Название: Les liaisons dangereuses
Автор: Choderlos de Laclos
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066073763
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«Malgré tout votre esprit, malgré toute votre adresse à justifier vos intentions, on vous reprochera toujours, monsieur, de présenter à vos lecteurs une vile créature, appliquée dès sa première jeunesse à se former au vice, à se faire des principes de noirceur, à se composer un masque pour cacher à tous les regards le dessein d’adopter les mœurs d’une de ces malheureuses que la misère réduit à vivre de leur infamie. Tant de dépravation irrite et n’instruit pas. On s’écrie à chaque page: «Cela n’est point, cela ne saurait être!» L’exagération ôte au précepte la force propre à corriger. Un prédicateur emporté, fanatique, en damnant son auditoire, n’excite pas la moindre réflexion salutaire: il en a trop dit, on ne le croit pas, ce sont les vérités douces et simples qui s’insinuent aisément dans le cœur; on ne peut se défendre d’en être touché parce qu’elles parlent à l’âme et l’ouvrent au sentiment dont on veut la pénétrer. Un homme extrêmement pervers est aussi rare dans la société qu’un homme extrêmement vertueux. On n’a pas besoin de prévenir contre les crimes, tout le monde en conçoit de l’horreur, mais des règles de conduite seront toujours nécessaires, et ce sera toujours un mérite d’en donner. Vous avez tant de facilité, monsieur, un style si aimable, pourquoi ne pas les employer à présenter des caractères que l’on désire d’imiter? Vous prétendez aimer les femmes? Faites-les donc taire, apaisez leurs cris et calmez leur colère. Vous ne savez pas, monsieur, combien vous regretterez un jour leur amitié; elle est si douce, elle devient si agréable à votre sexe, quand ses passions amorties lui permettent de ne plus les regarder comme l’objet de son amusement. Les hommes s’estiment, se servent, s’obligent même; mais sont-ils capables de ces attentions délicates, de ces petits soins, de ces complaisances continuelles et consolantes, dont l’amitié des femmes fait seule goûter les charmes. Changez de système, monsieur, ou vous vivrez chargé de la malédiction de la moitié du monde, excepté de la mienne pourtant, car je vous pardonne de tout mon cœur et je vous excuserai même autant que je le pourrai, sans me faire arracher les yeux. J’ai l’honneur d’être, monsieur,
«Votre très humble et très obéissante servante,
«Riccoboni.
«Vendredi 19 avril 1782.»
«Vous croire dispensée de me répondre, madame, et vous donner mon adresse, c’est en effet une petite contradiction, mais désirer de recevoir de vos lettres et ne vous pas donner le moyen de me les faire parvenir en eût été une autre. Forcé de choisir, j’ai préféré, je l’avoue, le parti de mes désirs à celui de mes craintes; ce que je ne voulais pas devoir à mon indiscrétion, j’espérais l’obtenir de votre politesse, et il est si difficile de s’arrêter dans ses désirs, que je souhaite actuellement mériter qu’au moins par la suite, votre politesse ne soit plus le seul motif de votre correspondance. Je m’attends encore que cet espoir sera déçu, cependant si je connaissais quelques moyens pour qu’il ne le fût pas, je n’en négligerais aucun. C’est toujours même conduite, comme vous voyez; et que ce soit votre faute ou la mienne, j’ai bien peur de ne me pas corriger; je ne peux pas même gagner sur moi de ne pas trouver une privation dans votre silence! et cependant je me rappelle fort bien d’avoir entendu, comme vous dites, madame, parler de vous à ma grand’mère; j’en parle même encore tous les jours avec mon père, qui n’est plus jeune, et pour tout dire, je ne le suis plus moi-même, mais nos petits-neveux parleront aussi de vous à leur tour, et si après vous avoir lue, ils ne regardaient pas comme une privation de ne plus avoir à vous lire, j’estimerais bien peu le goût de la postérité. Je vous pardonne de me trouver des torts pour le plaisir que je trouve à m’en justifier; il n’en est pas de même de ceux que vous trouvez à mon ouvrage, une longue justification est si près d’être une justification ennuyeuse, qu’il ne faut pas moins que le cas infini que je fais de votre suffrage, pour me donner le courage de revenir sur ces objets.
