Le cycle patibulaire. Georges Eekhoud
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Читать онлайн книгу Le cycle patibulaire - Georges Eekhoud страница 9

Название: Le cycle patibulaire

Автор: Georges Eekhoud

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086169

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СКАЧАТЬ feignant l'assouvissement, se la renvoyaient comme un paquet de chair. Les autres danseurs, se souciant peu de se frotter à ces falots, leur laissaient le champ libre, faisaient cercle, et s'ébaudissaient, narquois, égrillards, mais méprisants.

      Avisant Jakkè dans la salle, Hiep-Hioup encouragea ses partenaires à corser encore leur pantomime et elle-même redoubla de laisser-aller; elle gigotait, se pâmait, se renversait entre les bras des maroufles, roulait des yeux hébétés; puis, après une prostration, se dégageait brusquement, galvanisée, se tortillant comme une pouliche en folie.

      Echauffé par plusieurs gouttes de genièvre qu'il avait sifflées coup sur coup, pour noyer ses derniers scrupules, Jakkè profita d'une pause, écarta les regardants, marcha délibérément sur Hiep-Hioup et d'une voix qui démentait l'assurance de sa démarche, il lui demanda la première polka.

      Dans la salle on se trémoussa; on salua ce scandale par d'ironiques bravos. Jamais à la kermesse, en présence des honnêtes filles du village, un gars qui se respectait n'aurait engagé cette perdue. Et voilà que Jakkè Overmaat, le garde des comtes de Thyme, convoité par plus d'une de ces héritières, s'oubliait, se ravalait à ce point! Pas une protestation ne s'éleva. Mais quel anathème dans ces trépignements et ces vivats féroces de la galerie!

      Jakkè n'entendait point le tollé. Déjà, il faisait tourner Hiep-Hioup. Lui, pantelant, ravi, se croyant élu pour de bon; elle, triomphante, mais implacable, heureuse de l'esclandre, savourant la stupeur des honnêtes gens, l'affront infligé aux filles à marier, enchantée surtout de la chute de ces orgueilleux Overmaat.

      Aussi se montra-t-elle presque aimable pour le vaincu. La danse finie, elle accepta de boire à son verre. Pour la valse suivante elle lui donna la préférence sur le plus irrésistible des polissons de tout à l'heure. Toutefois, elle se fit un plaisir cruel de ne pas négliger complètement ces boute-en-train; elle força Jakkè de s'entendre avec eux; ils lui cédèrent leur tour de danse pour quelques verres de bière, pris, en trinquant fraternellement, sur le comptoir. Or, ces jolis galants n'étaient autres que les drilles qui l'avaient si bien arrangé l'hiver d'avant! «Sans rancune?» lui dirent les drôles en choquant leur verre contre le sien. Il dévora sa rage et se prêta à leurs railleuses effusions. Enfin, après lui avoir infligé ces écœurantes humiliations, la guenipe se fit prier et supplier, avant de lui permettre de la reconduire.

      En route, dès qu'ils se trouvèrent assez loin de la salle de bal, il voulut l'embrasser et la lutiner à son tour. La nuit de juillet dans laquelle les meules de foin exhalaient leurs senteurs poivrées, aiguillonnait son morne désir. Hiep-Hioup lui donna sur les doigts et, comme il continuait de la chiffonner, elle le souffleta.

      —Tu te laisses bien toucher par les autres, des pouilleux, des crapules!

      Il les énumérait avec jalousie.

      Sa fureur rentrée, son humeur refoulée rompait les digues. Elle, très calme, le défiait et le matait encore.

      —Tout beau, mon petit! Des va-nu-pieds, des vauriens, dis-tu! S'ils t'entendaient! Et n'as-tu pas honte de disputer leur seule possession à ces récidivistes! Ah! tu les méprises! Ils ne valent pas moins que moi pourtant. Tu fais le fier, toi, raison de plus pour moi, de te tenir à distance. Je les console, ils n'ont que moi. Toi, tu pourrais les avoir toutes; toutes celles qui leur crachent dessus et leur tournent le dos.... Eh bien, au contraire, moi j'en veux de ces gaillards, et ne veux pas de leurs tourmenteurs, et ne te prendrai jamais, entends-tu bien? Je me régale de ces pauvres bougres; et toi, leur ennemi, tu me dégoûtes!

