En famille. Hector Malot
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Название: En famille

Автор: Hector Malot

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066088835

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СКАЧАТЬ plus qu'ils ne lui donnèrent de la vigueur, et il fallut qu'elle reconnût que c'était la faim qui l'affaiblissait en attendant qu'elle l'abattit tout à fait défaillante.

      Que deviendrait-elle si elle n'avait plus ni sentiment ni volonté?

      Pour que cela n'arrivât pas, elle crut que le mieux était de s'arrêter un instant; et comme elle passait en ce moment devant une luzerne nouvellement fauchée, dont la moisson, mise en petites meules, faisait des tas noirs sur la terre rase, elle franchit le fossé de la route, et se creusant un abri dans une de ces meules, elle s'y coucha enveloppée d'une douce chaleur parfumée de l'odeur du foin. La campagne déserte, sans mouvement, sans bruit, dormait encore, et sous la lumière qui jaillissait de l'orient elle paraissait immense. Le repos, la chaleur, et aussi le parfum de ces, herbes séchées calmèrent ses nausées et elle ne tarda pas à s'endormir.

      Quand elle s'éveilla, le soleil déjà haut à l'horizon couvrait la campagne de ses chauds rayons, et dans la plaine des hommes, des femmes, des chevaux travaillaient çà et là; près d'elle, une escouade d'ouvriers échardonnaient un champ d'avoine; ce voisinage l'inquiéta tout d'abord un peu, mais à la façon dont ils faisaient leur ouvrage, elle comprit, ou qu'ils ne soupçonnaient pas sa présence, ou qu'elle ne les intéressait pas, et, après avoir attendu un certain temps qui leur permit de s'éloigner, elle put revenir à la route.

      Ce bon sommeil l'avait reposée; et elle fit quelques kilomètres assez gaillardement, quoique la faim maintenant lui serrât l'estomac et lui rendit la tête vide, avec des vertiges, des crampes, des bâillements, et qu'elle eût les tempes serrées comme dans un étau. Aussi quand du haut d'une côte qu'elle venait de monter, elle aperçut sur la pente opposée les maisons d'un gros village que dominaient les combles élevés d'un grand château émergeant d'un bois, se décida-t-elle à acheter un morceau de pain.

      Puisqu'elle avait un sou en poche, pourquoi ne pas l'employer, au lieu de souffrir la faim volontairement? à la vérité, quand elle l'aurait dépensé il ne lui resterait plus rien; mais qui pouvait savoir si un heureux hasard ne lui viendrait pas en aide? il y a des gens qui trouvent des pièces d'argent sur les grands chemins, et elle pouvait avoir cette bonne chance; n'en avait-elle pas eu assez de mauvaises, sans compter les malheurs qui l'avaient écrasée?

      Elle examina donc son sou attentivement pour voir s'il était bon; malheureusement elle ne savait pas très bien comment les vrais sous français se distinguent des mauvais; aussi était-elle émue lorsqu'elle se décida à entrer chez le premier boulanger qu'elle vit, tremblant que l'aventure de Saint-Denis ne se reproduisit.

      «Est-ce que vous voulez bien me couper pour un sou de pain?» dit- elle.

      Sans répondre, le boulanger lui tendit un petit pain d'un sou qu'il prit sur son comptoir, mais au lieu d'allonger la main elle resta hésitante:

      «Si vous vouliez m'en couper? dit-elle, je ne tiens pas à ce qu'il soit frais.

      — Alors, tiens,»

      Et il lui donna sans le peser un morceau de pain qui traînait là depuis deux ou trois jours.

      Mais il importait peu qu'il fût plus ou moins rassis, la grande affaire était qu'il fût plus gros qu'un petit pain d'un sou, et en réalité il en valait au moins deux.

      Aussitôt qu'elle l'eut entre les mains, sa bouche se remplit d'eau; cependant quelque envie qu'elle en eût, elle ne voulut pas l'entamer avant d'être sortie du village. Cela fut vivement fait. Aussitôt qu'elle eut dépassé les dernières maisons, tirant son couteau de sa poche, elle dessina une croix sur sa miche de manière à la diviser en quatre morceaux égaux, et elle en coupa un qui devait faire son unique repas de cette journée; les trois autres, réservés pour les jours suivants, la conduiraient, calculait-elle, jusqu'aux environs d'Amiens, si petits qu'ils fussent.

