Au Bonheur des Dames. Emile Zola
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Название: Au Bonheur des Dames

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ soie, depuis que les réclames étaient lancées, occupait dans leur vie quotidienne une place considérable. Elles en causaient, elles se la promettaient, travaillées de désir et de doute. Et, sous la curiosité bavarde dont elles accablaient le jeune homme, apparaissaient leurs tempéraments particuliers d’acheteuses: Mme Marty, emportée par sa rage de dépense, prenant tout au Bonheur des Dames, sans choix, au hasard des étalages; Mme Guibal, s’y promenant des heures sans jamais faire une emplette, heureuse et satisfaite de donner un simple régal à ses yeux; Mme de Boves, serrée d’argent, toujours torturée d’une envie trop grosse, gardant rancune aux marchandises, qu’elle ne pouvait emporter; Mme Bourdelais, d’un flair de bourgeoise sage et pratique, allant droit aux occasions, usant des grands magasins avec une telle adresse de bonne ménagère, exempte de fièvre, qu’elle y réalisait de fortes économies; Henriette enfin, qui, très élégante, y achetait seulement certains articles, ses gants, de la bonneterie, tout le gros linge.

      – Nous avons d’autres étoffes étonnantes de bon marché et de richesse, continuait Mouret de sa voix chantante. Ainsi, je vous recommande notre Cuir-d’Or, un taffetas d’un brillant incomparable… Dans les soies de fantaisie, il y a des dispositions charmantes, des dessins choisis entre mille par notre acheteur; et, comme velours, vous trouverez la plus riche collection de nuances… Je vous avertis qu’on portera beaucoup de drap cette année. Vous verrez nos matelassés, nos cheviottes…

      Elles ne l’interrompaient plus, elles resserraient encore leur cercle, la bouche entrouverte par un vague sourire, le visage rapproché et tendu, comme dans un élancement de tout leur être vers le tentateur. Leurs yeux pâlissaient, un léger frisson courait sur leurs nuques. Et lui gardait son calme de conquérant, au milieu des odeurs troublantes qui montaient de leurs chevelures. Il continuait à boire, entre chaque phrase, une petite gorgée de thé, dont le parfum attiédissait ces odeurs plus âpres, où il y avait une pointe de fauve. Devant une séduction si maîtresse d’elle-même, assez forte pour jouer ainsi de la femme, sans se prendre aux ivresses qu’elle exhale, le baron Hartmann, qui ne le quittait pas du regard, sentait son admiration grandir.

      – Alors, on portera du drap? reprit Mme Marty, dont le visage ravagé s’embellissait de passion coquette. Il faudra que je voie.

      Mme Bourdelais, qui gardait son œil clair, dit à son tour:

      – N’est-ce pas? la vente des coupons est le jeudi, chez vous… J’attendrai, j’ai tout mon petit monde à vêtir.

      Et, tournant sa fine tête blonde vers la maîtresse de la maison:

      – Toi, c’est toujours Sauveur qui t’habille?

      – Mon Dieu! oui, répondit Henriette, Sauveur est très chère, mais il n’y a qu’elle à Paris qui sache faire un corsage… Et puis, M. Mouret a beau dire, elle a les plus jolis dessins, des dessins qu’on ne voit nulle part. Moi, je ne peux pas souffrir de retrouver ma robe sur les épaules de toutes les femmes.

      Mouret eut d’abord un sourire discret. Ensuite, il laissa entendre que Mme Sauveur achetait chez lui ses étoffes; sans doute, elle prenait directement chez les fabricants certains dessins, dont elle s’assurait la propriété; mais, pour les soieries noires, par exemple, elle guettait les occasions du Bonheur des Dames, faisait des provisions considérables, qu’elle écoulait en doublant et en triplant les prix.

      – Ainsi, je suis bien certain que des gens à elle vont nous enlever notre Paris-Bonheur. Pourquoi voulez-vous qu’elle aille payer cette soie en fabrique plus cher qu’elle ne la paiera chez nous?… Ma parole d’honneur! nous la donnons à perte.

