L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ bonnes gens qui dorment tranquilles, c’est drôle ! Patience ! un nouveau 89 se prépare ! On est las de constitutions, de chartes, de subtilités, de mensonges ! Ah ! si j’avais un journal ou une tribune, comme je vous secouerais tout cela ! Mais, pour entreprendre n’importe quoi, il faut de l’argent ! Quelle malédiction que d’être le fils d’un cabaretier et de perdre sa jeunesse à la quête de son pain !»

      Il baissa la tête, se mordit les lèvres, et il grelottait sous son vêtement mince.

      Frédéric lui jeta la moitié de son manteau sur les épaules. Ils s’en enveloppèrent tous deux ; et, se tenant par la taille, ils marchaient dessous, côte à côte.

      «Comment veux-tu que je vive là-bas, sans toi ?» disait Frédéric. L’amertume de son ami avait ramené sa tristesse. «J’aurais fait quelque chose avec une femme qui m’eût aimé… Pourquoi ris-tu ? L’amour est la pâture et comme l’atmosphère du génie. Les émotions extraordinaires produisent les oeuvres sublimes. Quant à chercher celle qu’il me faudrait, j’y renonce ! D’ailleurs, si jamais je la trouve, elle me repoussera. Je suis de la race des déshérités, et je m’éteindrai avec un trésor qui était de strass ou de diamant, je n’en sais rien.»

      L’ombre de quelqu’un s’allongea sur les pavés, en même temps qu’ils entendirent ces mots :

      «Serviteur, messieurs !»

      Celui qui les prononçait était un petit homme, habillé d’une ample redingote brune, et coiffé d’une casquette laissant paraître sous la visière un nez pointu .

      «M. Roque ? dit Frédéric.

      – Lui-même !» reprit la voix.

      Le Nogentais justifia sa présence en contant qu’il revenait d’inspecter ses pièges à loup, dans son jardin, au bord de l’eau.

      «Et vous voilà de retour dans nos pays ? Très bien ! j’ai appris cela par ma fillette. La santé est toujours bonne, j’espère ? Vous ne partez pas encore ?»

      Et il s’en alla, rebuté, sans doute, par l’accueil de Frédéric.

      Mme Moreau, en effet, ne le fréquentait pas ; le père Roque vivait en concubinage avec sa bonne, et on le considérait fort peu, bien qu’il fût le croupier d’élections, le régisseur de M. Dambreuse.

      «Le banquier qui demeure rue d’Anjou ?» reprit Deslauriers. «Sais-tu ce que tu devrais faire, mon brave ?»

      Isidore les interrompit encore une fois. Il avait ordre de ramener Frédéric, définitivement. Madame s’inquiétait, de son absence.

      «Bien, bien ! on y va», dit Deslauriers ; «il ne découchera pas.»

      Et, le domestique étant parti :

      «Tu devrais prier ce vieux de t’introduire chez les Dambreuse ; rien n’est utile comme de fréquenter une maison riche ! Puisque tu as un habit noir et des gants blancs, profites-en ! Il faut que tu ailles dans ce monde là ! Tu m’y mèneras plus tard. Un homme à millions, pense donc ! Arrange-toi pour lui plaire, et à sa femme aussi. Deviens son amant !»

      Frédéric se récriait.

      «Mais je te dis là des choses classiques, il me semble ? Rappelle-toi Rastignac dans la Comédie humaine ! Tu réussiras, j’en suis sûr !»

      Frédéric avait tant de confiance en Deslauriers, qu’il se sentit ébranlé, et oubliant Mme Arnoux, ou la comprenant dans la prédiction faite sur l’autre, il ne put s’empêcher de sourire.

      Le clerc ajouta :

      «Dernier conseil : passe tes examens ! Un titre est toujours bon ; et lâche-moi franchement tes poètes catholiques et sataniques, aussi avancés en philosophie qu’on l’était au XIIe siècle. Ton désespoir est bête. De très grands particuliers ont eu des commencements plus difficiles, à commencer par Mirabeau. D’ailleurs, notre séparation ne sera pas si longue. Je ferai rendre gorge à mon filou de père. Il est temps que je m’en retourne, adieu ! – As-tu cent sous pour que je paye mon dîner ?»

      Frédéric lui donna dix francs, le reste de la somme prise le matin à Isidore.

      Cependant à vingt toises des ponts, sur la rive gauche, une lumière brillait dans la lucarne d’une maison basse.

      Deslauriers l’aperçut. Alors, il dit emphatiquement, tout en retirant son chapeau :

      «Vénus, reine des cieux, serviteur ! Mais la Pénurie est la mère de la Sagesse. Nous a-t-on assez calomniés pour ça, miséricorde !»

      Cette allusion à une aventure commune les mit en joie. Ils riaient très haut, dans les rues.

      Puis, ayant soldé sa dépense à l’auberge, Deslauriers reconduisit Frédéric jusqu’au carrefour de l’Hôtel-Dieu ; – et, après une longue étreinte, les deux amis se séparèrent.

      Chapitre 3

      Deux mois plus tard, Frédéric, débarqué un matin rue Coq-Héron, songea immédiatement à faire sa grande visite.

      Le hasard l’avait servi. Le père Roque était venu lui apporter un rouleau de papiers, en le priant de les remettre lui-même chez M. Dambreuse ; et il accompagnait l’envoi d’un billet décacheté, où il présentait son jeune compatriote.

      Mme Moreau parut surprise de cette démarche. Frédéric dissimula le plaisir qu’elle lui causait.

      M. Dambreuse s’appelait de son vrai nom le comte d’Ambreuse ; mais, dès 1825, abandonnant peu à peu sa noblesse et son parti, il s’était tourné vers l’industrie ; et, l’oreille dans tous les bureaux, la main dans toutes les entreprises, à l’affût des bonnes occasions, subtil comme un Grec et laborieux comme un Auvergnat, il avait amassé une fortune que l’on disait considérable ; de plus, il était officier de la Légion d’honneur, membre du conseil général de l’Aube, député, pair de France un de ces jours ; complaisant du reste, il fatiguait le ministre par ses demandes continuelles de secours, de croix, de bureaux de tabac ; et, dans ses bouderies contre le pouvoir, il inclinait au centre gauche. Sa femme, la jolie Mme Dambreuse, que citaient les journaux de modes, présidait les assemblées de charité. En cajolant les duchesses, elle apaisait les rancunes du noble faubourg et laissait croire que M. Dambreuse pouvait encore se repentir et rendre des services.

      Le jeune homme était troublé en allant chez eux.

      «J’aurais mieux fait de prendre mon habit. On m’invitera sans doute au bal pour la semaine prochaine ? Que va-t-on me dire ?»

      L’aplomb lui revint en songeant que M. Dambreuse n’était qu’un bourgeois, et il sauta gaillardement de son cabriolet sur le trottoir de la rue d’Anjou.

      Quand il eut poussé une des deux portes cochères, il traversa la cour, gravit le perron et entra dans un vestibule pavé en marbre de couleur.

      Un double escalier droit, avec un tapis rouge à baguettes de cuivre, s’appuyait contre les hautes murailles en stuc luisant. Il y avait, au bas des marches, un bananier dont les feuilles larges retombaient sur le velours de la rampe. Deux candélabres de bronze tenaient des globes de porcelaine suspendus à des chaînettes ; les soupiraux des calorifères béants exhalaient un air lourd ; et l’on n’entendait que le tic-tac d’une grande horloge, dressée à l’autre bout СКАЧАТЬ