Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon
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Читать онлайн книгу Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon страница 7

СКАЧАТЬ me peignis cette masse de gloire, acquise et conservée pendant des siècles, venant se briser contre la fortune de Bonaparte, il me sembla entendre frémir les mânes des Lisle-Adam, des Lavalette, et je crus voir le temps faire à la philosophie, le plus illustre sacrifice de la plus auguste de toutes les illusions.

      À onze heures, il se présenta une seconde barque avec le drapeau parlementaire: c'étaient des chevaliers qui quittaient Malte; ils ne voulaient point être comptés parmi ceux qui avaient tenté de résister. On put juger par leurs discours que les moyens des Maltais se réduisaient à peu de chose. A quatre heures, la Junon était à une demi portée; j'observai tous les forts, et j'y voyais moins d'hommes que de canons.

      Les portes des forts étaient fermées; ils n'avaient plus de communication avec la ville; ce qui faisait voir la méfiance et la mésintelligence qui existaient entre les habitants et les chevaliers. L'aide de camp Junot fut envoyé avec l'ultimatum du général. Quelques moments après une députation de douze commissaires Maltais se rendit à l'Orient. Nous nous trouvions parfaitement vis-à-vis de la ville, percée du nord au sud, et dont nous avions la vue dans toute la longueur des rues; elles étaient aussi éclairées alors qu'elles avaient été obscures la nuit de notre arrivée.

      Le 13 au matin, nous apprîmes que l'aide de camp du général avait été reçu avec acclamation par les habitants. Avec ma lunette, je distinguai que la grille qui fermait le fort S.-Elme paraissait assaillie par une multitude de gens du peuple: ceux qui étaient dedans étaient assis sur les parapets des batteries sans proférer une parole, dans l'attitude de gens qui attendent avec inquiétude. A onze heures et demie, nous vîmes partir de l'Orient la barque parlementaire qui y était restée la nuit, et en même temps, nous reçûmes l'ordre d'arborer le grand pavillon; un moment après, on nous signala que nous étions maîtres de Malte.

      Cette île devenait une échelle entre notre pays et celui que nous allions conquérir; elle achevait la conquête de la Méditerranée, et jamais la France n'était arrivée à un si haut degré de puissance. A cinq heures nos troupes entrèrent dans les forts et furent saluées par la flotte, de cinq cents coups de canon.

      Nous étions sortis les premiers de Toulon, nous entrâmes les derniers à Malte; nous ne pûmes aller à terre que le 14 au matin. Je connaissais cette ville surprenante; je ne fus pas moins frappé, la seconde fois, de l'aspect imposant qui la caractérise.

      On hésite en géographie si l'on doit attacher Malte à l'Europe ou à l'Afrique. La figure des Maltais, leur caractère moral, la couleur, le langage, doivent décider la question en faveur de l'Afrique.

      Français et Maltais, tous étaient très surpris de se trouver sur le même sol; chez nous c'était de l'enthousiasme, chez eux de la stupéfaction.

      On délivra tous les esclaves turcs et arabes; jamais la joie ne fut prononcée d'une manière plus expressive: lorsqu'ils rencontraient les Français, la reconnaissance se peignait dans leurs yeux d'une manière si touchante, qu'à plusieurs reprises elle me fit verser des larmes; ce fut un vrai bonheur que j'éprouvai à Malte. Pour prendre une idée de leur extrême satisfaction dans cette circonstance, il faut savoir que leur gouvernement ne les rachetait et ne les échangeait jamais, que leur esclavage n'était adouci par aucun espoir: ils ne pouvaient pas même rêver la fin de leurs peines.

      J'allai chercher mes anciennes connaissances: je revis avec un plaisir nouveau les belles peintures à fresque du Calabrese dont les voûtes de l'église de S.-Jean sont décorées, et le magnifique tableau de Michel Ange de Caravage, dans la sacristie de la même église. J'allai à la bibliothèque; et j'y vis un vase étrusque, trouvé au Gose, de la plus belle espèce et pour la terre et pour la peinture. Je fis le dessin d'un vase de verre d'une très grande proportion, celui d'une lampe trouvée de même au Gose, celui encore d'une espèce de disque votif en pierre, portant en bas-relief sur l'une de ses faces; un sphinx avec la patte sur une tête de bélier: le travail n'en est pas précieux, mais il y a trop de style pour laisser douter, que ce morceau ne soit antique; le reste des curiosités est gravé dans le Voyage pittoresque d'Italie.