«Je conviens avec vous, madame, que toutes les campagnes n’offrent point l’aspect d’un joli paysage, et que c’est au peintre à choisir les vues qu’il dessine; mais si quelques-unes vous plaisent par le choix des sites riants, rejetterons-nous entièrement ceux qui préfèrent pour leurs tableaux les rochers, les précipices, les gouffres et les volcans? et la paisible habitante de Paris sera-t-elle autorisée à reprocher au peintre du Vésuve de calomnier la nature? Mais quoi! le même pinceau ne peut-il pas s’exercer tour à tour dans les deux genres? Si je m’en souviens bien, Vernet fit son tableau de la tempête avant celui du calme, et l’un n’a pas nui à l’autre.
«Ce n’est pas que pour mon compte, je m’engage à courir l’autre carrière. Hé! qui osera se croire le talent nécessaire pour peindre les femmes dans tous leurs avantages! pour rendre, comme en lisant, et leurs forces et leurs grâces, et leur courage et même leurs faiblesses! toutes les vertus embellies, jusqu’aux défauts devenus séduisants! la raison sans raisonnements, l’esprit sans prétention! l’abandon de la tendresse et la réserve de la modestie; la solidité de l’âge mûr et l’enjouement folâtre de l’enfance! Que sais-je... mais surtout comment ne pas laisser là le tableau, pour courir après le modèle? Rousseau osa fixer Julie; il essaya de la peindre, il porta l’enthousiasme jusqu’au délire, et vingt fois cependant il resta en dessous de son sujet.
«Sans doute une femme, née avec une belle âme, un cœur sensible et un esprit délicat, peut répandre sur le portrait qu’elle trace une partie du charme qu’elle possède; elle jouit dans son travail d’une paisible facilité; elle ne fait en quelque sorte que donner une contre-épreuve d’elle-même; mais quel homme assez froid, peut faire une étude tranquille d’un modèle enchanteur? Quelle main ne sera pas tremblante? Quels yeux ne seront point troublés?... et si cet homme impassible existe, il ne fera qu’une image imparfaite; dans son tableau sans vie et sans chaleur, je ne retrouverai plus la femme qu’il faut aimer, celle-là ne peut se reconnaître qu’aux transports qu’elle excite; et celui qui les ressent s’occupe-t-il à la peindre.
«Vous voyez, madame, combien je suis loin encore de faire taire les femmes, d’apaiser leurs cris et de calmer leur colère. Heureusement, j’avais déjà quelques-unes d’elles pour amies et mon criminel ouvrage ne m’a point encore attiré leur malédiction. Je me rappelle à ce sujet un mot de Julie, qui disait en parlant de Dieu: «Les réprouvés, dit-on, le haïssent, il faudrait donc qu’il m’empêchât de l’aimer». J’ose dire comme elle, je mets trop de prix à l’amitié des femmes, pour ne pas espérer de la conserver par titre même de noblesse encore. Pour vous, madame, il y aurait sûrement de l’indiscrétion à vous demander plus que de l’indulgence... Je sens qu’il faut m’arrêter ici pour ne pas tomber encore dans une petite contradiction.
«Cette longue lettre ne répond, comme vous voyez, qu’à une partie de la vôtre, et je n’ai même dit encore qu’une partie de mes raisons sur les objets dont j’ai parlé. Si vous craignez un second volume, il sera nécessaire que vous me le fassiez savoir bientôt.
«J’ai l’honneur d’être, etc...»
«Cette lettre n’est, madame, que la continuation de celle que j’ai eu l’honneur de vous écrire il y a quelques jours, il me semble que votre silence me donne le droit de poursuivre, et j’en profite pour éclaircir les objets qui me restent à traiter avec vous.
«Je n’ai point prétendu charger Tartuffe d’un désir incestueux; si je n’ai pas désigné Marianne par le mot de cette fille, c’est qu’écrivant sur un sujet si connu, СКАЧАТЬ