Chateaubriand. Jules Lemaître
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Название: Chateaubriand

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086992

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СКАЧАТЬ aussitôt oublié; quelques mois de guerre civile «amusante» (c'est lui qui l'a dit), et enfin, pour une fois, la vraie souffrance, la détresse entière, le désespoir total, la mort vue de tout près, en sorte que l'idée de la mort, de la douleur, du néant de toutes choses achèvera toujours la beauté de ses tableaux et que la tristesse en aiguisera toujours le charme sensuel... Certes voilà un écrivain d'imagination à qui les souvenirs et les munitions ne manqueront pas.

      Et si vous croyez que je ne l'aime pas tel qu'il est, combien vous vous trompez!

       Table des matières

       Table des matières

      Je continuerai à vous parler librement de Chateaubriand (en me servant, d'ailleurs, de Chateaubriand lui-même). Joubert écrivait, un jour, à Molé: «Il y a un point essentiel, et dont il faut, préalablement, convenir entre nous: c'est que nous l'aimerons toujours, coupable ou non coupable; que, dans le premier cas, nous le défendrons; dans le second, nous le consolerons. Cela posé, jugeons-le sans miséricorde, et parlons-en sans retenue.»

      Puisqu'il est bien convenu que nous l'aimons, nous aussi, j'accepte le pacte proposé par Joubert. Car enfin, est-ce pour ses vertus que nous l'aimons? Un peu, car il en a; mais c'est beaucoup plus pour certains de ses défauts, ou plutôt pour les causes profondes dont ils sont les effets; pour sa puissance de désir et de dégoût; pour son imagination, son orgueil, son ennui, et parce que toute cette ardeur et toute cette tristesse, il les a traduites par des mots qui nous sont un enchantement. Je lui en suis très reconnaissant; mais que voulez-vous? On n'a pas toujours le besoin absolu de respecter ceux qu'on aime, ou, si vous voulez, on n'aime pas ceux-là seulement qu'on respecte.

      Le voilà donc arrivé à Londres. Il est toujours malade; il tousse, il a des sueurs et des crachements de sang. Des amis le traînent de médecin en médecin. On lui dit qu'il peut durer quelques mois, peut-être un an ou deux, s'il renonce à toute fatigue. Et alors, certain de sa fin prochaine, ce garçon de vingt-quatre ans décide d'écrire, avant de mourir, un ouvrage sur la Révolution et de dire sa pensée sur l'histoire et sur la vie.

      Mais il faut vivre. On s'entr'aide assez volontiers chez les émigrés. Presque tous travaillent. «Les uns se sont mis dans le commerce des charbons; les autres font avec leurs femmes des chapeaux de paille; les autres enseignent le français qu'ils ne savent pas.» «Ils sont tous très gais.» Le chevalier fait la connaissance de Peltier, principal rédacteur des Actes des apôtres, et ambassadeur du roi d'Haïti auprès de George III; une espèce de bohème «qui n'avait pas précisément de vices, mais qui était rongé d'une vermine de petits défauts». Il confie à Peltier son plan d'un Essai sur les Révolutions. Peltier a subitement foi dans ce garçon, qui, évidemment, ne ressemble pas à tout le monde. Il s'écrie: «Ce sera superbe!», lui loue une chambre chez son imprimeur, et lui procure des traductions du latin et de l'anglais.

      Chateaubriand travaille le jour à ses traductions et la nuit à son grand ouvrage. Il fuit, par fierté, les émigrés riches. Il se saoûle de tristesse dans de solitaires promenades à Kensington et à Westminster. Mais Peltier, distrait, l'oublie. Un jour vient où il n'a plus de quoi manger. «... Cinq jours s'écoulèrent de la sorte. La faim me dévorait; j'étais brûlant, le sommeil m'avait fui; je suçais des morceaux de linge que je trempais dans l'eau; je mâchais de l'herbe et du papier. Quand je passais devant des boutiques de boulanger, mon tourment était horrible.» Nous le croyons parce qu'il le dit. Il avait refusé le schilling quotidien que le gouvernement anglais donnait aux émigrés pauvres. Mais pourtant il n'était pas sans recours au monde, puisque, le jour suivant, étant allé voir son compatriote Hingant, et l'ayant trouvé tout sanglant d'un suicide manqué, il s'adresse alors, et utilement, à M. de Barentin, émigré important, et que, dans le même moment, il reçoit quarante écus de son oncle Bédée. Comment donc expliquer les morceaux de linge qu'il suçait, et l'herbe et le papier? Par une sorte d'apathie et d'immobilité dans le désespoir, par ce qu'il appelle plus loin cet «esprit de retenue et de solitude intérieure», qui l'avait empêché de faire des démarches très simples, et par exemple de se rappeler à l'attention de l'imprimeur Baylis et de Peltier.

