Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants. P. L. Jacob
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Название: Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants

Автор: P. L. Jacob

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089580

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      Cependant les enfants me reviennent bientôt, quel que soit leur étonnement à ma première apparition; eussent-ils couru se cacher derrière le fauteuil de leur père ou dans les bras de leur mère, il suffit que mon nom soit prononcé, pour les ramener à l'instant jusque sur mes genoux; car ma réputation de conteur s'est répandue parmi eux, avant qu'ils aient appris à lire; on chérit tant les contes, à cet âge, qu'on est plus exigeant sur la quantité que sur la qualité: sans être un Berquin, un conteur de bonne volonté amuse et instruit facilement à la fois des intelligences neuves et impressionnables; il suffit de savoir se faire écouter, et bientôt on a un auditoire plus attentif, plus silencieux, plus fidèle, que celui de toutes les académies du monde; car l'intérêt du récit tient lieu d'éloquence.

      Or, voyez comme à mon insu j'ai contracté l'engagement éternel de faire des contes aux enfants, moi qui ai rempli ma longue carrière d'études spéciales, arides et monotones, moi qui journellement amasse dans ma mémoire des dates et des matériaux historiques! Néanmoins, je n'ai jamais eu la maladresse et l'incurie de traîner mes contes dans la route battue des enfantillages frivoles, niais ou absurdes; j'accorde à l'enfance plus d'estime qu'on ne fait dans bien des systèmes d'éducation, et je tâche toujours de l'élever, au lieu de la rabaisser. Je ne lui prête pas mon dos pour y monter à cheval, comme Henri IV lui-même m'en donne l'exemple; je ne vais pas, débile et cassé que je suis, me mêler à des jeux bruyants qui demandent une pétulance et une vivacité que j'ai perdues depuis nombre d'années; aussi bien, vaut-il mieux mettre l'enfance à notre portée que de descendre à la sienne, et ce serait présomption téméraire que de lutter avec elle de souplesse et d'activité, quand nous ne voyons pas sans lunettes, quand nous ne marchons pas sans canne.

      Selon mon système, justifié par la pratique, je tends toujours à développer l'intelligence, qui suit rarement les progrès de la force physique, et je me plais à cultiver les fruits précoces de l'esprit dans leur naïve saveur. On a le tort, en général, de priver de lumière ce qui n'aspire qu'à germer et à croître; on prolonge l'enfance, et moi je travaille à la rendre plus courte; je hâte la jeunesse, au lieu de la retarder; car, pour augmenter la vie de l'homme, il suffit de la commencer plus tôt, et la vie ne commence réellement qu'avec la pensée. Apprenons donc, de bonne heure, aux enfants, à penser.

      Les enfants ne sont pas, d'ordinaire, si légers et si insouciants qu'on les suppose pour toute espèce de notions sérieuses, utiles et raisonnées; leur mémoire manque de discernement et de choix, mais elle retient les faits, lorsqu'on a pris soin de les revêtir d'une forme attrayante, lorsqu'on s'adresse à cette curiosité passionnée, qui précède l'âge des passions et qu'on ne songe guère à faire tourner au profit de l'enseignement. On ne sait pas jusqu'à quel point cette curiosité instinctive pourrait former la base solide d'une première éducation. L'Histoire, qui, entre toutes les sciences, réclame principalement beaucoup de temps et de lectures; l'Histoire, dont on a fait un épouvantail d'ennui et d'obscurité; l'Histoire, pour l'étude de laquelle Lenglet-Dufresnoy n'exigeait pas moins de dix ans et demi, avec neuf heures de travail par jour; l'Histoire pourrait devenir la récréation favorite des enfants. C'est donc de l'Histoire que je leur arrange en contes et en nouvelles; c'est de l'Histoire qu'ils viennent chercher autour de moi; c'est de l'Histoire vraie, dramatique et littéraire. Le passé doit servir à l'instruction du présent.

      Il y a cinquante ans, dans une fatale année de choléra-morbus, le vieux Conteur a failli être enlevé à ses petits-enfants. A coup sûr, sa mort aurait été pleurée par tous ceux qui escaladent à l'envi ses genoux, pour arracher quelques-uns des souvenirs, contemporains de ses cheveux blancs ou de ses gros volumes; mais, Dieu merci! je vieillirai le plus longtemps possible, je conterai encore bien des contes, si je deviens deux fois centenaire. Approchez-vous, mes enfants, oreilles et bouches béantes! Le bibliophile Jacob est convalescent.

