Les moments perdus de John Shag. Auguste Gilbert de Voisins
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СКАЧАТЬ cette pierre levée, et leurs petits pas font quatorze empreintes sur le sable sans poussière, car ils sont sept qui s'amusent dans la nuit et jouent avec le clair de lune.

      A leurs oreilles ne pousse qu'un fin duvet, mais ne te fie pas à leurs façons puériles, bergère qui te plais à compter les étoiles! ils t'assailliraient sans vergogne, avec des gestes gourmands et malicieux.

      Ils ne s'effraient pas de moi; autant qu'un arbre je leur suis familier. Fatigué par sa course, l'un d'eux quitte parfois la danse, vient s'accroupir à mes pieds et me fait des grimaces, en se pinçant la pointe de l'oreille.

      Alors je lui conte l'histoire antique et précieuse de Pan poursuivant Syrinx, et le satyreau sourit et considère la lune d'un œil rêveur. Cette histoire lui paraît d'un bon exemple et il ne se fâche point si j'en varie souvent le détail.

      N'ayant point de Syrinx à poursuivre, ils trottent en rond, mais, soudain, ils tournent à contre-sens, parce que la brise a changé de souffle, et maintenant, un peu étourdis, ils jouent et fuient dans la palmeraie.

      Je les regarde avec complaisance; ils s'évitent et se cherchent, et se dérobent, le dos courbé, et se perdent, et se retrouvent. Ils poussent de petits cris et certains gémissements de plaisir. Ils troublent, au passage, les vols de moucherons.

      Celui qui m'écoutait s'impatiente. Il esquisse une moue et laisse tomber sa lèvre inférieure, faite pour boire aux sources. Tout à coup, il saisit sa flûte, s'évade et va joindre ses compagnons.

      Ils dansent sous la lune qui les regarde; le ruisseau mêle son chant à leurs minces musiques, et les petits sabots laissent quatorze empreintes fines sur le sable mouillé par la pluie de ce soir.

      Et, quand le berger nomade viendra chercher, autour de la pierre qu'il leva, l'an dernier, le souvenir de Miriem, il s'émerveillera de ces quatorze traces insolites, et, seule, une odeur de bouc, répandue par la brise, flattera ses narines.

      17

      LES CLOCHES

      Le vieux venait de mourir.—C'était prévu.

      Depuis longtemps, il se plaignait de cette grosse bête qui faisait du bruit dans sa poitrine et qui lui mordait le cœur. Il avait lutté tant qu'il avait pu. La grosse bête s'était choisie un adversaire de qualité.

      Ces vieux marins sont si imprégnés de sel que leur chair doit être immangeable. La bête n'avait pu se nourrir qu'à petites bouchées, et, parfois, dégoûtée par cette saumure, elle jeûnait quelques semaines. De ce temps de répit, le vieux se servait pour faire un enfant à sa femme.

      Il y avait déjà six mioches dans la petite maison du bord de l'eau, six mioches qui se roulaient dans la poussière, se trempaient dans les dernières vagues, jacassaient, pleuraient, riaient, se querellaient, tout cela, en italien mâtiné d'arabe, avec, de ci, de là, quelques mots français.

      Quand le septième mioche vint au monde, la grosse bête, outrée sans doute que le vieux eut encore assez de sang pour animer un nouvel être, se remit au travail et finit par prendre le dessus.—Durant deux mois, elle fourragea dans la poitrine du vieux, mordit, dépeça, déchira, creva et fit si bien qu'un soir les prunelles du vieux chavirèrent. Alors sa femme fit un signe de croix et se mit à genoux.

      L'aîné des mioches, comprenant ce qui venait de se passer, poussa un long hurlement. Les cinq qui jouaient par terre avec un lambeau de filet firent de même, par imitation, et le petit, dans sa barcelonnette, ayant craché son pouce qu'il suçait, se joignit au chœur funèbre, du mieux qu'il put.