      On avait trouvé depuis quelques mois une sépulture près la cité, dans un lieu appelé Earbaçeo.

      Le quatrième jour, le général nous donna un souper où furent admis les membres des autorités nouvellement constituées. Ils virent avec autant de surprise que d'admiration l'élégance martiale de nos généraux, cette assemblée d'officiers: rayonnants de santé, de vie, de gloire, et d'espérance; ils furent frappés de la physionomie imposante du général en chef, dont l'expression agrandissait la stature.

      Le mouvement qui avait régné dans la ville à notre arrivée avait fait fermer les cafés et autres lieux publics: les bourgeois, encore étonnés des événements, se tenaient clos dans leurs maisons; nos soldats, la tête échauffée par le soleil et par le vin, avaient épouvanté les habitants, qui avaient fermé leurs boutiques et caché leurs femmes. Cette belle ville, où nous ne voyions que nous, nous parut triste; ces forts, ces châteaux, ces bastions, ces formidables fortifications qui semblaient dire à l'armée que rien ne pouvait plus l'arrêter et qu'elle n'avait plus qu'à marcher à la victoire, la firent retourner avec plaisir à bord. Le vent s'opposait cependant à notre sortie; j'en profitai pour faire trois vues de l'intérieur du port.

      La journée du 19 se passa à courir des bordées devant le port.

      Le matin du 20, le général sortit, laissant dans l'île quatre mille hommes de troupes, commandés par le général Vaubois, deux officiers de génie et d'artillerie, un commissaire civil, et enfin tous ceux qui, poussés par une inquiète curiosité, s'étaient embarqués sans trop de réflexion, qui, par une suite de leur inconstance ou de leur inconséquence, s'étaient dégoûtés sur la route, et qui, fatigués des inconvénients inséparables des voyages, les comptaient au nombre des injustices, qu'à les en croire, on leur faisait éprouver. J'en ai vu qui, peu touchés des beautés de Malte, de la commodité des ports, et de l'avantage de sa situation, trouvaient ridicule qu'un rocher sous le climat de l'Afrique ne fût pas aussi vert que la vallée de Montmorency: comme si chaque contrée n'avait pas reçu des dons particuliers de la nature! Voyager n'est-ce pas en jouir? et ne les détruit-on pas en cherchant à les comparer?

      Si l'aspect de Malte est aride, peut-on voir sans admiration que la plus petite colline qui recèle quelque peu de terre soit toujours un jardin aussi délicieux qu'abondant, où l'on pourrait acclimater toutes les plantes de l'Asie et de l'Afrique? Cette espèce de première serre chaude pourrait servir à en alimenter une autre à Toulon, et, par degré, en amener les productions jusqu'à Paris, sans leur avoir fait éprouver les secousses trop vives qu'occasionne l'extrême différence des climats: peut-être y naturaliserait-on une grande partie des plantes exotiques que nous faisons venir à grands frais chaque année dans nos serres, qui y languissent la seconde année, et y périssent, la troisième. Les expériences déjà faites sur les animaux me semblent venir à l'appui de ce système de graduation.

      Départ de Malte.--La Flotte Française échappe dans une Brume à l'Escadre de l'Amiral Nelson.--Arrivée devant Alexandrie.

      Toute la journée du 20 Juin fut employée à rassembler l'armée, l'escadre légère, et les convois. Vers les six heures on signala de se mettre en ordre de marche: le mouvement fut général dans tous les sens, et produisit la confusion.

      Obligés de céder le passage à l'Amiral, nous nous aperçûmes un peu tard que la frégate la Léoben venait sur nous: l'officier de quart prétendait que la Léoben avait tort, et s'en tint strictement à la tactique; le capitaine, plus occupé de sauver la frégate contre la règle que de donner un tort à la Léoben, ordonna une manoeuvre; l'officier en ordonna une autre: il y eut un moment d'inertie; il ne fut plus temps d'opérer. Je conçus СКАЧАТЬ