Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon
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Читать онлайн книгу Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon страница 14

СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Le moment que nous avait fait perdre cet événement, et les efforts que nous avions faits pour nous tenir au vent en cas que cet homme tombât à la mer, nous avaient fait prendre assez de hauteur pour regagner notre aviso; nous l'escaladâmes assez heureusement, et nous nous retrouvâmes au même point d'où nous étions partis sans savoir plus que tenter. Le vent se calma un peu, mais la mer resta grosse: la nuit vint; elle fut moins orageuse.

      Le général était trop mal pour prendre lui-même une résolution: nous tînmes de nouveau conseil, et nous résolûmes de le mettre de notre mieux dans le canot, pensant que le bâtiment naufragé et les brisants nous serviraient de guide, et qu'en les évitant également nous entrerions dans le Nil: cela nous réussit; au bout d'une heure de navigation nous nous trouvâmes à l'angle de la côte, et tournant tout à coup à droite, nous voguâmes dans le plus paisible lit du plus doux de tous les fleuves, et une demi-heure après au milieu du plus frais et du plus verdoyant de tous les pays; c'était, exactement sortir du Ténare pour entrer par le Léthé dans les Champs-Élysées. Ceci était encore plus vrai pour le général, qui était déjà sur son séant, et ne nous laissait d'inquiétude que sur la profondeur de sa blessure, qu'aucun de nous n'avait osé sonder.

      Nous trouvâmes bientôt à notre droite un fort, et à notre gauche une batterie, qui, autrefois construite pour défendre l'embouchure du Nil, en est maintenant à une lieue; ce qui pourrait donner la mesure de la progression de l'alluvion du fleuve. En effet, la construction de ces forts ne remonte pas au-delà de l'invention de la poudre, et ils n'ont par conséquent pas plus de trois cents ans. Je fis rapidement deux dessins de ces deux points.

      Le premier, à l'ouest du fleuve, présente un château carré, flanqué de grosses tours aux angles, avec des batteries dans lesquelles étaient des canons de vingt-cinq pieds de longueur; le second n'est plus qu'une mosquée, devant laquelle était une batterie ruinée, dont un canon, du calibre de vingt-huit pouces, ne servait plus qu'à procurer d'heureux accouchements aux femmes lorsqu'elles venaient l'enjamber pendant leur grossesse.

      Une heure après, nous découvrîmes, au milieu des forêts de dattiers, de bananiers et de sycomores, Rosette, placée sur les bords du Nil, qui sans les dégrader, baigne tous les ans les murailles de ses maisons. J'en fis la vue avant d'y aborder.

      Rascid, que les Francs ont nommé Rosette, ou Rosset, a été bâtie sur la branche et près de la bouche Bolbitine, non loin des ruines d'une ville de ce nom, qui devait être située à un coude du fleuve, où est à présent le couvent d'Abou-Mandour, à une demi lieue de Rosette: ce qui pourrait appuyer cette opinion, ce sont les hauteurs qui dominent ce couvent, et qui doivent avoir été formées par des atterrissements; ce sont encore quelques colonnes et autres antiquités trouvées en faisant, il y a une vingtaine d'années, des réparations à ce couvent.

      Léon d'Afrique dit que Rascid fut bâtie par un gouverneur d'Égypte, sous le règne des califes; mais il ne dit ni le nom du calife, ni l'époque de la fondation.

      Rosette n'offre aucun monument curieux. Son ancienne circonvallation annonce qu'elle a été plus grande qu'elle n'est à présent; on reconnaît sa première enceinte aux buttes de sables qui la couvrent de l'ouest au sud, et qui n'ont été formées que par les murailles et les tours qui servent aujourd'hui de noyaux à ces atterrissements. Ainsi qu'à Alexandrie, la population de cette ville va toujours en décroissant. On y bâtit peu, et ce qui s'y construit ne se fait plus que des vieilles briques des édifices qui tombent en ruine faute d'habitants et de réparations. Les maisons, mieux bâties en général que celles d'Alexandrie, son cependant si frêles encore, que si elles n'étaient épargnées par le climat qui ne détruit rien, il n'existerait bientôt plus une maison à Rosette; les étages, qui vont toujours en avançant l'un sur l'autre, finissent presque par se toucher; ce qui rend les rues fort obscures et fort tristes. Les habitations qui sont le long du Nil n'ont pas cet inconvénient; elles appartiennent pour la plupart aux négociants étrangers. Cette partie de la ville serait d'un embellissement facile; il n'y aurait qu'à construire sur la rive du fleuve un quai alternativement rampant et revêtu: les maisons, outre l'avantage d'avoir vue sur la navigation, ont encore l'aspect riant des rives du Delta, île qui n'est qu'un jardin d'une lieue d'étendue.

