L'homme à l'oreille cassée. About Edmond
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Название: L'homme à l'oreille cassée

Автор: About Edmond

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ la dessiccation de l'homme. Il à fait sa grande expérience en 1813 sur un colonel français, prisonnier, m'a-t-on dit, et condamné comme espion par un conseil de guerre. Malheureusement, il n'a pas réussi; car j'ai acheté le colonel et sa boîte au prix d'un cheval de remonte dans la plus sale boutique de Berlin.

      IV – La victime

      – Mon cher Léon, dit Mr Renault, tu viens de me rappeler la distribution des prix. Nous avons écouté ta dissertation comme on écoute le discours latin du professeur de rhétorique; il y a toujours dans l'auditoire une majorité qui n'y apprend rien et une minorité qui n'y comprend rien. Mais tout le monde écoute patiemment en faveur des émotions qui viendront à la suite. Mr Martout et moi nous connaissons les travaux de Meiser et de son digne élève, Mr Pouchet; tu en as donc trop dit si tu as cru parler à notre adresse; tu n'en as pas dit assez pour ces dames et ces messieurs qui ne connaissent rien aux discussions pendantes sur le vitalisme et l'organicisme: La vie est-elle un principe d'action qui anime les organes et les met en jeu? N'est-elle, au contraire, que le résultat de l'organisation, le jeu des diverses propriétés de la matière organisée? C'est un problème de la plus haute importance, qui intéresserait les femmes elles-mêmes si on le posait hardiment devant elles. Il suffirait de leur dire: «Nous cherchons s'il y a un principe vital, source et commencement de tous les actes du corps, ou si la vie n'est que le résultat du jeu régulier des organes? Le principe vital, aux yeux de Meiser et de son disciple, n'est pas; s'il existait réellement, disent-ils, on ne comprendrait point qu'il pût sortir d'un homme et d'un tardigrade lorsqu'on les sèche, et y rentrer lorsqu'on les mouille. Or, si le principe vital n'est pas, toutes les théories métaphysiques et morales qu'on a fondées sur son existence sont à refaire.» Ces dames t'ont patiemment écouté, c'est une justice à leur rendre; tout ce qu'elles ont pu comprendre à ce discours un peu latin, c'est que tu leur donnais une dissertation au lieu du roman que tu leur avais promis. Mais on te pardonne en faveur de la momie que tu vas nous montrer; ouvre la boîte du colonel!

      – Nous l'avons bien gagné! s'écria Clémentine en riant.

      – Et si vous alliez avoir peur?

      – Sachez, monsieur, que je n'ai peur de personne, pas même des colonels vivants!

      Léon reprit son trousseau de clefs et ouvrit la longue caisse de chêne sur laquelle il était assis. Le couvercle soulevé, on vit un gros coffre de plomb qui renfermait une magnifique boîte de noyer soigneusement polie au dehors, doublée de soie blanche et capitonnée en dedans. Les assistants rapprochèrent les flambeaux et les bougies, et le colonel du 23ème de ligne apparut comme dans une chapelle ardente.

      On eût dit un homme endormi. La parfaite conservation du corps attestait les soins paternels du meurtrier. C'était vraiment une pièce remarquable, qui aurait pu soutenir la comparaison avec les plus belles momies européennes décrites par Vicq d'Azyr en 1779, et par Puymaurin fils en 1787.

      La partie la mieux conservée, comme toujours, était la face. Tous les traits avaient gardé une physionomie mâle et fière. Si quelque ancien ami du colonel eût assisté à l'ouverture de la troisième boîte, il aurait reconnu l'homme au premier coup d'oeil.

      Sans doute le nez avait la pointe un peu plus effilée, les ailes moins bombées et plus minces, et le méplat du dos un peu moins prononcé que vers l'année 1813. Les paupières s'étaient amincies, les lèvres s'étaient pincées, les coins de la bouche étaient légèrement tirées vers le bas, les pommettes ressortaient trop en relief; le cou s'était visiblement rétréci, ce qui exagérait la saillie du menton et du larynx. Mais les yeux, fermés sans contraction, étaient beaucoup moins caves qu'on n'aurait pu le supposer; la bouche ne grimaçait point comme la bouche d'un cadavre; la peau, légèrement ridée, n'avait pas changé de couleur: elle était seulement devenue un peu plus transparente et laissait deviner en quelque sorte la couleur des tendons, de la graisse et des muscles partout où elle les recouvrait d'une manière immédiate. Elle avait même pris une teinte rosée qu'on n'observe pas d'ordinaire sur les cadavres momifiés. Mr le docteur Martout expliqua cette anomalie en disant que, si le colonel avait été desséché tout vif, les globules du sang ne s'étaient pas décomposés, mais simplement agglutinés dans les vaisseaux capillaires du derme et des tissus sous-jacents; qu'ils avaient donc conservé leur couleur propre, et qu'ils la laissaient voir plus facilement qu'autrefois, grâce à la demi-transparence de la peau desséchée.

