Histoire de Sibylle. Feuillet Octave
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Читать онлайн книгу Histoire de Sibylle - Feuillet Octave страница 7

Название: Histoire de Sibylle

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066083526

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      — Allons, Jacques! dit le curé en le secouant.

      Jacques ne bougea pas.

      — Mon ami, reprit le curé, je vous en prie!

      Jacques souleva la tête:

      — Allez-vous-en, dit-il. Il n'y a pas de bon Dieu!

      Le curé, n'en pouvant tirer d'autre réponse, s'en alla tristement. Le lendemain il le retrouva à la même place et dans la même position, et toujours répondant à ses paroles de consolation par cette phrase unique:

      — Il n'y a pas de bon Dieu!

      On reconnut bientôt que la raison de ce pauvre diable était sérieusement altérée. Il quitta les ruines de son moulin, s'empara d'un misérable chaume qu'on avait dressé sur le haut d'une falaise déserte pour y retirer des moutons pendant la chaleur, et vécut là comme une bête fauve. On l'entendait quelquefois, surtout les jours d'orage, pousser des cris qui glaçaient le sang. Une circonstance bizarre marqua les premiers temps de sa démence. On trouva le matin, à plusieurs reprises, les vitraux de l'église de Férias brisés et les dalles intérieures de la petite nef semées de pierres. On fit le guet, et une nuit Jacques Féray fut surpris lançant des pierres avec un acharnement puéril et farouche contre la maison de ce Dieu qui l'avait si cruellement frappé. Il fut question de le faire arrêter et enfermer; mais le curé, qui était bon, en eut pitié, et ne dit rien. C'était d'ailleurs le seul trait de violence qu'on pût reprocher à cet infortuné. Il était inoffensif, quoique sa mine fût effrayante. On le rencontrait souvent assis sur la berge d'un fossé, le visage tourné vers la haie. Comme tous les malheureux, il avait lassé la compassion à la longue, et n'était plus qu'un objet de terreur ou de risée. On l'appelait le fou Féray, et pendant qu'on lui donnait, un peu par crainte, quelque morceau de pain à la porte des fermes, les enfants lui attachaient des loques dans le dos.

      Un jour Sibylle, ayant laissé sa nourrice à quelque distance, était venue s'agenouiller sur le bord de la fontaine qui recevait les filtrations de la Roche-Fée. Elle avait la tête nue, et, après avoir examiné curieusement pendant quelques instants les végétations qui germaient au fond du bassin, elle s'était affaissée peu à peu dans les herbes et dans les fleurs du bord; prise d'un de ces attendrissements inexpliqués auxquels elle était sujette depuis quelque temps, elle se mit à pleurer, et regarda ses larmes tomber une à une comme des perles dans l'onde transparente et sonore. Un léger bruit lui fit soudain lever le front: elle aperçut le fou Féray blotti vis-à-vis d'elle dans les broussailles. Sa tête couverte d'une débris de chapeau de paille, maigre, pâle, redoutable d'aspect, s'avançait hors d'un buisson; ses regards étaient dirigés sur Sibylle avec une intensité d'attention extraordinaire; de grosses larmes s'échappaient de ses yeux creux et coulaient dans sa barbe grise. Devant ce spectre, l'enfant, quoique brave, sentit un frisson dans ses veines; elle voulut appeler, et se trouva muette. Le fou comprit son effroi, et dit d'une voix basse et plaintive:

      — N'ayez pas peur, je ne vous ferai pas de mal.

      Puis il se leva, pendant que Sibylle se levait de son côté par une sorte de mouvement mécanique, s'approcha d'elle et la regarda fixement:

      — Pauvre enfant! murmura-t-il, pauvre enfant!

      Et, se laissant tomber sur le sol, il sanglota la tête dans ses bras.

