L'homme à l'oreille cassée. About Edmond
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Название: L'homme à l'oreille cassée

Автор: About Edmond

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ revoir la figure du colonel. Sa tante eut beau la gronder; malgré les observations de Mlle Sambucco et de tous les assistants, elle rouvrit la boîte de noyer, s'agenouilla devant la momie et la baisa sur le front.

      – Pauvre homme! dit-elle en se relevant; comme il a froid! Monsieur Léon, promettez-moi que s'il est mort, vous le ferez mettre en terre sainte!

      – Comme il vous plaira, mademoiselle. Je comptais l'envoyer au musée anthropologique, avec la permission de mon père; mais, vous savez que nous n'avons rien à vous refuser.

      On ne se sépara pas aussi gaiement à beaucoup près qu'on ne s'était abordé. Mr Renault et son fils reconduisirent Mlle Sambucco et sa nièce jusqu'à leur porte et rencontrèrent ce grand colonel de cuirassiers qui honorait Clémentine de ses attentions. La jeune fille serra tendrement le bras de son fiancé et lui dit:

      – Voici un homme qui ne me voit jamais sans soupirer. Et quels soupirs, grand Dieu! Il n'en faudrait pas deux pour enfler les voiles d'un vaisseau. Avouez que la race des colonels a bien dégénéré depuis 1813! On n'en voit plus d'aussi distingués que notre malheureux ami!

      Léon avoua tout ce qu'elle voulut. Mais il ne s'expliquait pas clairement pourquoi il était devenu l'ami d'une momie qu'il avait payée vingt-cinq louis. Pour détourner la conversation, il dit à Clémentine:

      – Je ne vous ai pas montré tout ce que j'apportais de mieux. S.M. l'empereur de toutes les Russies m'a fait présent d'une petite étoile en or émaillé qui se porte au bout d'un ruban. Aimez-vous les rubans qu'on met à la boutonnière?

      – Oh! oui, répondit-elle, le ruban rouge de la Légion d'honneur! Vous avez remarqué? Le pauvre colonel en a encore un lambeau sur son uniforme, mais la croix n'y est plus. Ces mauvais Allemands la lui auront arrachée lorsqu'ils l'ont fait prisonnier!

      – C'est bien possible, dit Léon.

      Comme on était arrivé devant la maison de Mlle Sambucco, il fallut se quitter. Clémentine tendit la main à Léon, qui aurait mieux aimé la joue.

      Le père et le fils retournèrent chez eux, bras-dessus, bras- dessous, au petit pas, en se livrant à des conjectures sans fin sur les émotions bizarres de Clémentine.

      Mme Renault attendait son fils pour le coucher: vieille et touchante habitude que les mères ne perdent pas aisément. Elle lui montra le bel appartement qu'on avait construit pour son futur ménage, au-dessus du salon et de l'atelier de Mr Renault.

      – Tu seras là dedans comme un petit coq en pâte, dit-elle en montrant une chambre à coucher merveilleuse de confort. Tous les meubles sont moelleux, arrondis, sans aucun angle: un aveugle s'y promènerait sans craindre de se blesser. Voilà comme je comprends le bien-être intérieur; que chaque fauteuil soit un ami. Cela te coûte un peu cher; les frères Penon sont venus de Paris tout exprès. Mais il faut qu'un homme se trouve bien chez lui, pour qu'il n'ait pas la tentation d'en sortir.

      Ce doux bavardage maternel se prolongea deux bonnes heures, et il fut longuement parlé de Clémentine, vous vous en doutez bien. Léon la trouvait plus jolie qu'il ne l'avait rêvée dans ses plus doux songes, mais moins aimante.

      «Diable m'emporte! dit-il en soufflant sa bougie; on croirait que ce maudit colonel empaillé est venu se fourrer entre nous!»

      V – Rêves d'amour et autre

      Léon apprit à ses dépens qu'il ne suffit pas d'une bonne conscience et d'un bon lit pour nous procurer un bon somme. Il était couché comme un sybarite, innocent comme un berger d'Arcadie, et, par surcroît, fatigué comme un soldat qui a doublé l'étape: cependant une lourde insomnie pesa sur lui jusqu'au matin. C'est en vain qu'il se tourna et retourna dans tous les sens, comme pour rejeter le fardeau d'une épaule sur l'autre. Il ne ferma les yeux qu'après avoir vu les premières lueurs de l'aube argenter les fentes de ses volets.

