Au Bonheur des Dames. Emile Zola
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Название: Au Bonheur des Dames

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ francs. Ça me fait près de trois francs.

      Hutin pinça les lèvres, et il soulagea sa rancune sur les cahiers de notes de débit: encore une drôle d’invention qui leur encombrait les poches! Il y avait entre eux une lutte sourde. Favier, d’habitude, affectait de s’effacer, de reconnaître la supériorité de Hutin, quitte à le manger par-derrière. Aussi ce dernier souffrait-il des trois francs emportés d’une façon si aisée, par un vendeur qu’il ne reconnaissait pas de sa force. Une belle journée, vraiment! Si ça continuait, il ne gagnerait pas de quoi payer de l’eau de seltz à ses invités. Et, dans la bataille qui s’échauffait, il se promenait devant les comptoirs, les dents longues, voulant sa part, jalousant jusqu’à son chef, en train de reconduire la jeune femme maigre, à laquelle il répétait:

      – Eh bien! c’est entendu. Dites-lui que je ferai mon possible pour obtenir cette faveur de M. Mouret.

      Depuis longtemps, Mouret n’était plus à l’entresol, debout près de la rampe du hall. Brusquement, il reparut en haut du grand escalier qui descendait au rez-de-chaussée; et, de là, il domina encore la maison entière. Son visage se colorait, la foi renaissait et le grandissait, devant le flot de monde qui, peu à peu, emplissait le magasin. C’était enfin la poussée attendue, l’écrasement de l’après-midi, dont il avait un instant désespéré, dans sa fièvre; tous les commis se trouvaient à leur poste, un dernier coup de cloche venait de sonner la fin de la troisième table; la désastreuse matinée, due sans doute à une averse tombée vers neuf heures, pouvait encore être réparée, car le ciel bleu du matin avait repris sa gaieté de victoire. Maintenant, les rayons de l’entresol s’animaient, il dut se ranger pour laisser passer les dames qui, par petits groupes, montaient à la lingerie et aux confections; tandis que, derrière lui, aux dentelles et aux châles, il entendait voler de gros chiffres. Mais la vue des galeries, au rez-de-chaussée, le rassurait surtout: on s’écrasait devant la mercerie, le blanc et les lainages eux-mêmes étaient envahis, le défilé des acheteuses se serrait, presque toutes en chapeau à présent, avec quelques bonnets de ménagères attardées. Dans le hall des soieries, sous la blonde lumière, des dames s’étaient dégantées, pour palper doucement des pièces de Paris-Bonheur, en causant à demi-voix. Et il ne se trompait plus aux bruits qui lui arrivaient du dehors, roulements de fiacres, claquement de portières, brouhaha grandissant de foule. Il sentait, à ses pieds, la machine se mettre en branle, s’échauffer et revivre, depuis les caisses où l’or sonnait, depuis les tables où les garçons de magasin se hâtaient d’empaqueter les marchandises, jusqu’aux profondeurs du sous-sol, au service du départ, qui s’emplissait de paquets descendus, et dont le grondement souterrain faisait vibrer la maison. Au milieu de la cohue, l’inspecteur Jouve se promenait gravement, guettant les voleuses.

      – Tiens! c’est toi! dit Mouret tout à coup, en reconnaissant Paul de Vallagnosc, que lui amenait un garçon. Non, non, tu ne me déranges pas… Et, d’ailleurs, tu n’as qu’à me suivre, si tu veux tout voir, car aujourd’hui je reste sur la brèche.

      Il gardait des inquiétudes. Sans doute le monde venait, mais la vente serait-elle le triomphe espéré? Pourtant, il riait avec Paul, il l’emmena gaiement.

      – Ça paraît vouloir s’allumer un peu, dit Hutin à Favier. Seulement, je n’ai pas de chance, il y a des jours de guignon, ma parole!… Je viens encore de faire un Rouen, cette tuile ne m’a rien acheté.