      C'était en traversant le village qu'elle avait fait ce calcul qui lui semblait d'une exécution aussi simple que facile, mais à peine eut-elle avalé une bouchée de son petit morceau de pain qu'elle sentit que les raisonnements les plus forts du monde n'ont aucune puissance sur la faim, pas plus que ce n'est sur ce qui doit ou ne doit pas se faire que se règlent nos besoins: elle avait faim, il fallait qu'elle mangeât, et ce fut gloutonnement qu'elle, dévora son premier morceau en se disant qu'elle ne mangerait le second qu'à petites bouchées pour le faire durer; mais celui-là fut englouti avec la même avidité, et le troisième suivit le second sans qu'elle pût se retenir, malgré tout ce qu'elle se disait pour s'arrêter. Jamais elle n'avait éprouvé pareil anéantissement de volonté, pareille impulsion bestiale. Elle avait honte de ce qu'elle faisait. Elle se disait que c'était bête et misérable; mais paroles et raisonnements restaient impuissants contre la force qui l'entraînait. Sa seule excuse, si elle en avait une, se trouvait dans la petitesse de ces morceaux qui, réunis, ne pesaient pas une demi-livre, quand une livre entière n'eût pas suffi à rassasier cette faim gloutonne qui ne se manifestait si intense sans doute que parce qu'elle n'avait rien mangé la veille, et que parce que les jours précédents elle n'avait pris que le bouillon que La Carpe lui donnait.

      Cette explication qui était une excuse, et en réalité la meilleure de toutes, fut cause que le quatrième morceau eut le sort des trois premiers; seulement pour celui-là elle se dit qu'elle ne pouvait pas faire autrement et que dès lors il n'y avait de sa part ni faute, ni responsabilité.

      Mais ce plaidoyer perdit sa force dès qu'elle se remit en marche, et elle n'avait pas fait cinq cents mètres sur la route poudreuse, qu'elle se demandait ce que serait sa matinée du lendemain, quand l'accès de faim qui venait de la prendre se produirait de nouveau, si d'ici là le miracle auquel elle avait pensé ne se réalisait pas.

      Ce qui se produisit avant la faim, ce fut la soif avec une sensation d'ardeur et d'aridité de la gorge: la matinée était brûlante et, depuis peu, soufflait un fort vent du sud qui l'inondait de sueur et la desséchait; on respirait un air embrasé, et le long des talus de la route, dans les fossés, les cornets rosés des liserons et les fleurs bleues des chicorées pendaient flétris sur leurs tiges amollies.

      Tout d'abord elle ne s'inquiéta pas de cette soif; l'eau est à tout le monde et il n'est pas besoin d'entrer dans une boutique pour en acheter: quand elle rencontrerait une rivière ou une fontaine, elle n'aurait qu'à se mettre à quatre pattes ou se pencher pour boire tant qu'elle voudrait.

      Mais justement elle se trouvait à ce moment sur ce plateau de l'Île-de-France, qui du Rouillon à la Thève ne présente aucune rivière, et n'a que quelques rus qui s'emplissent d'eau l'hiver, mais restent l'été entièrement à sec; des champs de blé ou d'avoine, de larges perspectives, une plaine plate sans arbres d'où émerge çà et là une colline, couronnée d'un clocher et de maisons blanches; nulle part une ligne de peupliers indiquant une vallée au fond de laquelle coulerait un ruisseau.

      Dans le petit village où elle arriva après Écouen, elle eut beau regarder de chaque coté de la rue qui le traverse, nulle part elle n'aperçut la fontaine bienheureuse sur laquelle elle comptait, car ils sont rares les villages où l'on a pensé au vagabond du chemin qui passe assoiffé; on a son puits, ou celui du voisin, cela suffit.

      Elle parvint ainsi aux dernières maisons, et alors elle n'osa pas revenir sur ses pas pour entrer dans une maison et demander un verre d'eau. Elle avait remarqué que les gens la regardaient, déjà d'une façon peu encourageante à son premier passage, et il lui avait semblé que les chiens eux-mêmes montraient les dents à la déguenillée inquiétante qu'elle était; ne l'arrêterait-on pas quand on la verrait passer une seconde fois devant les maisons? Elle aurait un sac sur le dos, elle vendrait, elle achèterait quelque chose qu'on la laisserait circuler; mais, comme elle allait les bras ballants, elle devait être une voleuse qui cherche un bon coup pour elle СКАЧАТЬ