Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants. P. L. Jacob
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Название: Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants

Автор: P. L. Jacob

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089580

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СКАЧАТЬ la Vie du grand géant Gargantua et les Faits et prouesses de son fils Pantagruel, espèce de roman fantastique, dans lequel la plus haute raison se cachait sous un masque de bouffonnerie extravagante.

      Rabelais avait alors près de soixante-dix ans; il était de taille moyenne, avec un embonpoint florissant qui témoignait de sa belle santé; il portait la tête haute et droite, marchant d'un pas ferme et presque solennel; sa figure, toujours souriante, empreinte à la fois de bonté et de malice, inspirait de prime abord la sympathie et la confiance; malgré son grand âge attesté par ses cheveux blancs, rien n'accusait en lui la décrépitude ni la sénilité. C'était un vieillard qui conservait les forces et les apparences de la jeunesse.

      Son costume annonçait un médecin de la Faculté, ou un docteur de Sorbonne, plutôt qu'un homme d'église; il était coiffé d'une sorte de toque ou bonnet carré en velours noir, qu'on appelait barrette et qui cachait sa calotte de cuir bouilli; il n'avait ni rabat, ni surplis, mais une longue robe ample et flottante, boutonnée par devant, en étoffe de grosse laine ou étamine noirâtre; il avait les mains nues et s'appuyait sur un gros bâton en bois d'ébène à pomme d'ivoire. C'était là, il est vrai, un habillement de cérémonie, puisqu'il venait rendre visite à ses bons paroissiens, le seigneur et la dame du château de Meudon, où il était toujours le bien-venu et l'hôte désiré; mais, d'ordinaire, quand il allait voir les malades, faire l'aumône aux pauvres ou consoler les affligés, il n'était pas autrement vêtu qu'en bon paysan, avec des grosses bottes qu'on nommait des houscaux, une casaque de bure usée et des grègues ou caleçon flottant, un large chapeau de feutre gris à grands bords rabattus, et, en temps de pluie, une galvardine ou manteau court par-dessus ses vêtements.

      —Or çà, mes enfants! dit Rabelais aux paysannes qui s'étaient arrêtées respectueusement à vingt pas de lui, pour le laisser passer, sans le déranger de son chemin, Dieu vous garde, mes chères soeurs en Jésus-Christ!

      —Monsieur le curé, répondit une des plus vieilles au nom de ses compagnes, nous prions Dieu qu'il vous accorde bonne vie et longue!

      —Or çà, reprit gaîment le curé, vous n'avez pas besoin de moi ce matin, puisque vous n'allez point à l'église, m'est avis, et vous me semblez de trop belle humeur, pour penser à venir au confessionnal? Donc je vous avertis que j'ai fait dire la messe, par mon vicaire, de meilleure heure, et que je m'en vais de ce pas chez monseigneur le duc de Guise, qui m'a envoyé chercher, avant l'aube, pour assister un de ses vieux serviteurs au lit de mort.

      —Nous l'aiderons de nos prières à entrer en paradis! répliquèrent plusieurs villageoises en se signant.

      —D'où venez-vous, bonnes femmes? leur demanda familièrement Rabelais. Êtes-vous contentes de vos maris, de vos enfants, de vos vaches et de vos volailles?

      —Grand merci, messire! repartit la plus délurée de la compagnie. Nous venons de Vélisy, à travers bois, et nous apportons, au marché de Meudon, du lait, des oeufs et des herbes, pendant que nos hommes travaillent.

      —Oui dà, mes enfants! s'écria le bon curé, en hochant la tête et clignant de l'oeil. N'êtes-vous pas un peu trop imprudentes de faire route ainsi, en pleine nuit, par les bois, sans escorte ni sauvegarde?

      —Oh! notre bon père, dit une vieille, ce n'est pas la saison des loups, et nous sommes en assez bon nombre pour leur faire peur et les mettre en fuite, s'ils nous rencontraient au passage.

      —Bah! la mère! objecta plaisamment Rabelais, souvenez-vous du dicton:

       «Le plus méchant loup, c'est un méchant homme.»