      Ce fut le dernier coup porté à ces dames. Cette idée d’avoir de la marchandise à perte fouettait en elles l’âpreté de la femme, dont la jouissance d’acheteuse est doublée, quand elle croit voler le marchand. Il les savait incapables de résister au bon marché.

      – Mais nous vendons tout pour rien! cria-t-il gaiement, en prenant derrière lui l’éventail de Mme Desforges, resté sur le guéridon. Tenez! voici cet éventail… Vous dites qu’il a coûté?

      – Le chantilly vingt-cinq francs, et la monture deux cents, dit Henriette.

      – Eh bien! le chantilly n’est pas cher. Pourtant, nous avons le même à dix-huit francs… Quant à la monture, chère madame, c’est un vol abominable. Je n’oserais vendre la pareille plus de quatre-vingt-dix francs.

      – Je le disais bien! cria Mme Bourdelais.

      – Quatre-vingt-dix francs! murmura Mme de Boves, il faut vraiment ne pas avoir un sou pour s’en passer.

      Elle avait repris l’éventail, l’examinait de nouveau avec sa fille Blanche; et, sur sa grande face régulière, dans ses larges yeux dormants, montait l’envie contenue et désespérée du caprice qu’elle ne pourrait contenter. Puis, une seconde fois, l’éventail fit le tour de ces dames, au milieu des remarques et des exclamations. M. de Boves et Vallagnosc, cependant, avaient quitté la fenêtre. Tandis que le premier revenait se placer derrière Mme Guibal, dont il fouillait du regard le corsage, de son air correct et supérieur, le jeune homme se penchait vers Blanche, en tâchant de trouver un mot aimable.

      – C’est un peu triste, n’est-ce pas? mademoiselle, cette monture blanche avec cette dentelle noire.

      – Oh! moi, répondit-elle toute grave, sans qu’une rougeur colorât sa figure soufflée, j’en ai vu un en nacre et plumes blanches. Quelque chose de virginal!

      M. de Boves, qui avait surpris sans doute le regard navré dont sa femme suivait l’éventail, dit enfin son mot dans la conversation.

      – Ça se casse tout de suite, ces petites machines.

      – Ne m’en parlez pas! déclara Mme Guibal avec sa moue de belle rousse, jouant l’indifférence. Je suis lasse de faire recoller les miens.

      Depuis un instant, Mme Marty, très excitée par la conversation, retournait fiévreusement son sac de cuir rouge sur ses genoux. Elle n’avait pu encore montrer ses achats, elle brûlait de les étaler, dans une sorte de besoin sensuel. Et, brusquement, elle oublia son mari, elle ouvrit le sac, sortit quelques mètres d’une étroite dentelle roulée autour d’un carton.

      – C’est cette valenciennes pour ma fille, dit-elle. Elle a trois centimètres, et délicieuse, n’est-ce pas?… Un franc quatre-vingt-dix.

      La dentelle passa de main en main. Ces dames se récriaient. Mouret affirma qu’il vendait ces petites garnitures au prix de fabrique. Pourtant, Mme Marty avait refermé le sac, comme pour y cacher des choses qu’on ne montre pas. Mais, devant le succès de la valenciennes, elle ne put résister à l’envie d’en tirer encore un mouchoir.

      – Il y avait aussi ce mouchoir… De l’application de Bruxelles, ma chère… Oh! une trouvaille! Vingt francs!

      Et, dès lors, le sac devint inépuisable. Elle rougissait de plaisir, une pudeur de femme qui se déshabille la rendait charmante et embarrassée, à chaque article nouveau qu’elle sortait. C’était une cravate en blonde espagnole de trente francs: elle n’en voulait pas, mais le commis lui avait juré qu’elle tenait la dernière et qu’on allait les augmenter. C’était ensuite une voilette en chantilly: un peu chère, cinquante francs; si elle ne la portait pas, elle en ferait quelque chose pour sa fille.

      – Mon Dieu! les dentelles, c’est si joli! répétait-elle СКАЧАТЬ