Le cycle patibulaire. Georges Eekhoud
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Читать онлайн книгу Le cycle patibulaire - Georges Eekhoud страница 8

Название: Le cycle patibulaire

Автор: Georges Eekhoud

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066086169

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СКАЧАТЬ lui fit de la morale sur un ton très calme qui mit le comble au dépit de sa capture.

      L'instinct de la braconnière la servait mal; il lui eût suffi, en ce moment encore, d'un mot de douceur pour amollir la résolution du garde, pour qu'il la relâchât de nouveau.

      Car elle avait deviné plus juste l'autre fois: Jakkè aimait Hiep-Hioup.

      L'honnête garçon, d'humeur un peu apathique, que n'impressionnaient pas les yeux bleus si caressants des paroissiennes de sa condition, avait été retourné jusque dans les moelles par les simagrées de cette créature. Mais la chose était si anormale, si odieuse, qu'il n'osait se l'avouer à lui-même et qu'il se fût tué plutôt que de la confesser. Seulement, depuis quelque temps, lorsque sa mère vaguement inquiète insistait pour qu'il prît femme, il répondait à ses propos avec une brusquerie et un air rogue qu'il n'avait jamais montrés autrefois. De là aussi, des luttes, des remords, et l'énergie inattendue dont, voulant réagir à toute force, il venait de faire preuve.

      Mais il se trouva que l'aventure qui devait affranchir le gars des enchantements de Hiep-Hioup tourna à sa confusion et le perdit à jamais.

      Procès-verbal ayant été dressé, la picoreuse citée devant le juge de paix et Jakkè appelé en témoignage, celui-ci, revenant sur ses premières déclarations, tenta de blanchir la coupable. Il se contredisait à tel point dans ses deux dépositions, qu'il faillit se compromettre lui-même et que le juge eut envie de le mettre en cause. Ceux d'Ippenroy et de Wortel, accourus pour assister aux débats, constatèrent que le garde avait eu plutôt l'air d'un accusé que d'un plaignant.

      Affligée d'un casier judiciaire très fourni, où les récidives ne se comptaient plus, Hiep-Hioup fut condamnée au maximum, c'est-à-dire à quinze jours d'internement au Dépôt d'Hoogstraeten, en dépit des rétractations de son accusateur.

      Avant de les entendre énumérer à l'audience, Jakkè ignorait le total et la variété des condamnations pour vagabondage, vol, affaires de mœurs et autres peccadilles, encourues par la gourgandine. Ce dossier aurait dû guérir un brave garçon comme lui de son obsession maladive; au contraire, ces tares ne firent que ragoûter son penchant, et la sentence prononcée, il s'en voulut amèrement de valoir ces nouveaux ennuis à cette «cavale de retour» comme l'avait appelée le juge.

      Hiep-Hioup prit gaîment la chose. La prison, elle en avait assez mangé pour ne plus s'en effrayer! La mine contrite et repentie de Jakkè l'avait amusée plus que les autres. A présent elle était sûre de le tenir! Cette certitude compensait largement la honte d'un nouveau voyage à Hoogstraeten! Non pas qu'elle sût le moindre gré à Jakkè de ses sentiments! Elle n'y voyait que le moyen de lui faire payer cher sa dénonciation, plus tard, et d'assouvir une haine aussi inexplicable mais aussi violente que l'amour du garde.

      Au retour du tribunal la sequelle des pieds-poudreux et des irréguliers, qui avaient fait escorte à leur commère, ne manquèrent pas de colporter, par tout le village, la narration de ces débats édifiants.

      Ces lurons, amants honteux et dégoûtés de la ribaude, commençaient à présent à tirer vanité de leur conquête. Auparavant ils se l'étaient passée et repassée sans jalousie, sans rivalité; ils se la partageaient en bons zigs au bord des fossés, comme le reste du butin commun. Du jour où un garçon propre haletait après sa part de ce gibier, Hiep-Hioup, ce rebut, ce pis-aller, devenait presque une maîtresse avouable.

      Il en advint que ces pendards commencèrent à considérer Jakkè comme leur égal et leur affilié. Ayant fait son temps à Hoogstraeten, Hiep-Hioup encourageait leur insubordination. Et quand Jakkè intervenait et les menaçait du juge: «Pas d'enfantillages! faisaient-ils. Le juge! Tu en as plus peur que nous. Nous ne sommes que les valets de Hiep-Hioup. C'est à elle que tu dois t'en prendre!»

