Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon
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Читать онлайн книгу Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon страница 6

СКАЧАТЬ trois lieues à l'heure; et mon rêve allait se réaliser, lorsqu'on nous signala de nous rapprocher de l'armée pour passer la nuit avec elle. Je fis, en soupirant de regret, un dessin de ce que je voyais de ces heureuses côtes: c'était un dernier hommage, et, suivant toute apparence, ce fut un éternel adieu.

      La nuit fut belle. J'avais recommandé qu'on m'éveillât si l'on voyait encore la terre au point du jour; à trois heures et demie j'étais sur le pont, et les premiers rayons du jour me firent voir que toute l'armée et le convoi faisant canal avaient marché sur Malte. La Sicile disparut. J'aperçus au sud-ouest, pu plutôt je jugeai le gisement de la Pantellerie aux nues orageuses dont elle s'enveloppe perpétuellement, honteuse sans doute d'avoir de tout temps servi aux vengeances des gouvernements: les Romains y exilaient leurs illustres proscrits; elle recèle encore les prisonniers d'état du roi de Naples.

      Le 8, le ciel fut clair; mais un vent faible nous fit faire peu de chemin; et une chasse que nous fîmes sur un bâtiment inconnu nous sépara de la flotte, que nous ne pûmes rejoindre. On vit un poisson d'environ 80 pieds de long.

      La nuit fut calme, et le point du jour du 20 nous retrouva dans la même position où nous avait laissés le soleil couchant. Nous vîmes au nord-est l'Etna se découper sur l'horizon; j'en reconnus les contours dans tous leurs développements; la fumée s'échappait par son flanc oriental, et accusait une éruption par une bouche accidentelle; il était à 50 lieues de nous, et paraissait encore plus grand que les montagnes de la côte du midi, qui n'en était qu'à 12. À peine le soleil fut-il à quelques degrés d'élévation, qu'il disparut avec l'ombre qui marquait son contour.

      Nous aperçûmes le Gozo à six heures; le soir nous le distinguâmes parfaitement qui rougissait à l'horizon à 7 lieues de distance: nous nous mîmes en panne pour passer la nuit et attendre le convoi. À la pointe du jour, je revis encore l'Etna, dont la fumée s'étendait sur le ciel à plus de 20 lieues de distance comme un long voile de vapeurs. Nous étions alors à 53 lieues de l'île.

      Tous les bâtiments armés passèrent à la poupe du général. Nous n'avions pas encore approché de l'Orient depuis notre départ: cette évolution avait quelque chose de si auguste et de si imposant que, malgré le plaisir que nous avions de nous revoir, nous n'ajoutâmes pas une phrase au bonjour qu'à voix basse nous dîmes en passant.

      Le 9, nous tournâmes à la partie nord du Gozo; c'est un plateau élevé, taillé à pic, et sans abordage: nous côtoyâmes ensuite la partie orientale à demi portée de canon. Ce côté, qui paraît d'abord aussi aride que l'autre, est cependant cultivé en coton; toutes les petites vallées sont autant de jardins.

      Vers le milieu de l'île, il y a un gros village, sous lequel est une batterie, et au sommet le plus élevé un château casematé, fort bien bâti.

      À huit heures, on signala des voiles; on en distinguait trente: était-ce la flotte ennemie? on envoya reconnaître; c'était enfin la division du général Desaix, le convoi de CivitaVecchia, qui avait suivi la côte d'Italie, passé le détroit de Messine, et nous avait précédés de quelques jours devant Malte.

      De même que l'avalanche, qui s'est grossie en roulant des neiges, menace dans sa chute accélérée par sa masse d'entraîner les forêts et les villes, ainsi notre flotte, devenue immense, portait sans doute l'effroi sur tous les parages qui venaient à la découvrir. La Corse avertie n'avait ressenti d'autre émotion que celle qu'inspire un aussi grand spectacle; la Sicile fut épouvantée; Malte nous parut dans la stupeur. Mais n'anticipons pas sur les événements.

      Prise de Malte.

