Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants. P. L. Jacob
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Название: Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants

Автор: P. L. Jacob

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066089580

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СКАЧАТЬ difficile, et, pour y satisfaire, je me résignai à m'enfuir, sans dire adieu à mes bouquins; cette séparation m'aurait trop coûté. On m'entraîna, malgré moi, loin de cette partie de mon individualité, et, tandis que je les rangeais dans mon souvenir, comme sur les rayons de ma bibliothèque, une chaise de poste m'emportait, chaudement empaqueté, vers le lieu de mon exil sanitaire.

      Ce fut aux environs de Bourges, dans l'ancienne province du Berry, que des amis généreux m'accueillirent, à leur foyer des vacances, comme dans ces bons vieux temps d'hospitalité, où la porte du château féodal s'ouvrait aussitôt, au son des coquilles du pèlerin; où le chevalier blessé trouvait une prompte guérison, dans la paix du manoir, qui l'avait reçu mourant.

      Après un voyage qui raviva mes souffrances secouées à chaque tour de roue, je parvins à ma destination, à cette riante colonie de la Chaumelle, qui avait gardé l'aspect et les coutumes d'un fief du moyen âge, sous la direction paternelle de son seigneur. Lorsque je débarquai, tremblant de fièvre, d'espoir et de plaisir, dans ce charmant ermitage, qui me promettait une heureuse et paisible fin, sinon le rappel à la santé et à la vie, je me vis entouré tout à coup d'enfants, empressés à conduire, à soutenir ma démarche chancelante! L'un relevait les plis de ma robe de chambre dérangée dans la voiture, l'autre s'informait de mon état, avec une discrète attention…. Mes yeux se mouillèrent, et la reconnaissance gonfla mon coeur! J'étais de prime abord naturalisé chef de famille.

      De ce moment, j'oubliai ce qui m'avait fait tant de mal, après m'avoir procuré tant de jouissances et de béatitudes: mes livres! Je cessai de regretter ces amis brochés, cartonnés et reliés, que j'avais laissés à Paris, pour me donner tout entier à ceux, plus vrais et moins ingrats, que j'étais venu chercher en province: les premiers m'avaient fait malade; il appartenait aux derniers de me rendre à la vie. Le spectacle de la nature champêtre et agricole vaut bien la plus admirative contemplation devant une édition rare du commencement de l'imprimerie, ou sortie des presses illustres de Robert Estienne, d'Elzevier, de Barbou, de Didot. Je n'avais garde de rêver parchemins, in-folios poudreux, reliures à fermoirs, arabesques et miniatures en or et en couleur, lorsque, de ma fenêtre ouverte à la senteur matinale qui se dégage des bois et des gazons, je regardais dans la plaine les moutons marqués au sceau proverbial du Berry, les charrues attelées de huit boeufs, les pâtres s'accompagnant d'une chanson monotone, les tonnes de la vendange et les récoltes du chanvre. Mes jeux, affaiblis par des veilles prolongées, se reposaient sur le penchant vert des coteaux chargés de vignes et dans la variété pittoresque du paysage; il y a un bonheur inexprimable à plonger, d'un horizon à l'autre, ses regards et sa pensée dans ce vaste ciel bleu, dont les citadins ne possèdent que des lambeaux, entre les toits, les gouttières et les cheminées.

      Je n'avais pas encore repris assez de forces pour les dépenser à la promenade en plein champ, et cependant je les sentais revenir, sans y croire moi-même. Je ne m'apercevais pas de la lenteur du temps, quoique mes joues, chose inouïe pour moi, s'engraissassent d'oisiveté, quoique je ne fisse pas plus de mouvement qu'un paralytique; mais, dans cette habitation élégante et commode, qui attestait le goût ingénieux du propriétaire, je n'avais pas le loisir de m'ennuyer, bien que condamné à rester en place. Mes hôtes aimables, qui doublaient par leurs qualités personnelles le charme de leur résidence, me procuraient une société, que je n'eusse point échangée contre toutes les Sociétés savantes ensemble; c'était, grâce à la maîtresse de la maison, une familière conversation sans apprêts ni pédanterie, mais instructive, nourrissante, toujours gaie et souvent brillante. Une femme qui joint le savoir à l'esprit, surpasse tous les hommes d'esprit et de savoir.