      Jakkè se sentant lui-même en défaut, lié par ses complaisances premières, n'avait garde d'insister.

      Une fois qu'il avait simplement menacé un braconnier de profession, quatre de ces gueux l'attendirent la nuit, à l'heure de la ronde, foncèrent sur lui avant qu'il eût eu le temps de prévenir cette ruée, le battirent comme un chien, le dépouillèrent de ses vêtements en ne lui laissant, par ironie, que son képi galonné aux armes des comtes de Thyme, et, l'ayant lié à un arbre, son fusil chargé passé entre ses entraves, ils le laissèrent là, à la merci de la froidure et de la bruine de décembre. Et le matin il lui fallut parlementer longtemps avec les ruraux timorés et méfiants qui se rendaient au marché de la ville, avant qu'ils consentissent à le détacher. Quoiqu'il eût reconnu ses agresseurs sous la suie dont ils s'étaient mâchurés, au grand étonnement de toute la paroisse il s'abstint de porter plainte et fit même son possible pour étouffer l'affaire. Hiep-Hioup ne lui sut aucun gré de cette coupable longanimité et quant à ses agresseurs, ils lui rirent au nez et se vantèrent même en plein cabaret, et devant lui, de cette excellente farce.

      Il continuait pourtant de fuir la maraudeuse, mais sans parvenir à en détacher sa pensée. Et des souvenirs de ses livres du séminaire, des «vies de saints» lues autrefois au réfectoire achevaient de le troubler. Il n'était pas loin de se croire possédé du démon.

      Hiep-Hioup s'était juré de mener au désespoir ce grand blondin si sage et si honnête. Bien décidée à n'être jamais à lui, elle aurait voulu qu'il se rendît à merci, et pour l'assoter, pour exaspérer son désir sournois, elle se livrait au premier venu, de préférence au plus débraillé, au plus misérable.

      Lorsque Jakkè la rencontrait, elle était toujours accrochée à l'encolure d'un de ses galants. Une fois, comme le garde la croisait au tournant d'un sentier, le batteur en grange à qui elle se cramponnait comme la flamme à une branche résineuse, la repoussa d'un poing brutal, en glouton repu qui demande une trêve, ou peut-être, garçon à scrupules, se montrait-il vexé d'être surpris accolé à cette paillarde. Jakkè qui pressait le pas entendit la femme dire au bourru: «Ce n'est pas celui-là qui ferait le dégoûté!» Et de sa voix rauque et stridente, elle héla le fuyard: «Hein, que tu ne dirais pas non! hé! toi! la Sainte-Nitouche?»

      Il passa, stoïque, sans plus lui répondre que les autres fois. Et pourtant il voyait rouge. Des fumées homicides lui brouillaient l'entendement. Tuer l'amant de Hiep-Hioup? Lequel? Celui de la veille ou celui de demain? On ne les comptait plus. Un massacre alors. Presque toute la population mâle du village y eut passé!

      Il cachait sa passion comme un mal innommable; il espérait mourir avant de se déclarer.

      A la vérité aucune preuve n'existait de la toquade que lui attribuaient les bavards de la paroisse et si les commères et les envieux se déclaraient suffisamment renseignés par les allures équivoques du jeune Overmaat, les bonnes âmes doutaient encore d'une folie claironnée seulement par Hiep-Hioup et les mécréants de son espèce.

      Mise au courant par une voisine charitable, la mère Overmaat, la toute première, quoique tourmentée du changement survenu chez son garçon, se refusait à attribuer ses lubies à une passion déshonorante. Elle se fût même fait un reproche de l'interroger sur ces fables. Seulement, elle craignait que ces histoires forgées par des compétiteurs du garde ne vinssent aux oreilles de «leur seigneur».

      Un dimanche de kermesse, Jakkè rencontra Hiep-Hioup à la danse dans le principal cabaret de la paroisse.

      Entourée d'un trio de blousiers, garçons de charrue ou botteleurs fortement éméchés, la noiraude se prêtait aux privautés les plus expansives. Elle sautait à tour de rôle avec l'un de ses compagnons. On demanda un quadrille. Mais comme il n'y avait pas dans l'assistance de femelle assez oublieuse de son bon renom pour faire vis-à-vis à la braconnière, force fut à deux de СКАЧАТЬ