Chateaubriand. Jules Lemaître
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Читать онлайн книгу Chateaubriand - Jules Lemaître страница 6

Название: Chateaubriand

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086992

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СКАЧАТЬ homme qui ne se fait point d'illusions. Cela ne lui apparaissait donc pas, en tout cas, comme un devoir si impérieux. Je crois que, tout simplement, il en avait assez de l'Amérique, comme peut-être, lorsqu'il était parti pour l'Amérique, il en avait assez de la France. C'était une âme invinciblement inquiète.

      Un peu avant d'aborder à Saint-Malo, il est assailli par une terrible et fort belle tempête, qui accroît son magasin de sensations et d'images.

      Puis il s'en va à Saint-Malo et se marie.

      Pourquoi? pourquoi? pourquoi? C'est affreusement simple. Il s'est aperçu qu'il n'avait pas assez d'argent pour rejoindre les princes. «On me maria, dit-il, afin de me procurer le moyen de m'aller faire tuer pour une cause que je n'aimais pas.» Il épouse une orpheline, mademoiselle Céleste Buisson de la Vigne, «blanche, délicate, mince et fort jolie», qu'il avait aperçue trois ou quatre fois, et dont «on estimait la fortune de cinq à six cent mille francs». C'était donc un mariage riche. Mais il se trouva que la fortune de sa femme était en rentes sur le clergé: «La nation se chargea de les payer à sa façon...» Il faudra emprunter; un notaire lui procurera dix mille francs. Au moment de partir, il les jouera, et les perdra, sauf quinze cents francs. C'est avec ces quinze cents francs qu'il partira pour l'armée des princes. Ce n'était pas la peine de prendre femme pour cela... Il faut dire que c'est sa sœur Lucile qui l'a voulu marier. Peut-être verrons-nous plus tard les raisons qu'elle en avait.

      À peine marié, il quitte sa jeune femme. Il l'oubliera totalement pendant douze ans. Avant son départ, il revoit à Paris M. de Malesherbes et lui soumet ses scrupules sur l'émigration. Car, dit-il, «mon peu de goût pour la monarchie absolue ne me laissait aucune illusion sur le parti que je prenais.» M. de Malesherbes répond à ses objections. «Il me cita des exemples embarrassants. Il me présenta les Guelfes et les Gibelins s'appuyant des troupes de l'empereur ou du pape; en Angleterre les barons se soulevant contre Jean sans Terre; enfin, de nos jours, il citait la république des États-Unis implorant le secours de la France.» Mais Chateaubriand nous donne ensuite le vrai mobile de son acte: «Je ne cédai réellement qu'au mouvement de mon âge, au point d'honneur.» Deux décrets ayant déjà frappé les émigrés, «c'était dans ces rangs déjà proscrits, dit-il, que j'accourais me placer... La menace du plus fort me fait toujours passer du côté du plus faible». Là, il ne ment pas. L'orgueil, l'impossibilité de «subir», l'impossibilité d'être longtemps avec la masse, le besoin d'être seul ou avec le petit nombre... ce sera toujours sa vraie, sa seule vertu.

      Il sort de Paris le 15 juillet 1792 avec son frère le comte de Chateaubriand. Ils avaient deux passeports pour Lille. Ils passent par Tournay, par Bruxelles, «quartier général de la haute émigration», où «les femmes les plus élégantes de Paris et les hommes les plus à la mode, ceux qui ne pouvaient marcher que comme aides de camp, attendaient dans les plaisirs les moments de la victoire»; il laisse son frère à Bruxelles, traverse Liège, Aix-la-Chapelle, Cologne, Coblentz, Trêves, où il rejoint l'armée des princes. L'ordre est de marcher sur Thionville (où commande Wimpfen). L'armée royaliste y arrive le 1er septembre.

      «Auprès de notre camp indigent et obscur en existait un autre brillant et riche. À l'état-major on ne voyait que fourgons remplis de comestibles; on n'apercevait que cuisiniers, valets, aides de camp.» Le «camp indigent et obscur» se composait de gentilshommes pauvres classés par provinces et servant en qualité de simples soldats, qui détestent l'autre camp, celui des élégants et des gentilshommes de cour. Ainsi, la partie rurale et pauvre de l'armée des émigrés avait pour l'autre partie quelques-uns des sentiments des révolutionnaires eux-mêmes. En somme, cette armée ne semble pas avoir eu la foi.