      Pour ménager les quarante écus de l'oncle, il habite une mansarde dont la lucarne donne sur un cimetière, et où il couche sans draps, et, quand il fait froid, met sur sa couverture un habit et une chaise. Heureusement Peltier se ressouvient de lui et le «déniche dans son aire». Il lui propose d'aller à Beecles, dans les environs de Londres, déchiffrer de vieux manuscrits français pour une société d'antiquaires, moyennant deux cents guinées. En réalité, le chevalier était appelé dans cette ville, non comme paléographe, mais pour y enseigner le français dans un petit collège. (Anatole Le Braz, Au pays d'exil de Chateaubriand). Il accepte, se fait habiller de neuf, se présente chez le ministre de Beecles, et est bien accueilli par les gentilshommes du canton. La santé lui revient, il parcourt le pays à cheval, va sans doute reprendre goût à la vie, car il a vingt-cinq ans.

      Mais là, il apprend la mort du comte de Chateaubriand, son frère, et de la comtesse de Chateaubriand, et celle de Malesherbes et de madame de Rosambo, tous guillotinés le même jour. Il apprend que sa mère a été conduite du fond de la Bretagne dans les prisons de Paris, et que sa femme et sa sœur Lucile attendent leur sentence dans les cachots de Rennes.

      Or, il avait fait la connaissance, à Bungay, proche de Beecles, d'un ministre anglais, M. Ives, brave homme et savant homme, mari d'une charmante femme et père d'une jolie fille de quinze ans, Charlotte, excellente musicienne. Charlotte est touchée par les malheurs du jeune étranger. Elle le questionne sur la France, sur la littérature, lui demande des plans d'études, traduit avec lui le Tasse et joue du piano pour lui. Une chute de cheval, qui l'oblige à rester quelque temps chez les Ives, resserre l'intimité. Il se laisse aller à ce charme... Mais un jour madame Ives, en fort bons termes, et délicats et touchants, lui offre la main de Charlotte... «De toutes les peines que j'avais endurées, celle-là me fut la plus sensible et la plus grande. Je me jetai aux genoux de madame Ives; je couvris ses mains de mes baisers et de mes larmes. Elle croyait que je pleurais de bonheur, et elle se mit à sangloter de joie... Elle appela son mari et sa fille. «Arrêtez! m'écriai-je, je suis marié!» Il s'en était tout à coup ressouvenu, et sans plaisir.

      (Cette Charlotte Ives se mariera, sera lady Sulton; et, vingt ans plus tard, en 1822, elle ira trouver Chateaubriand, ambassadeur à Londres, se fera reconnaître, échangera avec lui des souvenirs mélancoliques et tendres, et finalement le priera (car elle ne perd pas la tête) de s'intéresser à son fils aîné et de le recommander à Canning. Et Chateaubriand nous racontera cette scène d'une façon touchante, certes, mais sans doute en la romançant un peu. Et encore, je n'en sais rien. Je dis cela parce qu'il romance tout, quelquefois sans s'en apercevoir.)

      Il revient à Londres, de plus en plus triste. Mais il se remet au travail. Il écrivait, en pensant à Charlotte; l'idée lui était venue, nous dit-il, «qu'en acquérant du renom, il rendrait la famille Ives moins repentante de l'intérêt qu'elle lui avait témoigné». Mais il écrivait surtout parce qu'il avait la passion d'écrire et parce qu'il voulait la gloire. Il voulait la gloire, bien qu'il se crût désespéré; et il écrivait sur la Révolution, parce qu'il n'aurait pu sans doute écrire sur autre chose, parce que c'était la Révolution qui avait bouleversé sa vie, qui la lui avait faite tragique et sinistrement variée, et qu'elle l'avait mis dans cet état de sombre exaltation, où, la mémoire débordant d'images fortes et le cœur de fortes émotions, il ne se pouvait plus contenir et se sentait capable de peindre l'univers et à la fois d'expliquer l'histoire СКАЧАТЬ