      Les enfants faisaient les intermèdes joyeux et intéressants de ces entretiens, qui tenaient à la fois de l'étude et du plaisir, de l'utile et de l'agréable; ils contribuèrent aussi à mon rétablissement, ces chers petits, qui m'aimaient sur la foi de ma réputation, avant d'être à même de me connaître et de m'aimer en personne; leurs voeux et leurs prévenances avancèrent sans doute ma convalescence, d'abord indécise et lente, puis franche et rapide. Les témoignages d'amitié qu'ils me prodiguaient adoucirent l'anxiété morose, que la maladie traîne toujours après elle. A mon lever, ils venaient, sans bruit, recueillir le bulletin de ma nuit; ils s'échelonnaient, autour de moi, avec leurs physionomies gaies ou tristes, selon le thermomètre de ma santé; là ils aspiraient à me distraire par leur babil amusant, par leurs questions malicieuses, par leurs jeux innocents; c'était à qui roulerait mon fauteuil de grand-père, exhausserait mes oreillers, étendrait un tapis sous mes pieds, courrait chercher mes lunettes, ma canne ou ma tabatière. Je payais en tendresse cette piété filiale, plus délicate et plus touchante que si elle m'eût été due; je remerciais du fond de l'âme ma bonne étoile, qui éclairait à son déclin la dernière et plus belle partie de ma carrière.

      L'époque des vacances agrandit encore le cercle de la famille: des jeunes gens à peine délivrés du collège, des jeunes personnes à peine arrivées de pension, se joignirent à leurs frères et soeurs, pour soigner le vieil hôte de leurs parents. La conversation prit alors des allures moins timides, et les sciences, allégées du langage technique qui fait peser sur elles une infructueuse obscurité, purent s'ébattre sous mes yeux, en réveillant mes goûts, mes instincts et mes aptitudes. J'étais le président de ces séances peu académiques, où la discussion portait la lumière et l'intérêt dans les branches arides et inconnues de l'enseignement. Chacun fournissait sa quote-part d'instruction, d'observation et d'intelligence; chacun était à son tour orateur, commentateur ou critique. Ces enfants s'élevaient ainsi à la condition d'homme, ou bien je redevenais moi-même enfant avec eux.

      Ces occupations quotidiennes et sédentaires se prolongèrent avec ma convalescence. Enfin je sortis de mon fauteuil, comme Lazare de son tombeau; courbé sur un bâton, j'allai parcourir, d'un pas encore tremblant, les alentours de la jolie maison blanche, le parterre couronné de dahlias, le verger embaumé de fruits mûrs, le bocage gazouillant, et l'enclos bordé d'antiques noyers. De jour en jour, mes pas s'affermissaient, et mes promenades tendaient vers un but plus éloigné; je ne restais plus dans l'enceinte trop circonscrite par les haies et les fossés; avec le bras d'un de mes jeunes guides, je m'aventurais aux environs, pour voir le pays, en peintre, en historien, en antiquaire; c'était la santé qui s'annonçait par le retour de mes goûts favoris: j'étais encore le bibliophile Jacob.

      Mes chers enfants me dirigeaient et m'escortaient, dans ces excursions, à la distance de plusieurs lieues; je ramassais partout les souvenirs, empreints sur le sol et dans la pierre, de la domination romaine et du séjour de Charles VII en Berry. Je suis allé ainsi successivement visiter, à Feularde, les arches d'un de ces aqueducs que les Romains ont liés d'un ciment indestructible; à Ryans, le passage de la chaussée de César, laquelle partait de Bourges, l'ancienne Biturix; à Bois-sire-Amé, les ruines du château d'Agnès Sorel, dame de Beauté; aux Aix-d'Angillon, les débris des remparts de la forteresse du moyen âge; à Sancerre, la grosse tour qui penche sur la ville; à Bourges, ces vieilles rues, ces vieilles maisons, et ces nombreux édifices qui lui restent de sa splendeur royale et qui s'harmonisent avec l'architecture ciselée de sa merveilleuse basilique.

      L'automne pluvieux mit trop tôt un terme à ces courses qui achevèrent de consolider ma santé: je marchais sans bâton, même avant d'avoir fait un pèlerinage aux reliques de la fameuse sainte Solange, qui, suivant la légende, porta sa tête coupée, à l'imitation de saint Denis. Les journées devinrent courtes, les soirées longues, et le vent du nord-est, qui soufflait sans cesse en tourbillons, dépouilla les arbres de leur feuillage rouillé; ensuite le ciel se fondit en eau, sans qu'un rayon de soleil pût percer le voile épais des nuages.

      Cette nature immobile, sombre et humide, qui succédait brusquement à la nature chaude, dorée et vivante, de la belle saison, rembrunit d'abord mon humeur, de ses brouillards et de ses ouragans; mais je ne pouvais que me plaire, à la maison, au coin d'un feu clair et pétillant, dans l'intimité d'une famille où je n'étais plus étranger; on n'eut donc pas à me faire violence pour me retenir, en demi-quartier d'hiver, jusqu'aux grands froids. СКАЧАТЬ