Les moments perdus de John Shag. Auguste Gilbert de Voisins
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СКАЧАТЬ ce jour! que je vive comme tout le monde, sans souffrir à chaque minute de ta lamentable déclamation, de tes plaintes et de tes sanglots!

      Le crépuscule bleuissait quand je suis rentré chez moi, et, tout de suite, je t'ai entendu: tu faisais bruire un arbre devant ma fenêtre… cela me parut mélodieux, et je voulus écouter. Je croyais que ce bruissement léger saurait me distraire, mais, bientôt, j'y découvris un petit sifflet ironique et fin qui terminait chacun de tes souffles, et je compris que tu te moquais de moi… Oui, j'avais pleuré durant le jour! oui, j'avais souffert amèrement! pourquoi m'en défendre? c'est là le commun destin des hommes!… mais toi, pourquoi m'as-tu raillé? car tu m'as raillé cruellement et ton petit sifflet, qui recommençait toujours, était, en vérité, trop peu charitable!

      «Tu souffres mal!» disait ta voix de flageolet «Tu souffres mal!»… Eh quoi! je souffrais à ma façon! Je souffre avec les forces dont je dispose, sans affectation, je te le jure! et, toujours, le flageolet répétait: «Tu souffres mal!»

      Alors, j'ai commencé à marcher de droite et de gauche, dans ma chambre, et toi, au dehors, tu ne cessais pas, mais, bientôt, tu changeas de manière: tu te mis à me plaindre… non pas fraternellement, comme un ami, mais d'une voix plus humaine que ma voix.

      Oh! quelles affreuses plaintes tu sus inventer! oh! les cruelles trouvailles!… Je reconnaissais, dans tes gémissements, les sanglots de ceux que j'ai le plus aimés, les déplorations de mes morts les plus chers… et c'était horrible, ces souvenirs qui m'assaillaient, car tu avais soin, par un raffinement dans la torture, de ridiculiser ces précieuses voix! Tu les salissais, tu les avilissais d'odieuse façon… Oh! l'injurieux outrage!… oh! vent cruel!

      Et puis enfin, lassé de ton jeu, tu te mis à hurler!… Alors!… alors!… je sentis bien que je ne pouvais souffrir davantage et je me bouchai les oreilles, mais tes cris étaient les plus forts, ils m'atteignaient toujours! Tu criais dans ma cervelle et mon crâne résonnait comme une cloche!

      Tu te faisais l'écho de tous les hurlements que l'on prête aux damnés, aux damnés les plus malheureux: à ceux qui ont gardé un peu d'espoir! Tu beuglais, tu rugissais, tu hennissais, et ces hennissements étaient aussi des râles… puis, soudain, tu coupais le tumulte par un petit sanglot, un tout petit sanglot d'enfant malade et qui ne veut pas mourir.

      Va-t'en! va-t'en! va souffler dans les forêts, sur la mer ou sur la montagne, mais laisse cette ville où je suis! Va-t'en! laisse-moi! laisse-moi en paix! je t'en supplie!… Il me semble, maintenant que tu t'es attaqué à moi, que jamais tu ne me quitteras plus, et j'ai terriblement peur qu'à mon dernier soir, tu ne viennes, dans la chambre où je reposerai, agiter vaguement mon linceul, pour que les assistants de ma veillée funèbre pensent qu'il reste en moi un peu de vie encore et tardent, quelques instants de plus, à m'ensevelir!

      Marseille.

      13

      DANSE CHANTÉE

      Une toile jaune couvre la cour et l'abrite du ciel.

