Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon
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Читать онлайн книгу Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon страница 15

СКАЧАТЬ consistait en un moulin à blé et à café, une plaque de fer pour cuire les galettes, une grande et une petite cafetière, quelques outres, quelques sacs à grains, et la toile de la tente qui servait d'enveloppe à tout cela. Une poignée de blé rôti, et douze dattes étaient la ration commune des jours de marche, et quelque peu d'eau, qui, vu sa rareté, avait servi à tout avant que d'être bue; mais ces officiers n'ayant eu l'âme flétrie par aucun mauvais traitement, ils ne conservaient aucun souvenir amer d'une condition malheureuse qu'ils n'avaient fait que partager.

      Sans préjugé de religion, sans culte extérieur, les Bédouins sont tolérants: quelques coutumes révérées leur servent de lois; leurs principes ressemblent à des vertus qui suffisent à leurs associations partielles, et à leur gouvernement paternel.

      Je dois citer un trait de leur hospitalité: un officier français était depuis plusieurs mois le prisonnier d'un chef d'Arabes; son camp surpris la nuit par notre cavalerie, il n'eut que le temps de se sauver; tentes, troupeaux, provisions, tout fût pris. Le lendemain, errant, isolé, sans ressource, il tire de ses habits un pain, et en donnant la moitié à son prisonnier, il lui dit: Je ne sais quand nous en mangerons d'autre; mais on ne m'accusera point de n'avoir pas partagé le dernier avec l'ami que je me suis fait. Peut-on haïr un tel peuple, quelque farouche que d'ailleurs il puisse être? et quel avantage lui donne sur nous cette sobriété comparée aux besoins que nous nous sommes faits? comment persuader ou réduire de pareils hommes? n'auront-ils pas toujours à nous reprocher de semer de riches moissons sur les tombeaux de leurs ancêtres?

      Insurrections dans le Delta.--Incendie de Salmie.--Repas Égyptien.

      Tant que nous n'avions pas été maîtres du Caire, les habitants des bords du Nil, regardant notre existence comme très précaire en Égypte, s'étaient soumis en apparence à notre armée lors de son passage; mais, ne doutant point qu'elle ne se fondît bientôt devant leurs invincibles tyrans, ils s'étaient permis, soit pour qu'ils leur pardonnassent de s'être soumis, soit pour se livrer à leur esprit de rapine, de courir et de tirer sur les barques que nous envoyions à l'armée, et sur celles qui en revenaient: quelques bateaux furent obligés de rétrograder, après avoir reçu pendant plusieurs lieues de chemin des coups de fusil, notamment des habitants des villages de Metubis et Tfemi. On envoya contre eux un aviso et quelques troupes: j'étais de cette expédition; les instructions étaient pacifiques; nous acceptâmes leurs soumissions, et emmenâmes des otages. Je fis, pendant les pourparlers qu'exigea notre traité, les vues de Metubis et de Tfemi.

      Quelques jours après, une autre barque partit pour le Caire: on n'entendit plus parler de ceux qui la montaient; et ce ne fut que par les gens du pays que nous sûmes qu'ils avaient été attaqués au-delà de Tua; qu'après avoir été tous blessés, leurs conducteurs s'étaient jetés à l'eau; que, livrés au courant, ils avaient échoué; qu'arrêtés et conduits à Salmie, ils y avaient été fusillés. Le général Menou se crut obligé de faire un grand exemple. Nous partîmes donc avec deux cents hommes sur un demi chebek et des barques; nous mîmes à terre à une demi lieue de Salmie; un détachement tourna le village, un autre suivit le bord du fleuve; la troisième division qui devait achever la circonvallation, était restée engravée à deux lieues au-dessous. Nous trouvâmes les ennemis à cheval, en bataille, devant le village; ils nous attaquèrent les premiers, et chargèrent jusque sur les baïonnettes: les principaux ayant été tués à la première décharge, et se voyant entourés, ils furent bientôt en déroute; la troisième division, qui devait fermer la retraite, n'étant point arrivée à temps, le cheikh et tous les combattants s'échappèrent. Le village fut livré au pillage pendant le reste du jour, et au feu dès que la nuit fut venue: les flammes et des coups de canon tant que durèrent les ténèbres avertirent à dix lieues à la ronde que notre vengeance avait été complète et terrible. J'en fis un dessin à la lueur de l'incendie.