      Cette île devint d'abord notre propriété, notre promenade, et enfin le parc où nous nous donnions le plaisir de la chasse; lequel était doublé par celui de la curiosité, puisque chaque oiseau que nous tuions était une nouvelle connaissance.

      Je pus remarquer que les habitants de la rive gauche du Nil, c'est-à-dire les habitants du Delta, étaient plus doux et plus sociables: je crois qu'il faut en attribuer la cause à plus d'abondance, et à l'absence des Arabes Bédouins, qui, ne traversant jamais le fleuve, les laissent dans un état de paix que les autres n'éprouvent dans aucun moment de leur vie.

      Arabes cultivateurs.--Arabes Bédouins.

      En observant les causes on est presque toujours moins porté à se plaindre des effets. Peut-on reprocher aux Arabes cultivateurs d'être sombres, défiants, avares, sans soins, sans prévoyance pour l'avenir, lorsque l'on pense qu'outre la vexation du possesseur du sol qu'ils cultivent, de l'avide bey, du cheikh, des Mamelouks, un ennemi errant, toujours armé, guette sans cesse l'instant de lui enlever tout ce qu'il oserait montrer de superflu? L'argent qu'il peut cacher, et qui représente toutes les jouissances, dont il se prive, est donc tout ce qu'il peut croire véritablement à lui; aussi l'art de l'enfouir est-il sa principale étude: les entrailles de la terre ne le rassurent pas: des décombres, des haillons, toute la livrée de la misère, c'est en ne présentant que ces tristes objets aux regards de ses maîtres qu'il espère soustraire ce métal à leur avidité; il lui importe d'inspirer la pitié: ne pas le plaindre, ce serait le dénoncer; inquiet en amassant ce dangereux argent, troublé quand il le possède, sa vie se passe entre le malheur de n'en point avoir, ou la terreur de se le voir ravir.

      Nous avions à la vérité chassé les Mamelouks; mais, à notre arrivée, éprouvant toutes sortes de besoins, en les chassant, ne les avions-nous pas remplacés? et ces Arabes Bédouins, mal armés, sans résistance, n'ayant pour rempart que des sables mouvants, de ligne que l'espace, de retraite que l'immensité, qui pourra les vaincre ou les contenir? Tâcherons-nous de les séduire en leur offrant des terres à cultiver? mais les paysans d'Europe qui deviennent chasseurs cessent sans retour de travailler la terre; et le Bédouin est le chasseur primitif; la paresse et l'indépendance sont les bases de son caractère; et pour satisfaire et défendre l'un et l'autre, il s'agite sans cesse, et se laisse assiéger et tyranniser par le besoin. Nous ne pouvons donc rien proposer aux Bédouins qui puisse équivaloir à l'avantage de nous voler; et ce calcul est toujours la base de leurs traités.

      L'envie, fléau dont n'est pas exempt le séjour même du besoin, plane encore sur les sables brûlants du désert. Les Bédouins guerroient avec tous les peuples de l'univers, ne haïssent et ne portent envie qu'aux Bédouins qui ne sont pas de leur horde; ils s'engagent dans toutes les guerres, ils se mettent en mouvement dès qu'une querelle intérieure ou un ennemi étranger vient troubler le repos de l'Égypte; et, sans s'attacher à l'un ou à l'autre des partis, ils profitent de leur querelle pour les piller tous deux. Lorsque nous descendîmes en Afrique, ils se mêlaient parmi nous, enlevaient nos traîneurs, et eussent pillé les Alexandrins, s'ils fussent venus se faire battre hors de leurs murailles. Là où est le butin, là est l'ennemi des Bédouins: toujours prêts à traiter, parce qu'il y a des présents attachés aux stipulations; ils ne connaissent d'engagement que la nécessité. Leur cruauté n'a cependant rien d'atroce: les prisonniers qu'ils nous ont faits, en retraçant les maux qu'ils avaient soufferts dans leur captivité, les considéraient plutôt comme une suite de la manière de vivre de cette nation que comme un résultat de la barbarie; des officiers, qui avaient été leurs prisonniers, m'ont dit que le travail qu'on avait exigé d'eux n'avait rien eu СКАЧАТЬ