      Il s'endormit en pensant à Clémentine; un rêve complaisant ne tarda pas à lui montrer la figure de celle qu'il aimait. Il la vit en toilette de mariée dans la chapelle du château impérial. Elle s'appuyait sur le bras de Mr Renault père, qui avait mis des éperons pour la cérémonie. Léon suivait, donnant la main à Mlle Sambucco; la vieille demoiselle était décorée de la Légion d'honneur. En approchant de l'autel, le marié s'aperçut que les jambes de son père étaient minces comme des baguettes, et, comme il allait exprimer son étonnement, Mr Renault se retourna et lui dit: «Elles sont minces parce qu'elles sont sèches; mais elles ne sont pas déformées.» Tandis qu'il donnait cette explication son visage s'altéra, ses traits changèrent, il lui poussa des moustaches noires, et il ressembla terriblement au colonel. La cérémonie commença. Le fond du choeur était rempli de tardigrades et de rotifères grands comme des hommes et vêtus comme des chantres: ils entonnèrent en faux bourdon un hymne du compositeur allemand Meiser, qui commençait ainsi:

      Le principe vital Est une hypothèse gratuite!

      La poésie et la musique parurent admirables à Léon; il s'efforçait de les graver dans sa mémoire, lorsque l'officiant s'avança vers lui avec deux anneaux d'or sur un plat d'argent. Ce prêtre était un colonel de cuirassiers en grand uniforme. Léon se demanda où et quand il l'avait rencontré: c'était la veille au soir, devant la porte de Clémentine. Le cuirassier murmura ces mots: «La race des colonels a bien dégénéré depuis 1813!» Il poussa un profond soupir, et la nef de la chapelle, qui était un vaisseau de ligne, fut entraînée sur les eaux avec une vitesse de quatorze noeuds. Léon prit tranquillement le petit anneau d'or et s'apprêta à le passer au doigt de Clémentine, mais il s'aperçut que la main de sa fiancée était sèche; les ongles seuls avaient conservé leur fraîcheur naturelle. Il eut peur et s'enfuit à travers l'église, qu'il trouva pleine de colonels de tout âge et toute arme. La foule était si compacte qu'il lui fallut des efforts inouïs pour la percer. Il s'échappe enfin, mais il entend derrière lui le pas précipité d'un homme qui veut l'atteindre. Il redouble de vitesse, il se jette à quatre pattes, il galope, il hennit, les arbres de la route semblent fuir derrière lui, il ne touche plus le sol. Mais l'ennemi s'approche aussi rapide que le vent; on entend le bruit de ses pas; ses éperons résonnent; il a rejoint Léon, il le saisit par la crinière et s'élance d'un bond sur sa croupe en labourant ses flancs de l'éperon. Léon se cabre; le cavalier se penche à son oreille et lui dit en le caressant de la cravache: «Je ne suis pas lourd à porter; trente livres de colonel!»Le malheureux fiancé de Mlle Clémentine fait un effort violent, il se jette de côté; le colonel tombe et tire l'épée. Léon n'hésite pas; il se met en garde, il se bat, il sent presque aussitôt l'épée du colonel entrer dans son coeur jusqu'à la garde. Le froid de la lame s'étend, s'étend encore et finit par glacer Léon de la tête aux pieds. Le colonel s'approche et dit en souriant: «Le ressort est cassé; la petite bête est morte.» Il dépose le corps dans la boîte de noyer, qui est trop courte et trop étroite. Serré de tous côtés, Léon lutte, se démène, s'éveille enfin, moulu de fatigue et à demi-étouffé dans la ruelle du lit.

      Comme il sauta vivement dans ses pantoufles! Avec quel empressement il ouvrit les fenêtres et poussa les volets! «Il fit la lumière et il vit que cela était bon» comme dit l'autre. Brroum! Il secoua les souvenirs de son rêve comme un chien mouillé secoue les gouttes d'eau. Le fameux chronomètre de Londres lui apprit qu'il était neuf heures; une tasse de chocolat servie par Gothon ne contribua pas médiocrement à débrouiller ses idées. En procédant à sa toilette dans un cabinet bien clair, bien riant, bien commode, il se réconcilia avec la vie réelle. «Tout bien pesé, se disait-il en peignant sa barbe blonde, il ne m'est rien arrivé que d'heureux. Me voici dans ma patrie, dans ma famille et dans une jolie maison qui est à nous. Mon père et ma mère sont bien portants, moi-même je jouis de la santé la plus florissante. Notre fortune est modeste, mais nos goûts le sont aussi et nous ne manquerons jamais de rien. Nos amis m'ont reçu hier СКАЧАТЬ