      C'est là, c'est entre une fontaine et un figuier, que tu vas apparaître.—Te voici, portant une écharpe rouge; te voici tout à fait nue.—Déjà tu marches comme un faunillon et tu bondis comme une chatte.—Tu t'arrêtes, semblant d'abord écouter les échos, puis tu regardes autour de toi.—Il n'y a rien qui te blesse, et l'on ne voit ni la lune, ni les étoiles, sans cela tu me les demanderais.—Alors, tu danses: tu secoues tes bras aux clinquants d'or et ta tête échevelée; tes pas sont de velours: tu vas surprendre une libellule; ta bouche devient narquoise: tu te moques d'un rossignol, et, tout soudain, tandis que tes bras retombent, tu te dresses en figure de jet d'eau.—Mais, particulièrement, ta jambe est émouvante. Je la vois, souple et brune. Je la considère, je la respecte, je l'aime comme une personne. Je t'assure que ta jambe est plus vivante que toi; deux ailes invisibles y sont greffées, car, maintenant, tu voles et tournoies, ainsi qu'un bel oiseau.—Ton voile est déplié, tu te blottis sous lui, et le voile semble une flamme, une flamme dans la nuit.—Ta jambe esquisse un geste dans l'air; tu pointes un pied nu, tu le retires… Tout à coup, sur ce pied, ton corps s'effondre et la flamme rouge se pose sur toi et t'ensevelit.—Tu n'es plus qu'un tas léger de choses agonisantes, bientôt mortes, mais ta jambe dépasse, ta jambe vit encore!

      Ah! tu as été belle! et, de quinze jours, je ne te battrai plus, comme je fais, chaque soir, pour te donner une âme!

      14

      NOCTURNE

      Je tâche de distinguer avec précision, comme je distinguerais les qualités d'un insecte, le bruit, le geste, le parfum nombreux qui composent l'agrément de cette salle de restaurant.

      Après le théâtre, où je ne sus me plaire, j'y suis venu passer une heure joyeuse. Je veux donc participer au plaisir qui m'environne, me mettre d'accord avec lui, trouver enfin des raisons pour rire, au milieu de ces gens qui finissent par rire sans raison, vaguement, aux anges, à la manière des petits enfants.

      Alentour, il y a un grand frisson de voix. On dirait, sous un vent continu, le frisson des feuilles mortes. Cette harmonie n'a plus de sens: elle est un murmure naturel et je voudrais m'y plaire, comme je me plais aux paroles de la forêt, où, s'il ne se trouve plus de dryades vivantes, du moins peut-on surprendre l'écho lointain de leurs chansons dans le soupir que les feuilles ont retenu.

      De même que certains soleils couchants, malgré leur excès de coloris, plaisent au regard et ne lassent point, de même, dans cette salle basse, les lampes forment un fond de clarté auquel on s'habitue. Leur éclat rose concerte avec le blanc des nappes en vue d'un agréable effet, et l'imprévu du clinquant d'un bijou, de l'étoile née soudain sur un bracelet de femme, la clarté vive d'une allumette, la note fine d'un verre que l'on brise, étonnent sans déplaire. Il en va pareillement du bruit des voix, pareillement du parfum lourd qui plane, où se mêlent les odeurs de mille végétaux inconnus.

      Tout cela est anonyme. Une voix personnelle, le piquant d'une senteur vinaigrée sont les parties de solo dans cette orchestration composite: chant d'un hautbois, d'une clarinette, ou brusque appel de cuivre qui va bientôt se fondre dans le cliquetis et le gazouillis général.

      Et, tout en buvant, je me laisse prendre par cette marée de parfums et de sons. Je perds pied. Je vogue et je flotte. Les beaux chapeaux des femmes semblent d'immenses fleurs marines, écloses au ras de la houle, et les garçons qui s'empressent avec de rapides plongeons sont les dauphins noirs de cette mer tropicale.

      Les fleurs s'agitent… les vagues s'ouvrent… la mer moutonne… Un invraisemblable soleil blanc éclaire tout cela… Une brise tzigane nous évente…

      Je crois… oui… je crois que je suis ivre.

      Maxim.

      15

      INSCRIPTION TROUVÉE SUR UN VIEUX MUR

      En me voyant composer un poème où je chantais votre beauté, le rossignol s'est moqué de moi:

      «Pourquoi célébrer ton amour, me dit-il, puisque celle que tu chéris habite une contrée lointaine et ne pense pas à toi?

      –Pourquoi, lui répondis-je, ô rossignol! chantes-tu plus clair quand tu vois le reflet de la lune dans l'eau?»

      16

      CAPRIPÈDES AFRICAINS

      Ils trottent, tous en file, autour d'une pierre que le berger nomade a levée, l'an dernier, pour marquer le lieu où il vit, avec le crépuscule, descendre, СКАЧАТЬ