      Sibylle connaissait l'histoire de ce pauvre homme; elle entrevit que quelque vague ressemblance lui rappelait la petite fille qu'il avait perdue; la pitié domina un instant la terreur dans son âme délicate; elle se mit à genoux, et passa doucement sa main blanche sur la tête hérissée du fou. Puis, comme effrayée de sa hardiesse, elle courut rejoindre sa nourrice, qui ne fut pas médiocrement alarmée en voyant l'instant d'après Jacques Féray s'attacher à leurs pas. Il les suivit comme un chien jusqu'au château. M. et madame de Férias, émus du récit de Sibylle, s'approchèrent du malheureux, qui s'était arrêté derrière la grille du parc, lui adressèrent des paroles de bonté, et lui remplirent son sac de provisions. A partir de cette époque, on observa que sa folie affectait un caractère plus calme. Il ne se passait guère de jour sans qu'il se présentât à la grille du château, où Sibylle s'empressait d'accourir les mains pleines. Elle le rencontrait souvent dans ses promenades; il avait remarqué le goût de Sibylle pour les fleurs sauvages; il savait celles qu'elle préférait, il en faisait d'énormes bouquets, et venait sans mot dire les déposer aux pieds de l'enfant. Elle lui disait: "Merci, mon Jacques," en souriant, et le fou se retirait satisfait. Le marquis et la marquise l'appelaient le fou de Sibylle, et les domestiques le fou de Mademoiselle. Sibylle se montrait touchée et un peu fière de l'empire qu'elle exerçait sur cet esprit désolé et révolté. Cet empire toutefois échoua sur un point: conseillée par ses parents, elle essaya un jour d'emmener Jacques à la messe dans l'église de Férias; arrivé au seuil du cimetière, il se dégagea violemment des mains de Sibylle, poussa un cri sauvage, et se mit à descendre la lande en courant.

      Deux mois environ après sa première rencontre avec le fou Féray, Sibylle reçut la visite de son amie Clotilde Desrozais, qui se préparait à entrer dans un couvent de Paris, afin d'y achever son éducation, ou plutôt de l'y commencer. Mademoiselle Clotilde était alors âgée de douze à treize ans; elle était grande, admirablement faite, l'oeil superbe, habituellement à demi clos et voilé, mais dévorant quand il s'ouvrait; elle avait de lourdes nattes d'un noir bleuâtre, et montrait entre des lèvres pourprées des dents blanches comme la pulpe d'une noisette fraîche. Elle paraissait douée en outre d'une vive intelligence et d'une ardente sensibilité; mais, à vrai dire, on ne savait trop quels éléments fermentaient dans le chaos brûlant de cette riche nature, abandonnée à elle-même comme en pleine forêt, et qui inspirait à Sibylle un sentiment d'affection mêlé d'inquiétude. Mademoiselle Clotilde la tourmentait le plus souvent par ses caprices de fougueuse autorité; mais l'instant d'après elle la séduisait par des effusions de tendresse irrésistibles. Elle la serrait sur son coeur, les yeux humides. "Je t'aime, ma Sibylle, disait-elle, et je t'aimerai toujours! Il faut que tu me jures de m'aimer aussi toute ta vie. Voyons, jure, jure!" Sibylle jurait timidement. "Vois-tu, reprenait Clotilde, j'aime tant ceux que j'aime que je voudrais les manger!" En attendant elle les mordait quelquefois.

      Mademoiselle Desrozais était donc venue passer la journée à Férias. Pendant que Sibylle préparait une collation à son amie, celle-ci avisa par une fenêtre le fou Féray, qui dormait à l'ombre dans la cour du château. Clotilde, sans mot dire, courut à la cuisine, se fit donner un paquet de cordelettes, y enfila des ferrailles, de vieux éperons, des débris de vitre qu'elle récolta de côté et d'autre, et alla discrètement suspendre cet attirail aux vêtements du fou endormi. Puis, ayant pris la précaution barbare de fermer toutes les grilles de la cour, elle appela son chien Max, espèce de molosse à demi sauvage qui la suivait partout. Elle poussa alors le fou d'un coup de pied et le réveilla en sursaut. "Ici, Max! Ici, mon chien! cria-t-elle. Mords-le! mords-le!" Jacques Féray avait grand'peur des chiens, qui lui témoignaient en général peu d'amitié. En voyant le bouledogue s'élancer vers lui, il prit sa course follement. Le bruyant appareil qui pendait à son collet se mit en mouvement et acheva de l'épouvanter. Il se précipitait et se heurtait d'une grille à l'autre, le chien sur ses talons, éperdu, haletant et hurlant, à la grande joie de la belle Clotilde. Cependant Sibylle, attirée par le bruit, était accourue à la fenêtre. Dès qu'elle eut vu ce qui se passait, elle bondit dans la cour et atteignit le fou au moment où le chien venait de saisir les lambeaux de toile qui enveloppaient ses jambes. L'enfant usa de toutes ses forces pour repousser loin de son protégé le féroce bouledogue, qui, tournant subitement sa rage contre elle, lui mordit le bras, d'où le sang coula. Les domestiques arrivèrent, écartèrent le chien, et emportèrent Sibylle évanouie. Devant ce résultat final de son espièglerie, Clotilde fondit en larmes; mais lorsque son aimable tante l'emmena une heure après, et qu'elle vit Jacques Féray, qui s'était recouché sur le pavé, se soulever СКАЧАТЬ