      Et il désignait du menton une dame qui s’en allait, en jetant des regards dégoûtés sur toutes les étoffes. Ce ne serait pas avec ses mille francs d’appointements qu’il s’engraisserait, s’il ne vendait rien; d’habitude, il se faisait sept ou huit francs de tant pour cent et de guelte, ce qui lui donnait, avec son fixe, une dizaine de francs par jour, en moyenne. Favier n’arrivait guère qu’à huit; et voilà que ce sabot lui enlevait les morceaux de la bouche, car il sortait de débiter une nouvelle robe. Un garçon froid qui n’avait jamais su égayer une cliente! C’était exaspérant.

      – Les bonnetons et les bobinards ont l’air de battre monnaie, murmura Favier en parlant des vendeurs de la bonneterie et de la mercerie.

      Mais Hutin, qui fouillait le magasin du regard, dit brusquement:

      – Connaissez-vous Mme Desforges, la bonne amie du patron?… Tenez! cette brune à la ganterie, celle à qui Mignot essaye des gants.

      Il se tut, puis il reprit tout bas, comme parlant à Mignot, qu’il ne quittait plus des yeux:

      – Va, va, mon bonhomme, frotte-lui bien les doigts, pour ce que ça t’avance! On les connaît, tes conquêtes!

      Il y avait, entre lui et le gantier, une rivalité de jolis hommes, qui tous deux affectaient de coqueter avec les clientes. D’ailleurs, ils n’auraient pu, ni l’un ni l’autre, se vanter d’aucune bonne fortune réelle; Mignot vivait sur la légende d’une femme de commissaire de police tombée amoureuse de lui, tandis que Hutin avait véritablement conquis à son rayon une passementière, lasse de traîner dans les hôtels louches du quartier; mais ils mentaient, ils laissaient volontiers croire à des aventures mystérieuses, à des rendez-vous donnés par des comtesses, entre deux achats.

      – Vous devriez la faire, dit Favier de son air de pince-sans-rire.

      – C’est une idée! s’écria Hutin. Si elle vient ici, je l’entortille, il me faut cent sous!

      À la ganterie, toute une rangée de dames étaient assises devant l’étroit comptoir, tendu de velours vert, à coins de métal nickelé; et les commis souriants amoncelaient devant elles les boîtes plates, d’un rose vif, qu’ils sortaient du comptoir même, pareilles aux tiroirs étiquetés d’un cartonnier. Mignot surtout penchait sa jolie figure poupine, donnait de tendres inflexions à sa voix grasseyante de Parisien. Déjà il avait vendu à Mme Desforges douze paires de gants de chevreau, des gants Bonheur, la spécialité de la maison. Elle avait ensuite demandé trois paires de gants de Suède. Et, maintenant, elle essayait des gants de Saxe, par crainte que la pointure ne fût pas exacte.

      – Oh! à la perfection, madame! répétait Mignot. Le six trois quarts serait trop grand pour une main comme la vôtre.

      À demi couché sur le comptoir, il lui tenait la main, prenait les doigts un à un, faisant glisser le gant d’une caresse longue, reprise et appuyée; et il la regardait, comme s’il eût attendu, sur son visage, la défaillance d’une joie voluptueuse. Mais elle, le coude au bord du velours, le poignet levé, lui livrait ses doigts de l’air tranquille dont elle donnait son pied à sa femme de chambre, pour que celle-ci boutonnât ses bottines. Il n’était pas un homme, elle l’employait aux usages intimes avec son dédain familier des gens à son service, sans le regarder même.

      – Je ne vous fais pas de mal, madame?

      Elle répondit non, d’un signe de tête. L’odeur des gants de Saxe, cette odeur de fauve comme sucrée du musc, la troublait d’habitude; et elle en riait parfois, elle confessait son goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille. Mais, devant ce comptoir banal, elle ne sentait pas les gants, ils ne mettaient aucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconque faisant son métier.

      – Et avec ça, madame?

      – Rien, merci… Veuillez porter ça à la caisse 10, pour Mme Desforges, n’est-ce pas?

      En habituée de la maison, elle donnait son nom à une caisse et y envoyait chacune de ses emplettes, sans se faire suivre par un commis. Quand elle se fut éloignée, Mignot cligna les yeux, en se tournant vers son voisin, auquel il aurait bien voulu laisser croire que des choses extraordinaires venaient de se passer.

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