      La mère sanglotait au pied du lit.

      Le mort se composait lentement une figure de cercueil.

      Les enfants beuglaient à l'envi.

      Par la fenêtre, on voyait le soleil qui tombait sur Carthage en averses d'or, et sur les flots en rafales d'argent.—C'était dimanche, un dimanche d'Afrique, fait d'éclats, de feux et d'ombres chaudes.

      Soudain, dans l'air que nul vent n'agitait, une musique prit l'essor.—Les notes s'envolaient, l'une après l'autre, claires ou graves, tristes ou gaies, toutes divines, et le ciel entier fut bientôt plein de leur harmonie.

      Dans la chambre du mort, le chœur funèbre se désorganisa.—La mère arrêta ses sanglots, les mioches, peut-être à bout de souffle, se turent, et le tout petit changea sa clameur aiguë en un roucoulement.—La musique divine venait d'entrer. Elle flottait au-dessus du mort, émouvante, à la fois austère et limpide, mêlant les accords d'une harpe de séraphin à la voix naïve des angelots, unissant des pluies de perles à des chants d'airain.

      La mère se tourna et sourit, le tout petit eut une espèce de grognement joyeux, et l'aîné des mioches, prenant un de ses frères par l'épaule, lui montra les dehors d'un geste vague, puis, la voix pleine d'extase, murmura:

      «Senti che belle campane!»

      Carthage.

      18

      BONHEUR PARFAIT

      C'est l'heure paisible où l'ombre descend.

      Le père médite, au coin du feu la mère tricote, attentive, la fille rêve au jour qui meurt, le fils fume, d'un air satisfait.—Dans quelques instants, ils mangeront en commun, puis, chacun s'en ira dormir, pour trouver des rêves à sa mesure.

      Bonheur parfait! bonheur parfait!… bonheur épanoui, plutôt, et qui se fanera! belle union qui va se dissocier!—Ils sont heureux depuis trop longtemps. Je cherche le point qui menace de pourrir, qui, sans doute, au sein de ce fruit mûr, pourrit déjà.—Se trouve-t-il dans la méditation du père? (un souci d'argent qu'il ne laisse point voir?) dans le travail attentif de la mère? (quelque douleur secrète qui l'épuise?) dans la rêverie de la jeune fille? dans l'air satisfait du jeune homme? au plâtre du plafond qui s'écaille peut-être?… Ah! découvrir la lézarde avant qu'elle ne soit évidente!

      Je vous dis que ce bonheur est trop mûr!

      19

      TROIS STROPHES

      A tes pieds se dresse une rose qui palpite faiblement. Ne la cueille pas, laisse-la vivre. Les roses ont leurs voluptés: quand le soir descend sur elles, ainsi que nous elles soupirent; quand le soleil paraît, elles s'ouvrent à lui, ainsi qu'au vent s'ouvre l'oiseau. Respecte cette rose riante, ronde et radieuse.

      Pourquoi gémis-tu, puisque je t'aime encore, et pourquoi imiter les cris de la palombe? Ne t'attriste pas sur les étangs qui dorment; ils sont heureux: ils rêvent de toi. N'écoute rien, souris et passe, avec, pour seul emblême de puissance, une couronne de fleurs à ton front, et n'imite plus cette palombe plaintive, pure et pérégrine.

      Reste ainsi sans bouger, mais ne me regarde point; regarde la mer d'un long regard de tes longs yeux. Contemple les bateaux qui vont partir. Ils ne seront pas les mêmes au retour. Dis-leur adieu, par un faible abaissement de tes paupières, cependant que, de ma cigarette, se détord une fumée fuyante, fine et fuselée.

      20

      L'EXODE

      L'ombre était noire.

      Les cyprès qui bordent la route faisaient des panaches funèbres, et, de la frondaison d'un noyer, trois corneilles jaillissaient, à chaque instant, pour tournoyer un peu, en poussant СКАЧАТЬ