      L'uniforme était devenu beaucoup trop large; on le comprend sans peine; mais il ne semblait pas à première vue que les membres se fussent déformés. Les mains étaient sèches et anguleuses; mais les ongles, quoique un peu recourbés vers le bout, avaient conservé toute leur fraîcheur. Le seul changement très notable était la dépression excessive des parois abdominales, qui semblaient refoulées au-dessous des dernières côtes; à droite, une légère saillie laissait deviner la place du foie. Le choc du doigt sur les diverses parties du corps rendait un son analogue à celui du cuir sec. Tandis que Léon signalait tous ces détails à son auditoire et faisait les honneurs de sa momie, il déchira maladroitement l'ourlet de l'oreille droite et il lui resta dans la main un petit morceau de colonel.

      Cet accident sans gravité aurait pu passer inaperçu, si Clémentine, qui suivait avec une émotion visible tous les gestes de son amant, n'avait laissé tomber sa bougie en poussant un cri d'effroi. On s'empressa autour d'elle; Léon la soutint dans ses bras et la porta sur une chaise; Mr Renault courut chercher des sels: elle était pâle comme une morte et semblait au moment de s'évanouir.

      Elle reprit bientôt ses forces et rassura tout le monde avec un sourire charmant.

      – Pardonnez-moi, dit-elle, un mouvement de terreur si ridicule; mais ce que Mr Léon nous avait dit… et puis… cette figure qui paraît endormie… il m'a semblé que ce pauvre homme allait ouvrir la bouche en criant qu'on lui faisait mal.

      Léon s'empressa de refermer la boîte de noyer, tandis que Mr Martout ramassait le fragment d'oreille et le mettait dans sa poche. Mais Clémentine tout en continuant à s'excuser et à sourire, fut reprise d'un nouvel accès d'émotion et se mit à fondre en larmes. L'ingénieur se jeta à ses pieds, se répandit en excuses et en bonnes paroles, et fit tout ce qu'il put pour consoler cette douleur inexplicable. Clémentine séchait ses larmes, puis repartait de plus belle, et sanglotait à fendre l'âme, sans savoir pourquoi.

      «Animal que je suis! murmurait Léon en s'arrachant les cheveux. Le jour où je la revois après trois ans d'absence, je n'imagine rien de plus spirituel que de lui montrer des momies!»

      Il lança un coup de pied dans le triple coffre du colonel en disant:

      – Je voudrais que ce maudit colonel fût au diable!

      – Non! s'écria Clémentine avec un redoublement de violence et d'éclat. Ne le maudissez pas, monsieur Léon! Il a tant souffert! Ah! pauvre! pauvre malheureux homme!

      Mlle Sambucco était un peu honteuse. Elle excusait sa nièce et protestait que jamais, depuis sa plus tendre enfance, elle n'avait laissé voir un tel excès de sensibilité. Mr et Mme Renault qui l'avaient vue grandir, le docteur Martout qui remplissait auprès d'elle la sinécure de médecin, l'architecte, le notaire, en un mot, toutes les personnes présentes étaient plongées dans une véritable stupéfaction. Clémentine n'était pas une sensitive: ce n'était pas même une pensionnaire romanesque. Sa jeunesse n'avait pas été nourrie d'Anne Radcliffe; elle ne croyait pas aux revenants; elle marchait fort tranquillement dans la maison à dix heures du soir, sans lumière. Quelques mois avant le départ de Léon, lorsque sa mère était morte, elle n'avait voulu partager avec personne le triste bonheur de veiller en priant dans la chambre mortuaire.

      – Cela nous apprendra, dit la tante, à rester sur pied passé dix heures; que dis-je! il est minuit moins un quart. Viens, mon enfant; tu achèveras de te remettre dans СКАЧАТЬ