Chateaubriand. Jules Lemaître
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Читать онлайн книгу Chateaubriand - Jules Lemaître страница 9

Название: Chateaubriand

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086992

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СКАЧАТЬ N'oublions pas que l'Angleterre fut la patrie de la franc-maçonnerie, et signalons cette note de Chateaubriand aux historiens qui pensent que la Révolution française a été secrètement une œuvre maçonnique.

      C'est pour réaliser ce «système de perfection» que les jacobins ont voulu tout détruire afin de tout changer. («Il était absurde de songer à une démocratie sans une révolution complète du côté de la morale.») Et dans quelles circonstances! Écoutez le jeune émigré:

      Attaquée par l'Europe entière, déchirée par des guerres civiles, agitée de mille factions, ses places frontières ou prises ou saccagées, sans soldats, sans finances, hors un papier discrédité qui tombait de jour en jour, le découragement dans tous les états et la famine presque assurée: telle était la France, tel le tableau qu'elle présentait à l'instant même qu'on méditait de la livrer à une révolution générale. Il fallait remédier à cette complication de maux; il fallait établir à la fois par un miracle la République de Lycurgue chez un vieux peuple nourri sous une monarchie, immense dans sa population et corrompu dans ses mœurs; et sauver un grand pays sans armées, amolli dans la paix et expirant dans les convulsions politiques, de l'invasion de cinq cent mille hommes des meilleures troupes de l'Europe. Ces forcenés seuls pouvaient en imaginer les moyens et, ce qui est encore plus incroyable, parvenir en partie à les exécuter: moyens exécrables sans doute, mais, il faut l'avouer, d'une conception gigantesque.

      Sans doute, trente ans plus tard, rééditant l'Essai et l'accompagnant de notes expiatoires, il écrivait au bas de la page que je viens de citer: «Je mets à tort sur le compte d'une poignée d'hommes sanguinaires ce qu'il faut attribuer à la nation.» Mais, vers la même époque, ayant à raconter la Révolution dans ses Mémoires, il en parle encore avec une horreur incurablement mêlée d'admiration.

      Quoi d'étonnant? En même temps que le jeune Chateaubriand composait son Essai, Joseph de Maistre rédigeait ses Considérations sur la France. Et ce grave Savoyard, de quinze ans plus âgé que Chateaubriand, et bien meilleur catholique, écrivait que, seule, la folie furieuse de «l'infernal Comité de salut public» avait pu conserver la France pour le roi. Il disait: «Qu'on y réfléchisse bien, on verra que, le mouvement révolutionnaire une fois établi, la France et la monarchie ne pouvaient être sauvées que par le jacobinisme.» Et encore: «Lorsque d'aveugles factieux décrètent l'indivisibilité de la République, ne voyez que la Providence qui décrète celle du royaume.»

      Joseph de Maistre introduit ici une pensée qui n'est point dans Chateaubriand: il voit dans les jacobins les instruments d'une puissance qui en savait plus qu'eux. Et, d'autre part, cette interprétation du rôle des jacobins ne l'empêche point de voir et de définir avec une sagacité aiguë l'erreur fondamentale de la Révolution. N'importe: les victoires révolutionnaires l'ont presque autant ébloui que le chevalier de Chateaubriand.

      Les victoires révolutionnaires ont réjoui même les émigrés. Plus tard, elles couvriront et feront bénéficier de leur prestige l'histoire même intérieure de la Révolution; elles détourneront l'attention de ses crimes et de la malfaisance de ses principes et assureront et prolongeront jusqu'à nous sa légende. Chateaubriand flétrira tant qu'on voudra les atrocités de la Terreur: jamais, et non pas même quand il servira le roi, il ne détestera la Révolution, ni même ne se déprendra de ses dogmes.

      En continuant à feuilleter l'Essai, nous arrivons à un parallèle du «siècle de Solon» et du dix-huitième siècle français, qui est d'une fantaisie assez inattendue. Cela commence par un morceau de bravoure: Caractère des Athéniens et des Français, brillant et un peu facile. Puis, l'auteur pousse son parallèle dans le détail, et en profite pour déballer en citations ses souvenirs de lecture. Il est du dix-huitième siècle à ce point qu'il écrit tranquillement: «Homère a donné Virgile à l'antique Italie et le Tasse à la nouvelle, Voltaire à la France...» Il rapproche le chantre octogénaire de Téos et le vieillard de Ferney; Simonide et M. de Fontanes, qu'il appelle le Simonide français; Sapho et Parny, qu'il nomme «le Tibulle de la France et le seul élégiaque que la France ait encore produit»; Ésope et M. de Nivernais; les élégies morales de Solon et l'Ode sur l'homme de Jean-Baptiste Rousseau; les hymnes de Tyrtée et les odes républicaines d'Écouchard-Lebrun et la Marseillaise, qu'il cite presque entièrement et dont il parle presque avec admiration: «Le lyrique a eu le grand talent d'y mettre de l'enthousiasme sans paraître ampoulé»; il rapproche enfin une chanson en l'honneur d'Harmodius et d'Aristogiton et une épitaphe à la louange de Marat.