      À cinq heures, nous passâmes devant le Cumino et le Cumin Otto, qui sont deux îlots qui séparent le Gozo de Malte, et composent avec ces deux derniers toute la souveraineté du Grand-Maître. Il y a plusieurs petits châteaux pour garder les îlots des Barbaresques, et les empêcher de s'y établir lorsque les galères de Malte ont fini leur croisière. Une de nos barques allait y aborder; on lui refusa de mettre à terre: son canot fit le tour, et en sonda les mouillages. À six heures, nous vîmes Malte, dont l'aspect ne m'imposa pas moins d'admiration que la première fois que je l'avais vue: deux seules méchantes barques vinrent nous proposer du tabac à fumer. La nuit vint; aucune lumière ne parut dans la ville: notre frégate était par le travers de l'entrée du port à moins d'une portée de canon du fort S.-Elme; on ordonna de mettre toutes les embarcations en mer. À neuf heures, on nous signala de prendre position; le vent était presque nul. L'armée fit des signaux de nuit relatifs à ces mouvements, et à ceux du convoi; on tira des fusées, puis le canon; ce qui fit éteindre jusqu'à la dernière lumière du port. Notre capitaine était allé à bord du général; mais il garda le secret sur les ordres qu'il y avait reçus.

      Le 22, à quatre heures du matin, entraînés par les courants, nous étions sous le vent de l'île, dont nous voyions la partie de l'est; il n'y avait point encore de vent. Je fis une vue de toute l'île, du Gose, et des deux îlots, pour avoir une idée de la forme générale de ce groupe et de sa surface sur toute la ligne horizontale de la mer.

      Il s'éleva une petite brise; on en profita pour former une ligne demi-circulaire, et dont une extrémité aboutissait à la pointe Ste.-Catherine, et l'autre à une lieue à gauche de la ville, et en bloquait le port, nous mîmes le centre par le travers des forts S.-Elme et S.-Ange. Le convoi était allé mouiller entre les îles de Cumino et du Gose. Un moment après on entendit un coup de canon qui partait du fort Ste.-Catherine, et qui était dirigé sur les barques qui s'approchaient de la côte, et le débarquement que commandait Desaix: tout de suite un autre coup se fit entendre du château qui domine la ville; sur le même château l'étendard de la religion fut déployé en même temps, à l'autre extrémité de la circonvallation de nos bâtiments, des chaloupes mettaient à terre des soldats et des canons: à peine formés sur le rivage, ils marchèrent sur deux postes, dont la garnison se replia après un moment de résistance. Alors les batteries de tous les forts commencèrent à tirer sur les débarquements et sur nos bâtiments. J'en fis le dessin. Les forts continuèrent à tirer jusqu'au soir avec une précipitation imprudente qui décelait le trouble et la confusion. À dix heures, nous vîmes nos troupes gravir le premier monticule, et marcher sur les derrières de la Cité Valette, pour s'opposer à une sortie qu'avaient faite les assiégés: ils furent repoussés jusque dans les murs et sous les batteries; la fusillade ne cessa qu'à la nuit fermée. Cette tentative de la part des chevaliers unis à quelques gens de la campagne eut une funeste issue: il y avait eu du mouvement dans la ville, et la populace massacra plusieurs chevaliers à leur rentrée.

      Le vent tombait: nous profitâmes du:-reste de la brise pour nous rapprocher des vaisseaux, dans la crainte de nous trouver par un calme plat à la disposition de deux galères Maltaises, qui étaient venues mouiller à l'entrée du port. J'étais toujours sur le pont, et, la lunette à la main, j'aurais pu faire de là le journal de ce qui se passait dans la ville, et noter, pour ainsi dire, le degré d'activité des passions qui en dirigeaient les mouvements. Le premier jour tout était en armes: les chevaliers en grande tenue, une communication perpétuelle de la ville aux forts, où l'on faisait entrer toutes sortes de provisions et de munitions; tout annonçait la guerre: le second jour, le mouvement n'était plus que de l'agitation; il n'y avait qu'une partie des chevaliers en uniforme; ils se disputaient et n'agissaient plus.

      Le 12, à la pointe du jour, je retrouvai tout dans le même état où je l'avais laissé: on continua un feu lent et insignifiant. Bonaparte était revenu à bord; le général Reynier, qui s'était emparé du Gose, lui avait envoyé des prisonniers; après se les être fait nommer, il leur dit d'un ton indigné: Puisque vous avez pu prendre les armes contre votre patrie, il fallait savoir mourir; je ne veux point de vous pour prisonniers; vous pouvez retourner à Malte tandis qu'elle ne m'appartient pas encore.

      Une barque sortit du port; nous envoyâmes un canot la héler, et la conduire СКАЧАТЬ