      Alors il changea de tactique, s'abaissa jusqu'à mêler le sentiment à cette aberration charnelle. Il s'offrait de l'aimer toujours. Il lui procurerait un logis plus décent et pourvoirait à son existence. Elle serait heureuse elle verrait.... Pourquoi n'essayait-elle pas? Plus il se montrait tendre, plus elle ricanait et lui chantait turlutaine.

      On avait dû les suivre, on les épiait, car lorsqu'il élevait la voix, des rires mal étouffés et des chuchotements moqueurs faisaient écho, dans les taillis, à l'hilarité de la coquine. Un chœur invisible reprenait le crispant refrain.

      Ils approchaient de la masure de Hiep-Hioup. Et Jakkè, le cœur serré, la sève en ébullition, voyait ses chances diminuer à chaque pas et cette occasion tant attendue lui échapper.

      Brusquement il empoigna Hiep-Hioup, la coucha par terre. Elle appela au secours, mais sans trahir beaucoup d'alarme. Ses trois suppôts du bal débouchèrent des taillis, agrippèrent le galant et le maintinrent tandis que la gaupe se relevait. Comme il se débattait ils le daubèrent; il écumait comme un épileptique; ils finirent par l'assommer et le rouler, sans connaissance, au fond d'un fossé. Une troupe de paysans approchaient, sinon ils l'eussent traité comme la première fois. Ils ne s'étaient même plus donné la peine de se noircir le visage.

      Sorti de son évanouissement et parvenu à se désembourber, il entendit les voix railleuses de la rosse et de ses rossards qui se perdaient au loin. Ils accompagnaient Hiep-Hioup dans son bouge dont on voyait rougeoyer les lucarnes à travers les arbres. Un instant il songea à les poursuivre, à les rejoindre dans leur repaire, mais démoli, maltraité comme il l'était, comment recommencer cette lutte inégale? Ils l'auraient achevé.

      Il se résigna donc à rentrer. Au Boschhof aussi il y avait encore de la lumière. Il poussa la porte de la grande chambre. Sa mère veillait, assise dans un fauteuil, auprès de l'âtre éteint, frileuse malgré cette étouffante nuit de juillet. On l'avait avertie du scandale. Pourtant elle ne s'attendait pas à cette apparition atroce. Jakkè, sans casquette, le sarrau déchiré, le pantalon presque arraché du corps, meurtri, sanglant, boueux, ignoble: l'image de la crapule et du déshonneur. On lui avait dit le mal, elle se trouvait en présence du pire. Le coupable lut l'angoisse, le reproche, l'horreur dans les yeux de la pauvre femme. Il n'osa pas approcher, se retira sans mot dire, et alla s'effondrer dans le fenil, en sanglotant de rage et de douleur.

      C'en était fait. Il ne devait plus se relever. L'aveu de son mal lui avait coûté; mais à présent qu'on savait toute son abjection, il se trouva presque heureux de ne plus rien avoir à cacher.

      Sa mère ne lui fit point de reproche et il ne provoqua aucune explication, convaincu que les meilleures et les plus saines raisons ne parviendraient pas à le sauver.

      Il retourna lâchement auprès de celle qui avait failli le faire massacrer mais n'en obtint rien de plus que la première fois. Il revint à la charge, l'importuna de ses attentions; mais loin de se laisser fléchir, elle redoubla de cruauté.

      Pour la mère Overmaat, la déchéance de Jakkè était tellement inexplicable qu'elle ne pouvait admettre que cette honteuse affection lui eût été inspirée sans le secours d'un maléfice.

      Inquiète non seulement pour la position de son enfant mais encore pour sa santé, elle se résigna à faire une démarche pénible. A l'insu de son fils elle se rendit, elle, fermière honnête et considérée, chez ces étrangères de malheur, chez ces voleuses et ces sorcières, et les supplia, la mère et la fille, de retirer le sort jeté sur son pauvre garçon. Les deux coquines, la vieille et la jeune, toujours de connivence, feignirent une violente colère d'être prises pour des associées du diable, et congédièrent la veuve Overmaat en lui conseillant d'envoyer son fils à Gheel. En sortant de cette masure, le cœur saignant, persuadée de plus en plus des pratiques infernales de ces femelles, elle rêva un instant de les enfumer et de les brûler dans leur taudis.

      A quelques mois de là, le malheur redouté par la mère arriva. Après plusieurs avertissements et sur les dénonciations répétées des gens du pays, le comte de Thyme se décida à donner congé aux Overmaat et à retirer à Jakkè la СКАЧАТЬ