      Ce proverbe populaire donna sujet de rire aux femmes de Vélisy, qui avaient entendu parler de la gaîté du curé de Meudon et qui se sentaient d'humeur à y répondre. Mais Rabelais n'avait pas le temps de faire une plus longue station sur la route du château.

      —Or çà, mes filles! leur dit-il, ne vous attardez pas trop au marché, car on vous attend dans vos demeures et l'on vous gronderait quand vous rentreriez!

      Les paysannes s'apprêtèrent à suivre ce bon conseil et, avant de s'éloigner, elles prièrent le curé de leur donner sa bénédiction: il la leur donna de bon coeur et paternellement.

      —Nous faisons des voeux, dit une de ces femmes, pour que votre sainte bénédiction, monsieur le curé, s'étende jusqu'à ce scélérat de juif ou de bohémien, qui est venu avec ses louveteaux se loger dans nos bois, à seule fin de nous porter malheur.

      —Je ne sais si c'est un bohémien ou un juif, reprit sévèrement Rabelais, mais à coup sûr ce n'est pas un scélérat: c'est un pauvre homme qui mérite qu'on le plaigne, et qu'on lui vienne en aide, parce qu'il est malheureux.

      Rabelais s'éloigna, en laissant les paysannes un peu confuses de la leçon qu'il leur avait donnée et qui leur rappela que le curé de Meudon passait dans le pays pour un partisan déguisé de la Réforme calviniste.

      L'Angélus était sonné à l'église du village, quand le curé revint du château où il avait passé toute la journée avec le duc et la duchesse de Guise. Le jour commençait à baisser, et l'on voyait dans le lointain les vapeurs du soir monter et s'étendre au dessus des bois qui environnaient le village. En approchant d'un sentier qui conduisait dans la forêt, Rabelais crut entendre des sanglots étouffés, et il aperçut à quelque distance une jeune fille immobile au pied d'un arbre. Il s'approcha rapidement et retint par le bras cette jeune fille qui se disposait à s'enfuir.

      —Vous pleurez, mon enfant? lui dit-il avec douceur. Avez-vous donc sujet de pleurer, à votre âge où tout est si bon et si beau dans la vie! Quelle est la cause de vos larmes? Je serais heureux de pouvoir les essuyer et de vous faire gaie et joyeuse.

      —Est-ce que je pleure, mon très honoré seigneur? dit-elle, en dévorant ses sanglots. Je ne pleure pas, reprit-elle avec un accent de dépit et de colère, non, je ne pleure pas, mais les gens de ce pays sont bien méchants!

      —Ils sont comme partout, pauvre petite! répliqua Rabelais, qui regardait avec intérêt cette jeune fille, misérablement vêtue, mais dont la physionomie intelligente ne manquait ni de distinction ni de fierté. Il y a sans doute plus de méchants que de bons, mais aussi il y a plus de bêtes que de méchants. Vous a-t-on fait du mal? Auriez-vous à vous plaindre de quelqu'un? C'est un devoir pour moi de vous faire rendre justice et de vous prendre sous ma protection.

      —Il faut que vous ne soyez pas de ce pays-ci, monseigneur, pour être aussi bon que vous êtes, dit l'enfant, reprenant confiance et se hasardant à regarder en face Rabelais qui la regardait également avec bonté. Je n'ai rencontré que des méchants, excepté vous, depuis que nous sommes à demeure dans la seigneurie de Meudon.

      —Ah! vous faites partie de ma paroisse? lui demanda Rabelais, qui ne put se défendre d'un mouvement de curiosité. Je ne crois pourtant pas vous avoir encore vue à l'église?

      La jeune fille ne répondit rien et baissa les yeux. Elle paraissait vouloir se dérober à cet entretien; elle avait ramassé un panier couvert d'un linge, qui était à terre, et elle se préparait à s'éloigner, lorsque Rabelais l'arrêta encore par le bras.

      —Ma chère fille, lui dit-il d'une voix insinuante et persuasive, ayez foi en ma promesse: j'entends vous protéger contre quiconque oserait vous faire tort, et je ne veux pas que dans ma paroisse vous ayez à vous plaindre de qui que ce soit. Je vous prie de me dire tout franc quel est le préjudice qu'on a pu vous causer en ce pays de Meudon.

      —Ils veulent СКАЧАТЬ