vous n’êtes pas sans avoir entendu parler d’une terrible bataille qui a été un des plus affreux désastres de la France, la bataille de Waterloo ?….
– Je ne vois pas quel rapport….
– Répondez toujours.
– Alors … oui !
– Bien ! Vous devez, en ce cas, papa, savoir que la victoire pencha d’abord du côté de la France. Les Anglais commençaient à faiblir, et déjà l’Empereur s’écriait : « Nous les tenons ! » quand, tout à coup, sur la droite, un peu en arrière, on découvrit des troupes qui s’avançaient. C’était l’armée Prussienne. La bataille de Waterloo était perdue !
De sa vie, le digne Absinthe n’avait fait d’aussi grands efforts de compréhension. Ils ne furent pas inutiles, car il se dressa à demi, et du ton dont Archimède dut crier : « J’ai trouvé ! » il s’écria :
– J’y suis !… Les paroles de l’homme étaient une allusion.
– C’est vous qui l’avez dit, approuva Lecoq. Mais je n’ai pas fini. Si l’Empereur fut consterné de l’apparition des Prussiens, c’est que, de ce côté, précisément, il attendait un de ses généraux, Grouchy, avec 35, 000 soldats. Donc, si l’allusion de l’homme est exacte et complète, il comptait non sur un ennemi, qui venait de tourner sa position, mais sur des amis… Concluez.
Fortement empoigné, sinon convaincu, le bonhomme écarquillait extraordinairement ses yeux, l’instant d’avant appesantis par le sommeil.
– Cristi !… murmura-t-il, tu nous contes cela d’un ton !… Mais, au fait, je me souviens, tu auras vu quelque chose par le trou du volet.
Le jeune policier remua négativement la tête.
– Sur mon honneur, déclara-t-il, je n’ai rien vu que la lutte entre le meurtrier et ce pauvre diable vêtu en soldat. La phrase seule a éveillé mon attention.
– Prodigieux !… répétait le vieil agent, incroyable, épatant !….
– J’ajouterai que la réflexion a confirmé mes soupçons. Je me suis demandé, par exemple, pourquoi cet homme, au lieu de fuir, nous avait attendus et restait là, sur cette porte, à parlementer….
D’un bond, le père Absinthe fut debout.
– Pourquoi ? interrompit-il. Parce qu’il a des complices et qu’il voulait leur laisser le temps de se sauver. Ah !… je comprends tout.
Un sourire de triomphe errait sur les lèvres de Lecoq.
– Voilà ce que je me suis dit, reprit-il. Et maintenant, il est aisé de vérifier nos soupçons. Il y a de la neige dehors, n’est-ce pas ?…
Il n’en fallut pas davantage. Le vieil agent saisit une lumière, et suivi de son compagnon, il courut à la porte de derrière de la maison qui ouvrait sur un petit jardin.
En cet endroit abrité, le dégel était en retard, et sur le blanc tapis de neige, apparaissaient comme autant de taches noires, de nombreuses traces de pas.
Sans hésiter, Lecoq s’était jeté à genoux pour examiner de près ; il se releva presque aussitôt.
– Ce ne sont pas des pieds d’hommes, dit-il, qui ont laissé ces empreintes !… Il y avait des femmes !…
Chapitre 4
Les entêtés de la trempe du père Absinthe, toujours en garde contre l’opinion d’autrui, sont précisément ceux qui, par la suite, s’en éprennent follement.
Quand une idée a enfin pénétré dans leur cervelle vide, elle s’y installe magistralement, l’emplit et s’y développe jusqu’à la ravager.
Désormais, bien plus que son jeune compagnon, le vétéran de la rue de Jérusalem était persuadé, était certain que l’habile Gévrol s’était trompé, et il riait de la méprise.
En entendant Lecoq affirmer que des femmes avaient assisté à l’horrible scène de la Poivrière, sa joie n’eut plus de bornes.
– Bonne affaire !… s’écria-t-il, excellente affaire !…
Et se souvenant tout à propos d’une maxime usée et banale déjà au temps de Cicéron, il ajouta d’un ton sentencieux :
– Qui tient la femme, tient la cause !…
Lecoq ne daigna pas répondre. Il restait sur le seuil de la porte, le dos appuyé contre l’huisserie, la main sur le front, immobile autant qu’une statue.
La découverte qu’il venait de faire et qui ravissait le père Absinthe, le consternait. C’était l’anéantissement de ses espérances, l’écroulement de l’ingénieux échafaudage bâti par son imagination sur un seul mot.
Plus de mystère, partant plus d’enquête triomphante, plus de célébrité gagnée du soir au lendemain par un coup d’éclat !
La présence de deux femmes dans ce coupe-gorge expliquait tout de la façon la plus naturelle et la plus vulgaire.
Elle expliquait la lutte, le témoignage de la veuve Chupin, la déclaration du faux soldat mourant.
L’attitude du meurtrier devenait toute simple. Il était resté pour couvrir la retraite de deux femmes ; il s’était livré pour ne les pas laisser prendre, acte de chevaleresque galanterie, si bien dans le caractère français, que les plus tristes coquins des barrières en sont coutumiers.
Restait cette allusion si inattendue à la bataille de Waterloo. Mais que prouvait-elle maintenant ? Rien.
Qui ne sait où une passion indigne peut faire descendre un homme bien né !… Le carnaval justifiait tous les travestissements….
Mais pendant que Lecoq tournait et retournait dans son esprit toutes ces probabilités, le père Absinthe s’impatientait.
– Allons-nous rester plantés ici pour reverdir ? dit-il. Nous arrêtons-nous juste au moment où notre enquête donne des résultats si brillants ?…
Des résultats brillants !… Ce mot blessa le jeune policier autant que la plus amère ironie.
– Ah ! laissez-moi tranquille !… СКАЧАТЬ