      Puis il passe aux philosophes. Il met en parallèle les «sages» et les «encyclopédistes»; Thalès, Solon, Périandre et Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu, Chamfort. Il rapproche une lettre d'Héraclite refusant l'hospitalité du roi de Perse et une lettre de Jean-Jacques refusant l'hospitalité du roi de Prusse, et donne l'avantage à Jean-Jacques «pour la mesure». Là, il se souvient que Héraclite et Rousseau furent persécutés... Et le voilà pyrrhonien par indignation: «Nous ne pouvons souffrir ce qui s'écarte de nos vues étroites, de nos petites habitudes... Ceci est bien, ceci est mal, sont les mots qui sortent sans cesse de notre bouche. De quel droit osons-nous prononcer ainsi? Avons-nous compris le motif secret de telle action? Misérables que nous sommes, savons-nous ce qui est bien, ce qui est mal?»

      Et un peu plus loin il redouble. Après avoir dit que les sages de la Grèce voulaient que le gouvernement découlât des mœurs, au lieu que nos philosophes veulent faire découler les mœurs du gouvernement (et ainsi «les premiers disaient aux peuples: Soyez vertueux, vous serez libres, et les seconds: Soyez libres, vous serez vertueux»), il s'enfonce de nouveau dans la négation. Les mœurs, dit-il, sont l'obéissance à ce «sens intérieur» qui nous montre l'honnête et le déshonnête, pour faire celui-là et éviter celui-ci. Mais ce sens intérieur, «qui sait jusqu'à quel point la société l'a altéré? Qui sait si des préjugés, si inhérents à notre constitution que nous les prenons souvent pour la nature même, ne nous montrent pas des vices et des vertus là où il n'en existe pas?... Si cette voix de la conscience n'était elle-même...? Mais gardons-nous de creuser plus avant dans cet épouvantable abîme.»

      Ce sont audaces de très jeune homme. Peut-être que, la nuit où il s'abandonnait à ce désespoir philosophique, le pauvre garçon avait particulièrement froid dans sa mansarde. Mais enfin il n'est pas inutile de savoir qu'il a passé par là. D'autant que plus tard, et jusqu'à sa mort, un quasi nihilisme sera souvent chez lui comme à fleur de phrase.

      Il cherche alors les effets des révolutions de la Grèce sur le reste du monde antique, et, parce qu'il les cherche, il les trouve, mais souvent cela lui donne bien du mal.

      Il a bien de la peine aussi à poursuivre son parallèle entre les nations de l'antiquité et celles d'aujourd'hui. Par exemple, à quoi ressemble l'Égypte? À l'Italie moderne. Pourquoi? Comment? C'est que, comme l'Italie moderne (celle de 1792), «l'antique royaume des Sésostris, gouverné en apparence par des monarques, en réalité par un pontife maître de l'opinion, se composait de magnificence et de faiblesse». Puis, «c'est sur les bords du Nil que les philosophes de l'antiquité allaient puiser la lumière, c'est sous le beau ciel de Florence que l'Europe barbare a rallumé le flambeau des lettres». Voilà.—Pour Carthage, c'est plus facile: le parallèle avec l'Angleterre s'impose. Et, pour démontrer que le gouvernement anglais et le gouvernement carthaginois, c'est la même chose, le jeune Chateaubriand imite Montesquieu et se donne des airs de profondeur. Puis il compare Annibal et Marlborough, Hannon et Cook, et rapproche le Périple d'Hannon de quelques pages de Cook sur les îles Sandwich.

      Ici, une page révélatrice. Il vient d'opposer à l'ignorance d'Hannon la science de Cook. Mais tout à coup:

      Cependant, il faut l'avouer, ce que nous gagnons du côté des sciences, nous le perdons en sentiment. L'âme des anciens aimait à se plonger dans le vague infini; la nôtre est circonscrite par nos connaissances. СКАЧАТЬ