Au Bonheur des Dames. Emile Zola
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Название: Au Bonheur des Dames

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Il continua son inspection, désespéré. Depuis le matin, il évitait Bourdoncle, dont les réflexions inquiètes l’irritaient. En sortant de la lingerie, où la vente marchait plus mal encore, il tomba sur lui, il dut subir l’expression de ses craintes. Alors, il l’envoya carrément au diable, avec une brutalité qu’il ne ménageait pas même à ses hauts employés, dans les heures mauvaises.

      – Fichez-moi donc la paix! Tout va bien… Je finirai par flanquer les trembleurs à la porte.

      Mouret se planta, seul et debout, au bord de la rampe du hall. De là, il dominait le magasin, ayant autour de lui les rayons de l’entresol, plongeant sur les rayons du rez-de-chaussée. En haut, le vide lui parut navrant: aux dentelles, une vieille dame faisait fouiller tous les cartons, sans rien acheter; tandis que trois vauriennes, à la lingerie, choisissaient longuement des cols à dix-huit sous. En bas, sous les galeries couvertes, dans les coups de lumière qui venaient de la rue, il remarqua que les clientes commençaient à être plus nombreuses. C’était un lent défilé, une promenade devant les comptoirs, espacée, pleine de trous; à la mercerie, à la bonneterie, des femmes en camisole se pressaient; seulement, il n’y avait presque personne au blanc ni aux lainages. Les garçons de magasin, avec leur habit vert dont les larges boutons de cuivre luisaient, attendaient le monde, les mains ballantes. Par moments, passait un inspecteur, l’air cérémonieux, raidi dans sa cravate blanche. Et le cœur de Mouret était surtout serré par la paix morte du hall: le jour y tombait de haut, d’un vitrage aux verres dépolis, qui tamisait la clarté en une poussière blanche, diffuse et comme suspendue, sous laquelle le rayon des soieries semblait dormir, au milieu d’un silence frissonnant de chapelle. Le pas d’un commis, des paroles chuchotées, un frôlement de jupe qui traversait, y mettaient seuls des bruits légers, étouffés dans la chaleur du calorifère. Pourtant, des voitures arrivaient: on entendait l’arrêt brusque des chevaux; puis, des portières se refermaient violemment. Au-dehors, montait un lointain brouhaha, des curieux qui se bousculaient en face des vitrines, des fiacres qui stationnaient sur la place Gaillon, toute l’approche d’une foule. Mais, en voyant les caissiers inactifs se renverser derrière leur guichet, en constatant que les tables aux paquets restaient nues, avec leurs boîtes à ficelle et leurs mains de papier bleu, Mouret, indigné d’avoir peur, croyait sentir sa grande machine s’immobiliser et se refroidir sous lui.

      – Dites donc, Favier, murmura Hutin, regardez le patron, là-haut… Il n’a pas l’air à la noce.

      – En voilà une sale baraque! répondit Favier. Quand on pense que je n’ai pas encore vendu!

      Tous deux, guettant les clientes, se soufflaient ainsi de courtes phrases, sans se regarder. Les autres vendeurs du rayon étaient en train d’empiler des pièces de Paris-Bonheur, sous les ordres de Robineau; tandis que Bouthemont, en grande conférence avec une jeune femme maigre, paraissait prendre à demi-voix une commande importante. Autour d’eux, sur des étagères d’une élégance frêle, les soies, pliées dans de longues chemises de papier crème, s’entassaient comme des brochures de format inusité. Et, encombrant les comptoirs, des soies de fantaisie, des moires, des satins, des velours, semblaient des plates-bandes de fleurs fauchées, toute une moisson de tissus délicats et précieux. C’était le rayon élégant, un salon véritable, où les marchandises, si légères, n’étaient plus qu’un ameublement de luxe.

      – Il me faut cent francs pour dimanche, reprit Hutin. Si je ne me fais pas mes douze francs par jour en moyenne, je suis flambé… J’avais compté sur leur mise en vente.

      – Bigre! cent francs, c’est raide, dit Favier. Moi, je n’en demande que cinquante ou soixante… Vous vous payez donc des femmes chic?