      Je ne me souvenais pas d'avoir été malade dans le cours d'une vie longue et occupée, excepté une seule fois au collège de Montaigu, en 1760, où la douleur de ne pas obtenir le prix d'histoire me causa une fièvre cérébrale, qui, par bonheur, n'a point altéré mes facultés mnémoniques. Je croyais donc pouvoir à toujours défier cette légion de maux, qui sont en guerre perpétuelle contre la pauvre et fragile humanité. Je me hâtais pourtant d'achever, dans la retraite, un ouvrage de prédilection, comme par pressentiment de le voir bientôt interrompu; j'écrivais, nuit et jour, sans quitter mon pupitre, et si ce jeu de mots est permis à la gravité de mon âge, je ne m'endormais pas sur la plume.

      Hélas! tout excès a des conséquences funestes et j'eus à me repentir de m'être trop hâté. Je n'étais plus jeune, et ma volonté conservait seule une puissance d'énergie que le corps n'avait plus. Les veilles avaient brûlé mon sang; la continuité d'une oeuvre d'imagination avait irrité ma sensibilité nerveuse. J'étais à bout de forces, sinon de courage.

      Il fallut, malgré moi, m'enlever de mon fauteuil, m'arracher à mes livres et manuscrits. Vainement j'essayai de persuader au médecin que la santé ne m'avait pas abandonné un instant et que cette fièvre lente n'était qu'un effet de ma préoccupation d'esprit: il fronçait le sourcil, en tenant mon poignet pour interroger les rares pulsations de l'artère. Mon teint jaune et terreux, mes lèvres pâles et mon regard éteint, démentaient le sourire que j'essayais de me donner, et les paroles de confiance, que me suggérait le désir de me faire illusion à moi-même. Plus clairvoyant que moi, mon excellent ami le docteur Charpentier mesurait avec inquiétude combien peu d'huile restait dans ma lampe, sur laquelle un vent fatal avait soufflé.

      Des soins habiles, dévoués, infatigables, parvinrent à me sauver, en s'opposant à la rage insensée qui m'excitait sans cesse à me remettre au travail, après les crises les plus dangereuses de la maladie qui épuisait le reste de mes forces.

      Il semblait, cependant, impossible de me guérir de cette folie de lire ou d'écrire, folie tour à tour sombre et furieuse; je demandais à grands cris ma bibliothèque; j'ordonnais, je suppliais, je ne me lassais pas des refus, et j'étais sourd aux plus sages représentations. Ce délire avait des accès effrayants: tantôt je m'imaginais découvrir des caractères d'imprimerie sur quelque partie de mon corps; tantôt je me dressais sur mon séant, pour atteindre un volume qui n'était que dans ma fantaisie; je déclamais mon catalogue, en récitatif d'opéra, ou bien je jouais le rôle du commissaire-priseur dans une vente de livres. Une fois, je poussais l'extravagance jusqu'à me persuader que j'étais métamorphosé en manuscrit sur vélin avec de belles lettres peintes et des miniatures rehaussées d'or; en ce prétendu équipage, je ne laissais approcher aucune tisane, qui pût endommager les merveilles de mes feuillets enluminés.

      A ce délire aigu succéda une langueur de consomption, qui aboutit au marasme; j'étais devenu indifférent à tout, même à mes goûts de bibliophile, que la médecine eût appelés à son secours, s'ils avaient pu arrêter mon dépérissement organique. Le bon docteur Charpentier désespéra de moi, en remarquant l'accueil froid et passif que je fis à certain bouquin précieux, qu'il m'apportait d'une promenade le long des quais. Le sens de la bibliomanie paraissait le dernier que j'eusse à perdre; après lui, je n'avais plus qu'à rendre l'âme. Déjà, j'étais réduit à la condition de cadavre animé, absolument privé d'appétit et d'aliments, desséché jusque dans la moelle des os; je dépensais mes interminables journées à ne rien faire, assis au milieu des oreillers; et mes nuits, plus pénibles encore, sans fermer la paupière. J'étais si horriblement maigre, qu'on aurait pu étudier l'anatomie à travers la peau tendue et transparente de mon squelette.

      Dans cet anéantissement de mes facultés, lequel avait résisté à toutes les ressources médicales, mon docteur proposa de m'envoyer à la campagne pour me remettre entre les mains de la Nature à qui en appelle souvent Hippocrate: le mal venait de l'abus du système intellectuel; la matière avait besoin de rentrer dans ses droits et dans son équilibre. On me prescrivit donc, pour remplacer les juleps et les sirops, un air vif et pur,—le départ de Paris, bien entendu,—des СКАЧАТЬ