L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ et son camarade réclamèrent, hardiment, celui qu’on venait de mettre en prison. Le factionnaire les menaça, s’ils insistaient, de les y fourrer eux-mêmes. Ils demandèrent le chef du poste, et déclinèrent leur nom avec leur qualité d’élèves en droit, affirmant que le prisonnier était leur condisciple.

      On les fit entrer dans une pièce toute nue, où quatre bancs s’allongeaient contre les murs de plâtre, enfumés. Au fond, un guichet s’ouvrit. Alors parut le robuste visage de Dussardier, qui, dans le désordre de sa chevelure, avec ses petits yeux francs et son nez carré du bout, rappelait confusément la physionomie d’un bon chien.

      «Tu ne nous reconnais pas ?» dit Hussonnet. C’était le nom du jeune homme à moustaches.

      «Mais… , balbutia Dussardier.

      – Ne fais donc plus l’imbécile , reprit l’autre ; on sait que tu es, comme nous, élève en droit.»

      Malgré leurs clignements de paupières, Dussardier ne devinait rien. Il parut se recueillir, puis tout à coup :

      «A-t-on trouvé mon carton ?»

      Frédéric leva les yeux, découragé. Hussonnet répliqua.

      «Ah ! ton carton, où tu mets tes notes de cours ? Oui, oui ! rassure-toi !»

      Ils redoublaient leur pantomime. Dussardier comprit enfin qu’ils venaient pour le servir ; et il se tut, craignant de les compromettre. D’ailleurs, il éprouvait une sorte de honte en se voyant haussé au rang social d’étudiant et le pareil de ces jeunes hommes qui avaient des mains si blanches.

      «Veux-tu faire dire quelque chose à quelqu’un ? demanda Frédéric.

      – Non, merci, à personne.

      – Mais ta famille ?»

      Il baissa la tête sans répondre : le pauvre garçon était bâtard. Les deux amis restaient étonnés de son silence.

      «As-tu de quoi fumer ?» reprit Frédéric.

      Il se palpa, puis retira du fond de sa poche les débris d’une pipe, – une belle pipe en écume de mer, avec un tuyau en bois noir, un couvercle d’argent et un bout d’ambre.

      Depuis trois ans, il travaillait à en faire un chef-d’oeuvre. Il avait eu soin d’en tenir le fourneau constamment serré dans une gaine de chamois, de la fumer le plus lentement possible, sans jamais la poser sur du marbre, et, chaque soir, de la suspendre au chevet de son lit. A présent, il en secouait les morceaux dans sa main dont les ongles saignaient ; et, le menton sur la poitrine, les prunelles fixes, béant, il contemplait ces ruines de sa joie avec un regard d’une ineffable tristesse.

      «Si nous lui donnions des cigares, hein ?» dit tout bas Hussonnet, en faisant le geste d’en atteindre.

      Frédéric avait déjà posé, au bord du guichet, un porte-cigares rempli.

      «Prends donc ! Adieu, bon courage !»

      Dussardier se jeta sur les deux mains qui s’avançaient. Il les serrait frénétiquement, la voix entrecoupée par des sanglots.

      «Comment ?… à moi ! à moi !»

      Les deux amis se dérobèrent à sa reconnaissance, sortirent, et allèrent déjeuner ensemble au café Tabourey, devant le Luxembourg.

      Tout en séparant le beefsteak, Hussonnet apprit à son compagnon qu’il travaillait dans des journaux de modes et fabriquait des réclames pour l’Art industriel.

      «Chez Jacques Arnoux , dit Frédéric.

      – Vous le connaissez ?

      – Oui ! non !… C’est-à-dire je l’ai vu, je l’ai rencontré.»

      Il demanda négligemment à Hussonnet s’il voyait quelquefois sa femme.

      «De temps à autre», reprit le bohème.

      Frédéric n’osa poursuivre ses questions ; cet homme venait de prendre une place démesurée dans sa vie ; il paya la note du déjeuner, sans qu’il y eût de la part de l’autre aucune protestation.

      La sympathie était mutuelle ; ils échangèrent leurs adresses, et Hussonnet l’invita cordialement à l’accompagner jusqu’à la rue de Fleurus.

      Ils étaient au milieu du jardin quand l’employé d’Arnoux, retenant son haleine, contourna son visage dans une grimace abominable et se mit à faire le coq. Alors tous les coqs qu’il y avait aux environs lui répondirent par des cocoricos prolongés.

      «C’est un signal», dit Hussonnet.

      Ils s’arrêtèrent près du théâtre Bobino, devant une maison où l’on pénétrait par une allée. Dans la lucarne d’un grenier, entre des capucines et des pois de senteur, une jeune femme se montra, nu-tête, en corset, et appuyant ses deux bras contre le bord de la gouttière.

      «Bonjour, mon ange, bonjour, bibiche», fit Hussonnet, en lui envoyant des baisers.

      Il ouvrit la barrière d’un coup de pied, et disparut.

      Frédéric l’attendit toute la semaine. Il n’osait aller chez lui, pour n’avoir point l’air impatient de se faire rendre à déjeuner ; mais il le chercha par tout le quartier latin. Il le rencontra un soir, et l’emmena dans sa chambre sur le quai Napoléon.

      La causerie fut longue ; ils s’épanchèrent. Hussonnet ambitionnait la gloire et les profits du théâtre. Il collaborait à des vaudevilles non reçus, «avait des masses de plans», tournait le couplet ; il en chanta quelques-uns. Puis, remarquant dans l’étagère un volume de Hugo et un autre de Lamartine, il se répandit en sarcasmes sur l’école romantique. Ces poètes-là n’avaient ni bon sens ni correction, et n’étaient pas Français, surtout ! Il se vantait de savoir sa langue et épluchait les phrases les plus belles avec cette sévérité hargneuse, ce goût académique qui distinguent les personnes d’humeur folâtre quand elles abordent l’art sérieux.

      Frédéric fut blessé dans ses prédilections ; il avait envie de rompre. Pourquoi ne pas hasarder, tout de suite, le mot d’où son bonheur dépendait ? Il demanda au garçon de lettres s’il pouvait le présenter chez Arnoux.

      La chose était facile, et ils convinrent du jour suivant.

      Hussonnet manqua le rendez-vous ; il en manqua trois autres. Un samedi, vers quatre heures, il apparut. Mais, profitant de la voiture, il s’arrêta d’abord au Théâtre Français pour avoir un coupon de loge ; il se fit descendre chez un tailleur, chez une couturière ; il écrivait des billets chez les concierges. Enfin ils arrivèrent boulevard Montmartre. Frédéric traversa la boutique, monta l’escalier. Arnoux le reconnut dans la glace placée devant son bureau ; et, tout en continuant à écrire, lui tendit la main par-dessus l’épaule.

      Cinq ou six personnes, debout, emplissaient l’appartement étroit, qu’éclairait une seule fenêtre donnant sur la cour ; un canapé en damas de laine brune occupant au fond l’intérieur d’une alcôve, entre deux portières d’étoffe semblable. Sur la cheminée couverte de paperasses, il y avait une Vénus en bronze ; deux candélabres, garnis de bougies roses, la flanquaient parallèlement. A droite, près d’un cartonnier, un homme dans un fauteuil lisait le journal, en gardant son chapeau sur sa tête ; les murailles disparaissaient sous des estampes et des СКАЧАТЬ