Название: Les liaisons dangereuses
Автор: Choderlos de Laclos
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066073763
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Vous étiez si triste, hier, monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la lettre que vous m’avez écrite. Je n’en sens pas moins aujourd’hui que je ne le dois pas; pourtant, comme je l’ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver l’amitié que j’ai pour vous. A présent que vous le savez, j’espère que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J’espère aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit; parce que sûrement on m’en blâmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J’espère surtout que vous-même n’en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n’aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus être triste comme vous étiez, ce qui m’ôte tout le plaisir que j’ai à vous voir. Vous voyez, monsieur, que je vous parle bien sincèrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours, mais, je vous en prie, ne m’écrivez plus.
J’ai l’honneur d’être,
Cécile Volanges.
De..., ce 20 août 17**.
LETTRE XX
La Marquise de MERTEUIL au Vicomte de VALMONT.
Ah! fripon, vous me cajolez de peur que je me moque de vous? Allons, je vous fais grâce, vous m’écrivez tant de folies qu’il faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre présidente. Je ne crois pas que mon chevalier eût autant d’indulgence que moi, il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J’en ai pourtant bien ri, et j’étais vraiment fâchée d’être obligée d’en rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où m’aurait menée cette gaieté; mais j’ai eu le temps de la réflexion et je me suis armée de sévérité. Ce n’est pas que je refuse pour toujours, mais je diffère et j’ai raison. J’y mettrais peut-être de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où l’on s’arrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre présidente; et si j’allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale! Pour éviter ce danger, voici mes conditions.
Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m’en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n’ignorez pas que dans les affaires importantes on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d’une part, je deviendrai une récompense au lieu d’être une consolation, et cette idée me plaît davantage; de l’autre, votre succès en sera plus piquant en devenant lui-même un moyen d’infidélité. Venez donc, venez au plus tôt m’apporter le gage de votre triomphe: semblable à nos preux chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leurs dames les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, après n’en avoir plus laissé sur sa personne. C’est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut, mais je vous préviens qu’il n’y a rien à rabattre. Jusque-là, mon cher vicomte, vous trouverez bon que je reste fidèle à mon chevalier, et que je m’amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause.
Cependant si j’avais moins de mœurs, je crois qu’il aurait dans ce moment un rival dangereux: c’est la petite Volanges. Je raffole de cette enfant; c’est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cœur se développer, et c’est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur, mais elle n’en sait encore rien. Lui-même, quoique très amoureux, a encore la timidité de son âge, et n’ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à-vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret; particulièrement depuis quelques jours je l’en vois vraiment oppressée et je lui aurais rendu un grand service de l’aider un peu; mais je n’oublie pas que c’est une enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m’a parlé un peu plus clairement, mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l’entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d’en faire mon élève; c’est un service que j’ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu’au mois d’octobre. J’ai dans l’idée que j’emploierai ce temps-là et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente pensionnaire. Quelle est donc, en effet, l’insolente sécurité de cet homme qui ose dormir tranquille, tandis qu’une femme qui a à se plaindre de lui, ne s’est pas encore vengée? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas.
Adieu, vicomte, bonsoir et bon succès, mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n’avez pas cette femme les autres rougiront de vous avoir eu.
De..., ce 20 août 17**.
Pl. III
Fragonard fils inv. Dupréel sc.
Lettre XXI
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