Название: Conscience
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089078
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—C'est bien, je ne compterai pas sur vous.
—Bonsoir, monsieur.
Et Joseph fila au plus vite.
Resté seul, Saniel ne se remit pas tout de suite au travail; mais, se renversant dans son fauteuil, il promena un regard mélancolique dans son cabinet et jusque dans le salon, dont la porte était restée ouverte: à la faible lueur de sa bougie, il voyait ses grands fauteuils méthodiquement alignés de chaque côté de la cheminée, les draperies des fenêtres noyées dans l'ombre et tout ce mobilier qui, depuis quatre ans, lui avait coûté tant d'efforts. C'était de ce Louis XIV de camelote qu'il avait été si longtemps prisonnier, et par qui maintenant il allait être exécuté. La belle affaire, vraiment, intelligente et habile! Tout cela n'avait servi qu'à de pauvres Auvergnats, sans que lui-même en jouit, n'ayant pas le goût bourgeois du bibelot, ni le besoin du bien-être. Un mouvement de colère et de révolte contre lui-même lui fit asséner un coup de poing sur son bureau: quel naïf il avait été!
De nouveau la sonnette tinta. Cette fois, il n'entendrait pas, ne comptant plus sur la cliente riche.
Après un court instant, on tambourina doucement sur la porte. Alors, se levant vivement, il courut ouvrir.
Une femme se jeta à son cou:
—Ah! mon chéri, que je suis contente de te trouver chez toi.
VI
Elle lui avait passé un bras autour de la taille, et, se serrant contre lui, se pelotonnant, ils étaient entrés dans le cabinet.
—Que je suis donc contente, répéta-t-elle; quelle bonne idée j'ai eue!
Et d'un brusque mouvement elle se débarrassa de la longue redingote en drap gris qui l'enveloppait jusqu'aux pieds.
—Et toi, es-tu content, dit-elle en se plaçant devant lui pour le mieux regarder.
—Peux-tu le demander?
—Simplement pour te l'entendre dire.
—N'es-tu pas ma seule joie, la douce lumière qui m'éclaire au fond du puits où je pioche jour et nuit!
—Cher Victor!
C'était une grande et svelte jeune femme aux cheveux châtains, qui la coiffaient de boucles épaisses jusque sur les sourcils. De beaux yeux sombres, un nez court, des dents superbes et des gencives couleur de fraise lui donnaient l'air d'un joli chien; elle en avait la gaieté, la vivacité, l'effronterie gracieuse, la caresse passionnée du regard. Habillée à la diable, en Parisienne qui n'a pas le sou, mais qui pare tout ce qu'elle porte, elle avait une désinvolture, une élégance naturelles qui charmaient: avec cela, un ton bon enfant, un rire joyeux et une expression de sensibilité répandue sur son visage frais.
—Je viens dîner avec toi, dit-elle gaiement, et j'ai une faim!...
Il laissa échapper un mouvement qu'elle saisit.
—Je te gêne? dit-elle inquiète.
—Mais pas du tout.
—Tu as à sortir?
—Non.
—Alors pourquoi as-tu fait un mouvement qui trahissait de l'ennui ou tout au moins de l'embarras?
—Tu te trompes, ma petite Philis.
—Avec un autre, je me tromperais peut-être; mais avec toi, est-ce que c'est possible? Tu sais bien qu'entre nous il n'est pas besoin de paroles, que je lis dans tes yeux ce que tu vas dire, sur ta physionomie ce que tu penses comme ce que tu sens. Est-ce qu'il n'en est pas toujours ainsi quand on aime... comme je t'aime?
Il la prit dans ses bras et longuement il l'embrassa; puis, allant à un fauteuil sur lequel en rentrant il avait jeté son pardessus, il tira d'une poche le pain qu'il avait acheté.
—C'est que voilà mon dîner, dit-il en montrant son pain.
—Oh! il faut que je te gronde: le travail te fait perdre la tête. Ne peux-tu prendre le temps de manger?
Il eut un triste sourire:
—Ce n'est pas le temps qui m'a manqué.
Il fouilla dans sa poche et en tira trois gros sous qui lui restaient:
—On ne dîne pas au restaurant avec six sous.
Elle se jeta sur lui:
—Oh! chéri, pardonne-moi, s'écria-t-elle. Pauvre cher martyr, cher grand homme, c'est moi qui t'accuse, quand je devrais embrasser tes genoux. Et tu ne me grondes pas; un triste sourire est toute ta réponse. Eh quoi, tu en es là: pas même de quoi manger!
—On mange très bien avec du pain; que ne suis-je assuré d'en avoir toujours!
—Eh bien, aujourd'hui je veux qui tu aies mieux et plus. Ce matin, en voyant le mauvais temps, il m'est venu une idée à laquelle tu étais associé: c'est bien naturel, puisque tu ne quittes ni mon coeur ni ma pensée: j'ai dit à maman que, si la bourrasque continuait, je coucherais à la pension. Tu t'imagines avec quelle émotion j'ai écouté le vent toute la journée, en regardant la pluie tomber mêlée aux feuilles et aux branches mortes qui passaient en tourbillons. Dieu merci, le temps a été assez mauvais pour que maman me croie bien tranquille à la pension; et me voilà à toi jusqu'à demain matin. Mais, comme nous ne pourrons pas rester à jeun jusque-là, en nous contentant de ton pain, je vais aller acheter à dîner; nous ferons la dînette au coin du feu, ce sera bien plus amusant que d'aller au restaurant.
Elle endossa vivement sa redingote.
—Mets la table pendant que je fais mes achats.
—J'ai mon article à finir qu'on va venir chercher à huit heures; pense que j'ai encore à recommander trois vins toniques, cinq préparations de fer, une teinture au henné, un lait mammaire, deux lotions capillaires, un opiat, je ne sais combien de savons et de poudres de riz, et il faut que, de force ou de bonne volonté, ils entrent dans mon article. Quel métier!
—Eh bien, ne t'inquiète pas de la table; nous la mettrons ensemble quand tu auras fini, ce qui ne sera que plus amusant.
—Tu prends tout par le bon côté, toi!
—Est-ce qu'il est meilleur de le prendre par le mauvais? A tout à l'heure!
Elle allait tirer la porte.
—Ne fais pas de folies, dit-il.
—Il n'y a pas de danger, répondit-elle en frappant sur sa poche.
Puis, revenant à lui, elle l'embrassa passionnément:
—Travaille.
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