Название: Monsieur Lecoq
Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Que ce prévenu eût réussi à feindre de l’appétit, qu’il eût surmonté le dégoût d’une boisson nauséabonde, qu’il fût monté sans broncher dans le « panier à salade à compartiments, » il n’y avait rien, là, de positivement extraordinaire de la part d’un homme doué d’une forte volonté, et dont l’imminence du péril et l’espoir du salut devaient décupler l’énergie.
Mais saurait-il se contraindre de même, lorsqu’il serait soumis aux humiliantes formalités de l’écrou de la Permanence, formalités qui, en certains cas, peuvent et doivent être poussées jusqu’aux derniers outrages ?…
Non, Lecoq ne le pouvait supposer.
Sa persuasion était que très certainement l’horreur de la flétrissure, l’exaspération de toutes les délicatesses violentées, les révoltes de la chair et de la pensée, jetteraient le meurtrier hors de soi et lui arracheraient un de ces mots caractéristiques dont s’empare l’instruction.
C’est seulement quand la voiture cellulaire quitta le Pont-Neuf pour prendre le quai de l’Horloge que le jeune policier parut revenir à lui. Bientôt la lourde machine tourna sous un porche et s’arrêta au milieu d’une cour étroite et humide.
Déjà Lecoq était à terre. Il ouvrit la porte du compartiment où était enfermé le meurtrier, en lui disant :
– Nous sommes arrivés, descendez.
Il n’y avait pas de danger qu’il s’échappât. Une grille s’était refermée, et d’ailleurs une douzaine, au moins, de surveillants et d’agents s’étaient approchés, curieux de voir la moisson de coquins de la nuit.
Délivré, le meurtrier était descendu lestement.
Encore une fois, sa physionomie avait changé. Elle n’exprimait plus que la parfaite indifférence d’un homme éprouvé par bien d’autres hasards.
L’anatomiste, étudiant le jeu d’un muscle, n’a pas l’attention passionnée de Lecoq observant l’attitude, le visage, le regard du meurtrier.
Quand son pied toucha le pavé verdâtre de la cour, il parut éprouver une sensation de bien-être ; il aspira l’air à pleins poumons, puis il se détira et se secoua violemment pour rendre l’élasticité à ses membres engourdis par l’exiguïté du compartiment du « panier à salade. »
Cela fait, il regarda autour de lui, et un sourire à peine saisissable monta à ses lèvres.
On eût juré que ce lieu ne lui était pas étranger, qu’il avait vu déjà ces hautes murailles noircies, ces fenêtres grillées, ces portes épaisses, ces verrous, tout cet appareil sinistre de la geôle.
– Mon Dieu !… pensa Lecoq ému, est-ce qu’il se reconnaît !…
L’inquiétude du jeune policier redoubla, quand il vit l’homme, sans une indication, sans un mot, sans un signe, se diriger vers une des cinq ou six portes qui ouvraient sur la cour.
Il allait droit à celle qu’il fallait prendre en effet, tout droit, sans une hésitation. Était-ce un hasard ?
Alors il devenait prodigieux, car le meurtrier ayant pénétré dans un couloir assez obscur, marcha droit devant lui, tourna à gauche, dépassa la salle des gardiens, laissa à droite le « parloir des singes » et entra dans le greffe.
Un vieux repris de justice, un « cheval de retour », comme on dit rue de Jérusalem, n’eût pas fait mieux.
Lecoq sentait comme une sueur froide perler le long de son échine.
– Cet homme, pensait-il, est déjà venu ici ; il sait les êtres !
Le greffe était une salle assez grande, mal éclairée par des fenêtres trop petites à carreaux poussiéreux, chauffée outre mesure par un poêle de fonte.
Là était le greffier, lisant un journal posé sur le registre d’écrou, registre lugubre, où sont inscrits et décrits tous ceux que l’inconduite, la misère, le crime, un coup de tête, une erreur quelquefois, ont amené devant cette porte basse du Dépôt.
Trois ou quatre surveillants, attendant l’heure de leur service, étaient à demi assoupis sur des bancs de bois.
Ces bancs, deux tables, quelques mauvaises chaises constituaient l’ameublement.
Dans un coin, on apercevait la toise sous laquelle doivent passer tous les inculpés. Car on les mesure, pour que le signalement soit complet.
À l’entrée du prévenu et de Lecoq, le greffier leva la tête.
– Ah !… fit-il, la voiture est arrivée ?
– Oui, répondit le jeune policier.
Et tendant un des mandats signés par M. d’Escorval, il ajouta :
– Voici les papiers de ce gaillard-là.
Le greffier prit le mandat, lut et tressauta.
– Oh !… exclama-t-il, un triple assassinat, oh ! oh !…
Positivement il regarda le prévenu avec plus de considération. Ce n’était pas un prisonnier ordinaire, un méchant vagabond, un vulgaire filou.
– Le juge d’instruction ordonne sa mise au secret, reprit-il, et il faut lui donner des vêtements, les siens étant des pièces de conviction… Vite que quelqu’un aille prévenir monsieur le directeur, qu’on fasse attendre les autres voyageurs de la voiture… Je vais, moi, écrouer ce gaillard-là dans les règles.
Le directeur n’était pas loin, il parut. Le greffier avait préparé son registre.
– Votre nom ?… demanda-t-il au prévenu.
– Mai.
– Vos prénoms ?
– Je n’en ai pas.
– Comment, vous n’avez pas de prénoms !
Le meurtrier sembla réfléchir, puis d’un air bourru :
– Au fait, dit-il, autant vous dire de ne pas vous épuiser à m’interroger ; je ne répondrai qu’au juge. Vous voudriez me faire couper, n’est-ce pas ?… La belle malice !… mais je la connais…
– Remarquez, observa le directeur, que vous aggravez votre situation…
– Rien du tout !… Je suis innocent, vous voulez m’enfoncer, je me défends. Tirez-moi maintenant des paroles du ventre, si vous pouvez !… Mais vous feriez mieux de me rendre mon argent qu’on m’a pris au poste. Cent trente-six francs huit sous !… J’en aurai besoin quand je sortirai d’ici. Je veux qu’on les inscrive sur le registre… Où sont-ils ?…
Cet argent avait été remis à Lecoq par le chef du poste ; avec tout ce qui avait été trouvé sur le meurtrier quand on l’avait fouillé une première fois. Il déposa le tout sur une table.
– Voici СКАЧАТЬ