      Chateaubriand raconte tout cela fort gaiement. «Nous surgîmes invaincus à Thionville, car chemin faisant nous ne rencontrâmes personne.» Monsieur et le comte d'Artois se montrent, font la reconnaissance de la place, somment en vain Wimpfen, et disparaissent. Tout cela ne paraît pas très sérieux. On commence le siège, on fait quelques travaux et quelques démonstrations, on reçoit quelques bombes. On fait la cuisine, on lave son linge, on couche sous la tente. La vie est un peu dure, mais fort convenable à des hobereaux chasseurs. Derrière le camp s'est formée une espèce de marché ou de foire. Les paysans amènent des quartauts de vin; on fait frire des saucisses et sauter des crêpes. Des paysannes vendent du lait. On boit et on mange ferme en racontant des histoires. «Cette vie de soldat, dit Chateaubriand, est très amusante; je me croyais encore parmi les Indiens.»

      Je ne pense pas que personne ait jamais plus clairement senti l'ironie et la folie des choses, l'envers des grands sentiments et des grands desseins, la misère des coulisses de l'histoire; ait tour à tour mieux connu la joyeuse absurdité de tout, plus joui d'être vidé de toute croyance et raillé plus sinistrement que le chevalier de Chateaubriand devant Thionville. «Je me souviens d'avoir dit à mon camarade Ferron que le roi périrait sur l'échafaud et que, vraisemblablement, notre expédition devant Thionville serait un des principaux chefs d'accusation contre Louis XVI.» Il avait donc, s'il faut l'en croire, le sentiment de tuer allègrement son roi en mangeant des saucisses à la foire, auprès du camp.

      Mais, un jour que, recru de fatigue, il dormait presque sous les roues des affûts où il était de garde, un obus lui envoya un éclat à la cuisse droite. «Réveillé du coup, mais ne sentant point la douleur, je ne m'aperçus de ma blessure qu'à mon sang. J'entourai ma cuisse de mon mouchoir... Pendant ce temps-là, le sang coulait à torrents dans les prisons de Paris: ma femme et mes sœurs étaient plus en danger que moi.» Et voilà des émotions.

      Quelques heures après, on lève le siège et l'on part pour Verdun. Sa blessure ne lui permettant de marcher qu'avec douleur, Chateaubriand se traîne comme il peut à la suite de sa compagnie, qui bientôt se débande. Le plan du chevalier est de parvenir à Ostende et de s'embarquer pour Jersey, où il trouvera son oncle Bédée. Tout cela avec dix-huit livres tournois dans sa poche. Miné de fièvre, puis atteint d'une «petite vérole confluente», boitillant sur sa béquille, ses cheveux pendant sur son visage que masquent sa barbe et ses moustaches, la cuisse entourée d'un torchis de foin, une couverture de laine par-dessus son uniforme en loques; guettant sur les routes les charrettes des paysans; couchant où il peut; de fossé en fossé, de grange en grange et de charrette en charrette, il arrive à Namur, puis à Bruxelles où il retrouve son frère et reçoit quelques soins; puis à Ostende par les canaux; nolise avec quelques Bretons une barque pontée, couche dans la cale sur des galets, fait relâche à Guernesey, où un prêtre émigré lui lit les prières des agonisants et où le capitaine le fait débarquer sur le quai pour qu'il ne meure pas à bord. (Tout cela, à ce qu'il raconte.) Mais il rembarque le lendemain (car il a un tempérament de fer) et tombe enfin, à Saint-Hélier, chez son oncle Bédée. Il y demeure quatre mois entre la vie et la mort, et il apprend, dans son lit de malade, la mort de Louis XVI. Quand il peut marcher, il arrête sa place dans un paquebot et débarque à Southampton le 17 mai 1793.

      Il n'a pas vingt-cinq ans; et l'on peut dire que, pour ce qui est de voir, de sentir et d'être ému, il n'a pas perdu son temps.

      Sans doute une vie ordinaire et tout unie peut contenir des sentiments violents, et des drames de l'esprit ou du cœur; et sans doute, d'autre part, il y avait eu dans notre littérature (au dix-septième siècle même) de beaux aventuriers, et qui avaient vu bien des choses étonnantes, et qui n'en avaient rien tiré du tout. Mais, étant données l'imagination et la sensibilité natives de Chateaubriand, il n'est évidemment pas indifférent qu'il ait eu la jeunesse follement secouée que nous venons de voir, plutôt que la jeunesse extérieurement tranquille et quasi sédentaire d'un Corneille, si vous voulez, ou d'un Bossuet, ou même d'un Racine... Le vagabondage de Jean-Jacques explique beaucoup du génie de Jean-Jacques. Pareillement, et mieux encore, le génie propre de Chateaubriand a été mis en branle par les agitations de son corps et s'est nourri des aventures de ses yeux et de tous ses sens.

      Une enfance sauvage, violente et rêveuse dans les landes et sur les СКАЧАТЬ