Au Bonheur des Dames. Emile Zola
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Название: Au Bonheur des Dames

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ ce cri, le baron Hartmann parut ébranlé. Son sourire perdait sa pointe ironique, il regardait le jeune homme, gagné peu à peu par sa foi, pris pour lui d’un commencement de tendresse.

      – Chut! murmura-t-il paternellement, elles vont vous entendre.

      Mais ces dames parlaient maintenant toutes à la fois, tellement excitées, qu’elles ne s’écoutaient même plus entre elles. Mme de Boves achevait la description de la toilette de soirée: une tunique de soie mauve, drapée et retenue par des nœuds de dentelle; le corsage décolleté très bas, et encore des nœuds de dentelle aux épaules.

      – Vous verrez, disait-elle, je me fais faire un corsage pareil avec un satin…

      – Moi, interrompait Mme Bourdelais, j’ai voulu du velours, oh! une occasion!

      Mme Marty demandait:

      – Hein? combien la soie?

      Puis, toutes les voix repartirent ensemble. Mme Guibal, Henriette, Blanche, mesuraient, coupaient, gâchaient. C’était un saccage d’étoffes, la mise au pillage des magasins, un appétit de luxe qui se répandait en toilettes jalousées et rêvées, un bonheur tel à être dans le chiffon, qu’elles y vivaient enfoncées, ainsi que dans l’air tiède nécessaire à leur existence.

      Mouret, cependant, avait jeté un coup d’œil vers le salon. Et, en quelques phrases dites à l’oreille du baron Hartmann, comme s’il lui eût fait de ces confidences amoureuses qui se risquent parfois entre hommes, il acheva d’expliquer le mécanisme du grand commerce moderne. Alors, plus haut que les faits déjà donnés, au sommet, apparut l’exploitation de la femme. Tout y aboutissait, le capital sans cesse renouvelé, le système de l’entassement des marchandises, le bon marché qui attire, la marque en chiffres connus qui tranquillise. C’était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu’ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l’avoir étourdie devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient au coup de folie de la mode, toujours plus chère. Et si, chez eux, la femme était reine, adulée et flattée dans ses faiblesses, entourée de prévenances, elle y régnait en reine amoureuse, dont les sujets trafiquent, et qui paye d’une goutte de son sang chacun de ses caprices. Sous la grâce même de sa galanterie, Mouret laissait ainsi passer la brutalité d’un juif vendant de la femme à la livre: il lui élevait un temple, la faisait encenser par une légion de commis, créait le rite d’un culte nouveau; il ne pensait qu’à elle, cherchait sans relâche à imaginer des séductions plus grandes; et, derrière elle, quand il lui avait vidé la poche et détraqué les nerfs, il était plein du secret mépris de l’homme auquel une maîtresse vient de faire la bêtise de se donner.

      – Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d’un rire hardi, vous vendrez le monde!

      Maintenant, le baron comprenait. Quelques phrases avaient suffi, il devinait le reste, et une exploitation si galante l’échauffait, remuait en lui son passé de viveur. Il clignait les yeux d’un air d’intelligence, il finissait par admirer l’inventeur de cette mécanique à manger les femmes. C’était très fort. Il eut le mot de Bourdoncle, un mot que lui souffla sa vieille expérience.

      – Vous savez qu’elles se rattraperont.

      Mais Mouret haussa les épaules, dans un mouvement d’écrasant dédain. Toutes lui appartenaient, étaient sa chose, et il n’était à aucune. Quand il aurait tiré d’elles sa fortune et son plaisir, il les jetterait en tas à la borne, pour ceux qui pourraient encore y trouver leur vie. C’était un dédain raisonné de méridional et de spéculateur.

      – Eh bien! cher monsieur, demanda-t-il pour conclure, voulez-vous être avec moi? L’affaire des terrains vous semble-t-elle possible?

      Le baron, à demi conquis, hésitait pourtant à s’engager de la sorte. Un doute restait au fond du charme qui opérait peu à peu sur lui. Il allait répondre d’une façon évasive, lorsqu’un appel pressant de ces dames lui évita cette peine. Des voix répétaient, au milieu de légers rires:

      – Monsieur Mouret! monsieur Mouret!

      Et comme celui-ci, contrarié d’être interrompu, feignait de ne pas entendre, Mme de Boves, debout depuis un moment, vint jusqu’à la porte du petit salon.

      – On vous réclame, monsieur Mouret… Ce n’est guère galant, de vous enterrer dans les coins pour causer d’affaires.

      Alors, il se décida, et avec une bonne grâce apparente, un air de ravissement, dont le baron fut émerveillé. Tous deux se levèrent, passèrent dans le grand salon.

      – Mais je suis à votre disposition, mesdames, dit-il en entrant, le sourire aux lèvres.

      Un brouhaha de triomphe l’accueillit. Il dut s’avancer davantage, ces dames lui firent place au milieu d’elles. Le soleil venait de se coucher derrière les arbres du jardin, le jour tombait, une ombre fine noyait peu à peu la vaste pièce. C’était l’heure attendrie du crépuscule, cette minute de discrète volupté, dans les appartements parisiens, entre la clarté de la rue qui se meurt et les lampes qu’on allume encore à l’office. M. de Boves et Vallagnosc, toujours debout devant une fenêtre, jetaient sur le tapis une nappe d’ombre; tandis que, immobile dans le dernier coup de lumière qui venait de l’autre fenêtre, M. Marty, entré discrètement depuis quelques minutes, mettait son profil pauvre, une redingote étriquée et propre, un visage blêmi par le professorat, et que la conversation de ces dames sur la toilette achevait de bouleverser.

      – Est-ce toujours pour lundi prochain, cette mise en vente? demandait justement Mme Marty.

      – Mais sans doute, madame, répondit Mouret d’une voix de flûte, une voix d’acteur qu’il prenait, quand il parlait aux femmes.

      Henriette alors intervint.

      – Vous savez que nous irons toutes… On dit que vous préparez des merveilles.

      – Oh! des merveilles! murmura-t-il d’un air de fatuité modeste, je tâche simplement d’être digne de vos suffrages.

      Mais elles le pressaient de questions. Mme Bourdelais, Mme Guibal, Blanche elle-même, voulaient savoir.

      – Voyons, donnez-nous des détails, répétait Mme de Boves avec insistance. Vous nous faites mourir.

      Et elles l’entouraient, lorsque Henriette remarqua qu’il n’avait seulement pas pris une tasse de thé. Alors, ce fut une désolation; quatre d’entre elles se mirent à le servir, mais à la condition qu’il répondrait ensuite. Henriette versait, Mme Marty tenait la tasse, pendant que Mme de Boves et Mme Bourdelais se disputaient l’honneur de le sucrer. Puis, quand il eut refusé de s’asseoir, et qu’il commença à boire son thé lentement, debout au milieu d’elles, toutes se rapprochèrent, l’emprisonnèrent du cercle étroit de leurs jupes. La tête levée, les regards luisants, elles lui souriaient.

      – Votre soie, votre Paris-Bonheur, dont tous les journaux parlent? reprit Mme Marty, impatiente.

      – Oh! répondit-il, un article extraordinaire, une faille à СКАЧАТЬ