      Nous revînmes à Fua, où nous fumes reçus en vainqueurs qui savaient mettre des bornes à leurs vengeances: tous les cheikhs de la province avaient été convoqués, et s'étaient assemblés; ils entendirent avec respect et résignation le manifeste qui leur fut lu concernant l'expédition, et les bases sur lesquelles allait s'établir la nouvelle organisation de Salmie. On nomma un ancien cheikh à la place de celui que les Français venaient de déposséder et de proscrire; il fut envoyé pour rassembler les habitants épars, et amener une députation, qui arriva le troisième jour. Le détachement qui avait conduit le vieux cheikh avait été reçu avec acclamation. Les députés nous dirent en arrivant qu'ils avaient reconnu la paternité dans la main qui s'était appesantie sur eux; qu'ils voyaient bien que nous ne leur voulions point de mal, puisque nous n'avions tué que neuf coupables, et brûlé que le quart du village: ils ajoutèrent que le feu était éteint, que la maison du cheikh émigré était détruite, et qu'ils avaient offert le reste des poules et des oies aux soldats qui étaient venus terminer les remords qui les tourmentaient depuis trois semaines.

      Nous établîmes une poste ordinaire à Salmie d'accord avec les arrondissements avoisinants, et nous achevâmes notre expédition par une tournée du département. Dans chaque village nous étions reçus d'une manière plus que féodale; c'était le principal personnage du pays qui nous recevait, et faisait payer notre dépense aux habitants. Il fallait connaître les abus avant d'y remédier; séduits d'ailleurs par la facilité que le hasard nous offrait d'observer les coutumes d'un pays dont nous allions changer les moeurs, nous laissions faire encore pour cette fois.

      Une maison publique, qui presque toujours avait appartenu au Mamelouk, ci-devant seigneur et maître du village, se trouvait en un moment meublée, à la mode du pays, en nattes, tapis, et coussins; un nombre de serviteurs apportait d'abord de l'eau fraîche parfumée, des pipes et du café; une demi-heure après, un tapis était étendu; tout autour on formait un bourrelet de trois ou quatre espèces de pain et de gâteaux, dont tout le centre était couvert de petits plats de fruits, de confitures, et de laitage, la plupart assez bons, surtout très parfumés. On semblait ne faire que goûter de tout cela; effectivement en quelques minutes ce repas était fini: mais deux heures après le même tapis était couvert de nouveau d'autres pains et d'immenses plats de riz au bouillon gras et au lait, de demi moutons mal rôtis, de grands quartiers de veaux, des têtes bouillies de tous ces animaux, et de soixante autres plats tous entassés les uns sur les autres: c'étaient des ragoûts aromatisés, herbes, gelées, confitures, et miel non préparé; point de sièges, point d'assiettes, point de cuillers ni de fourchettes, point de gobelets ni de serviettes; à genoux sur ses talons, on prend le riz avec les doigts, on arrache la viande avec ses ongles, on trempe le pain dans les ragoûts, et on s'en essuie les mains et les lèvres; on boit de l'eau au pot: celui qui fait les honneurs boit toujours le premier; il goûte de même le premier de tous les plats, moins pour vous prouver que vous ne devez pas le soupçonner que pour vous faire voir combien il est occupé de votre sûreté, et le cas qu'il fait de votre personne. On ne vous présente une serviette qu'après le dîner, lorsqu'on apporte à laver les mains; ensuite, l'eau de rose est versée sur toute la personne; puis la pipe et le café.

      Lorsque nous avions mangé, les gens du second ordre du pays venaient nous remplacer, et étaient eux-mêmes très rapidement relevés par d'autres: par principe de religion un pauvre mendiant était admis, ensuite les serviteurs, enfin tous ceux qui voulaient, jusqu'à ce que tout fût mangé. S'il manque à ces repas de la commodité et cette élégance qui aiguillonne l'appétit, on peut en admirer l'abondance, l'abandon hospitalier, et la frugalité des convives, que le nombre des plats ne retient jamais plus de dix minutes à table.

      Bataille Navale d'Aboukir.

      Le 1er d'Août, au matin, nous étions maîtres de l'Égypte, de Corfou, de Malte; treize vaisseaux de ligne rendaient cette possession contiguë à la France, et n'en faisaient qu'un empire. L'Angleterre ne croisait dans la Méditerranée qu'avec des flottes nombreuses qui ne pouvaient s'approvisionner qu'avec des embarras et des dépenses immenses.

      Bonaparte, sentant tout l'avantage de cette position, voulait, pour СКАЧАТЬ