      – Mais non, mon cher. Imaginez-vous, une bêtise: j’ai parié et j’ai perdu… Alors, je dois régaler cinq personnes, deux hommes et trois femmes… Sacré mâtin! la première qui passe, je la tombe de vingt mètres de Paris-Bonheur!

      Un moment encore, ils causèrent, ils se dirent ce qu’ils avaient fait la veille et ce qu’ils comptaient faire dans huit jours. Favier pariait aux courses, Hutin canotait et entretenait des chanteuses de café-concert. Mais un même besoin d’argent les fouettait, ils ne songeaient qu’à l’argent, ils se battaient pour l’argent du lundi au samedi, puis ils mangeaient tout le dimanche. Au magasin, c’était là leur préoccupation tyrannique, une lutte sans trêve ni pitié. Et ce malin de Bouthemont qui venait de prendre pour lui l’envoyée de Mme Sauveur, cette femme maigre avec laquelle il causait! une belle affaire, deux ou trois douzaines de pièces, car la grande couturière avait les bouchées grosses. À l’instant, Robineau s’était bien avisé, lui aussi, de souffler une cliente à Favier!

      – Oh! celui-là, il faut lui régler son compte, reprit Hutin qui profitait des plus minces faits pour ameuter le comptoir contre l’homme dont il voulait la place. Est-ce que les premiers et les seconds devraient vendre!… Parole d’honneur! mon cher, si jamais je deviens second, vous verrez comme j’agirai gentiment avec vous autres.

      Et toute sa petite personne normande, aimable et grasse, jouait la bonhomie, énergiquement. Favier ne put s’empêcher de lui jeter un regard oblique; mais il garda son flegme d’homme bilieux, il se contenta de répondre:

      – Oui, je sais… Moi, je ne demande pas mieux.

      Puis, voyant une dame s’approcher, il ajouta plus bas:

      – Attention! voilà pour vous.

      C’était une dame couperosée, avec un chapeau jaune et une robe rouge. Tout de suite Hutin devina la femme qui n’achèterait pas. Il se baissa vivement derrière le comptoir, en feignant de rattacher les cordons d’un de ses souliers; et, caché, il murmurait:

      – Ah! non, par exemple! qu’un autre se la paie… Merci! pour perdre mon tour!

      Cependant, Robineau l’appelait:

      – À qui la ligne, messieurs? À M. Hutin?… Où est M. Hutin?

      Et, comme celui-ci ne répondait décidément pas, ce fut le vendeur inscrit à la suite qui reçut la dame couperosée. En effet, elle voulait simplement des échantillons, avec les prix; et elle retint le vendeur plus de dix minutes, elle l’accabla de questions. Seulement, le second avait vu Hutin se relever, derrière le comptoir. Aussi, lorsqu’une nouvelle cliente se présenta, intervint-il d’un air sévère, en arrêtant le jeune homme qui se précipitait.

      – Votre tour est passé… Je vous ai appelé, et comme vous étiez là derrière…

      – Mais, monsieur, je n’ai pas entendu.

      – Assez!… Inscrivez-vous à la queue… Allons, monsieur Favier, c’est à vous.

      D’un regard, Favier, très amusé au fond de l’aventure, s’excusa auprès de son ami. Hutin, les lèvres pâles, avait détourné la tête. Ce qui l’enrageait, c’était qu’il connaissait bien la cliente, une adorable blonde qui venait souvent au rayon et que les vendeurs appelaient entre eux: «la jolie dame», ne sachant rien d’elle, pas même son nom. Elle achetait beaucoup, faisait porter dans sa voiture, puis disparaissait. Grande, élégante, mise avec un charme exquis, elle paraissait fort riche et du meilleur monde.

      – Eh bien! et votre cocotte? demanda Hutin à Favier, lorsque celui-ci revint de la caisse, où il avait accompagné la dame.

      – Oh! une cocotte, répondit celui-ci. Non, elle a l’air trop comme il faut. Ça doit être la femme d’un boursier ou d’un médecin, enfin je ne sais pas, quelque chose dans ce genre.

      – Laissez СКАЧАТЬ