Название: L'homme qui rit
Автор: Victor Hugo
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Revenons à Portland, âpre montagne de la mer.
La presqu’île de Portland, vue en plan géométral, offre l’aspect d’une tête d’oiseau dont le bec est tourné vers l’océan et l’occiput vers Weymouth; l’isthme est le cou.
Portland, au grand dommage de sa sauvagerie, existe aujourd’hui pour l’industrie. Les côtes de Portland ont été découvertes par les carriers et les plâtriers vers le milieu du dix-huitième siècle. Depuis cette époque, avec la roche de Portland, on fait du ciment dit romain, exploitation utile qui enrichit le pays et défigure la baie. Il y a deux cents ans, ces côtes étaient ruinées comme une falaise, aujourd’hui elles sont ruinées comme une carrière; la pioche mord petitement, et le flot grandement; de là une diminution de beauté. Au gaspillage magnifique de l’océan a succédé la coupe réglée de l’homme. Cette coupe réglée a supprimé la crique où était amarrée l’ourque biscayenne. Pour retrouver quelque vestige de ce petit mouillage démoli, il faudrait chercher sur la côte orientale de la presqu’île, vers la pointe, au delà de Folly-Pier et de Dirdle-Pier, au delà même de Wakeham, entre le lieu dit Church-Hop et le lieu dit Southwell.
La crique, murée de tous les côtés par des escarpements plus hauts qu’elle n’était large, était de minute en minute plus envahie par le soir; la brume trouble, propre au crépuscule, s’y épaississait; c’était comme une crue d’obscurité au fond d’un puits; la sortie de la crique sur la mer, couloir étroit, dessinait dans cet intérieur presque nocturne, où le flot remuait, une fissure blanchâtre. Il fallait être tout près pour apercevoir l’ourque amarrée aux rochers et comme cachée dans leur grand manteau d’ombre. Une planche jetée du bord à une saillie basse et plate de la falaise, unique point où l’on pût prendre pied, mettait la barque en communication avec la terre; des formes noires marchaient et se croisaient sur ce pont branlant, et dans ces ténèbres des gens s’embarquaient.
Il faisait moins froid dans la crique qu’en mer, grâce à l’écran de roche dressé au nord de ce bassin; diminution qui n’empêchait pas ces gens de grelotter. Ils se hâtaient.
Les effets de crépuscule découpent les formes à l’emporte-pièce; de certaines dentelures à leurs habits étaient visibles, et montraient que ces gens appartenaient à la classe nommée en Angleterre the ragged, c’est-à-dire les déguenillés.
On distinguait vaguement dans les reliefs de la falaise la torsion d’un sentier. Une fille qui laisse pendre et traîner son lacet sur un dossier de fauteuil dessine, sans s’en douter, à peu près tous les sentiers de falaises et de montagnes. Le sentier de cette crique, plein de noeuds et de coudes, presque à pic, et meilleur pour les chèvres que pour les hommes, aboutissait à la plate-forme où était la planche. Les sentiers de falaise sont habituellement d’une déclivité peu tentante; ils s’offrent moins comme une route que comme une chute; ils croulent plutôt qu’ils ne descendent. Celui-ci, ramification vraisemblable de quelque chemin dans la plaine, était désagréable à regarder, tant il était vertical. On le voyait d’en bas gagner en zigzag les assises hautes de la falaise d’où il débouchait à travers des effondrements sur le plateau supérieur par une entaille au rocher. C’est par ce sentier qu’avaient dû venir les passagers que cette barque attendait dans cette crique.
Autour du mouvement d’embarquement qui se faisait dans la crique, mouvement visiblement effaré et inquiet, tout était solitaire. On n’entendait ni un pas, ni un bruit, ni un souffle. A peine apercevait-on, de l’autre côté de la rade, à l’entrée de la baie de Ringstead, une flottille, évidemment fourvoyée, de bateaux pêcher le requin. Ces bateaux polaires avaient été chassés des eaux danoises dans les eaux anglaises par les bizarreries de la mer. Les bises boréales jouent de ces tours aux pêcheurs. Ceux-ci venaient de se réfugier au mouillage de Portland, signe de mauvais temps présumable et de péril au large. Ils étaient occupés à jeter l’ancre, La maîtresse barque, placée en vedette selon l’ancien usage des flottilles norvégiennes, dessinait en noir tout son gréement sur la blancheur plate de la mer, et l’on voyait à l’avant la fourche de pêche portant toutes les variétés de crocs et de harpons destinés au seymnus glacialis, au squalus acanthias et au squalus spinax niger, et le filet à prendre la grande selache. A ces quelques embarcations près, toutes balayées dans le même coin, l’oeil, en ce vaste horizon de Portland, ne rencontrait rien de vivant. Pas une maison, pas un navire. La côte, à cette époque, n’était pas habitée, et la rade, en cette saison, n’était pas habitable.
Quel que fût l’aspect du temps, les êtres qu’allait emmener l’ourque biscayenne n’en pressaient pas moins le départ. Ils faisaient au bord de la mer une sorte de groupe affairé et confus, aux allures rapides. Les distinguer l’un de l’autre était difficile. Impossible de voir s’ils étaient vieux ou jeunes. Le soir indistinct les mêlait et les estompait. L’ombre, ce masque, était sur leur visage. C’étaient des silhouettes dans de la nuit. Ils étaient huit, il y avait probablement parmi eux une ou deux femmes, malaisées reconnaître sous les déchirures et les loques dont tout le groupe était affublé, accoutrements qui n’étaient plus ni des vêtements de femmes, ni des vêtements d’hommes. Les haillons n’ont pas de sexe.
Une ombre plus petite, allant et venant parmi les grandes, indiquait un nain ou un enfant.
C’était un enfant.
II. ISOLEMENT
En observant de près, voici ce qu’on eût pu noter.
Tous portaient de longues capes, percées et rapiécées, mais drapées, et au besoin les cachant jusqu’aux yeux, bonnes contre la bise et la curiosité. Sous ces capes, ils se mouvaient agilement. La plupart étaient coiffés d’un mouchoir roulé autour de la tête, sorte de rudiment par lequel le turban commence en Espagne. Cette coiffure n’avait rien d’insolite en Angleterre. Le midi à cette époque était à la mode dans le nord. Peut-être cela tenait-il à ce que le nord battait le midi. Il en triomphait, et l’admirait. Après la défaite de l’armada, le castillan fut chez Élisabeth un élégant baragouin de cour. Parler anglais chez la reine d’Angleterre était presque «shocking». Subir un peu les moeurs de ceux à qui l’on fait la loi, c’est l’habitude du vainqueur barbare vis-à-vis le vaincu raffiné; le tartare contemple et imite le chinois. C’est pourquoi les modes castillanes pénétraient en Angleterre; en revanche, les intérêts anglais s’infiltraient en Espagne.
Un des hommes du groupe qui s’embarquait avait un air de chef. Il était chaussé d’alpargates, et attifé de guenilles passementées et dorées, et d’un gilet de paillon, luisant, sous sa cape, comme un ventre de poisson. Un autre rabattait sur son visage un vaste feutre taillé en sombrero. Ce feutre n’avait pas de trou pour la СКАЧАТЬ