Les moments perdus de John Shag. Auguste Gilbert de Voisins
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СКАЧАТЬ que des ornements… Ecoute-moi! La source très lointaine que je rappelle à mon souvenir, jadis, j'y fus plonger ma face. La source était fraîche… elle n'a rien perdu de sa fraîcheur. Quitte tes assiettes de faïence: elles gagneront en beauté.—Une heure fait un souvenir que l'absence rend plus cher.

      –Ne puis-je donc imaginer?

      –Non, puisque tu n'as rien vu.

      –Ne puis-je sentir sur ma joue le souffle des palmes balancées?

      –Non, car jamais elles ne t'éventèrent.—On rêve des seules choses que l'on a pu toucher ou de celles, trop distantes pour être atteintes, mais que l'on aperçut.

      –Pourquoi partir, si l'ennui me ramène?

      –L'ennui trébuche, dès que je ferme les yeux, car, aussitôt, dans l'ombre, je vois une féerie, comme font les spirites dans un cristal.—Et toi? quels sont tes souvenirs?

      –Je ne me souviens que de moi-même ou d'histoires inventées.

      –Alors, viens avec moi! Je te montrerai de vivantes oasis, la lune rouge qui s'élève des sables, une fille nue avec des sources bouillonnant autour, des flamants, ces grandes fleurs de l'air, aux tiges élancées, le doigt de l'aurore sur la dune, et tu respireras tous les jasmins du soir.

      –Ne me perdrai-je pas entre tant de choses nouvelles? Ne regretterai-je pas?

      –Non, car nous reviendrons emplir ici nos gourdes et boirons l'eau natale avant de repartir.»

      Les hirondelles de mon toit vinrent en piaillant m'entourer d'un cercle d'ailes, mais je pus m'évader et je suivis le Voyageur.

      9

      CORINNE

      Je fus présenté à Corinne, aujourd'hui même, à l'heure où elle mange des gâteaux et boit du thé.

      Corinne est une femme exquise.—Dès le premier instant, elle m'avoua qu'elle ne vivait plus que dans l'attente de ma visite, puis, ayant sucré les tasses des autres invités, elle m'entraîna dans un coin du salon où une lampe voilée de mauve donnait de la pénombre, et m'entreprit sur mon dernier voyage.

      Elle m'assura que son plus cher désir était de voir une forêt de palétuviers, que son âme se sentait prisonnière dans ce grand Paris ennemi, que j'avais compris le tourment de sa solitude, les nuances de sa tristesse, la qualité de ses plaisirs, et qu'enfin mon dernier livre, d'une forme incomparable, souverain par l'inspiration, l'émouvait de façon prodigieuse.

      Je feignis d'être flatté, bien que le volume dont elle parlait avec un enthousiasme si convaincu, traitât de la mévente des céréales en Egypte.

      Corinne me dit, aussitôt après, que le mariage précoce de sa fille l'inquiétait fort, que le décès de son oncle la désolait, que l'art contemporain ne pouvait être compris que par elle et par moi, qu'elle devinait, sous mon apparente froideur, une blessure (mais que certains baumes dont elle avait le secret…) que le temps menaçait de tourner à l'orage et que l'expression de mes yeux était inoubliable.

      Corinne s'interrompit, un moment, pour recevoir deux sénateurs, une vieille actrice, un poète et un attaché d'ambassade, puis, elle me demanda qui j'aimais, me dit le nom de son amant, m'assura que sa chance au jeu faiblissait, que le parfum de son mouchoir résultait d'un mélange et qu'elle croyait en Dieu.

      Corinne se confie ainsi à chacun. Elle se montre par besoin. Elle ne peut faire autrement.

      Corinne a les défauts de l'exhibitionniste.

      Demain, sans doute, elle m'avouera qu'elle porte un signe à la cuisse gauche.

      10

      LE PRIAPE

      Le vieux priape était debout au coin du champ de Flaccus, et depuis si longtemps que nul ne se souvenait du jour où il ne s'y trouvait pas.

      Indécent et monstrueux, avec des coquelicots à ses pieds et un nid d'oiseau sur sa tête, il voyait, tous les matins, le soleil se lever au-dessus de la colline, à sa droite, et, chaque soir, à sa gauche, un dernier rayon frapper le marbre éternel du temple consacré à Diane.

      Le vieux priape était vénérable par sa figure, s'il ne l'était point par son geste. Une belle barbiche ornait son menton de boucles drues, ses joues étaient ornées de mousses qui rendaient velues et grises sa poitrine et ses épaules. Dans ses oreilles pointues, des graines avaient germé et cela lui mettait, de chaque côté du visage, une parure de touffes vertes. Ses yeux, petits et bridés, souriaient sans cesse. Il était connu à la ronde pour sa grande bonté, et nul, jamais, ne l'invoqua sans être exaucé, à moins que la prière ne fût sacrilège, ou cynique, ou démesurée, ce qui arrivait souvent.

      Or, bien que l'agreste dieu eût les hommages de tous les passants, il s'ennuyait quelquefois. Depuis si longtemps qu'il était seul, montrant sa fièvre à chacun, il n'avait encore pu la prouver à personne.

      Un jour, la fille de l'esclave qui nettoyait le temple de Diane passa près du vieux priape, s'arrêta court, et…

      Non, elle ne lui fit pas l'offrande d'une couronne de fleurs ni d'une grappe de raisins; elle ne lui dit pas ces paroles naïves et bien rythmées qui font toujours plaisir à un dieu bienveillant, elle n'articula même pas une prière, mais, les pieds en dedans, les cheveux défaits, un doigt dans le nez et les yeux mi-clos, elle éclata de rire.

      «Pourquoi ris-tu, petite bête? dit le vieux priape, courroucé. Ne m'as-tu pas vu, chaque jour, quand tu rentrais du temple? Et qu'ai-je donc de si étrange, à cette heure?»

      Mais, devant le priape indécent et monstrueux, sur l'oreille duquel un rouge-gorge venait de se poser, la petite fille riait toujours, immobile, les pieds en dedans.

      Alors, le dieu, s'animant, jaillit de la gaine de bois qui le retenait au coin du champ de Flaccus, emporta la petite fille dans un fourré, et, vivement, abondamment, joyeusement, la viola, sans reprendre haleine, à la façon fréquente et valeureuse qui singularise les dieux pastoraux, puis il regagna sa place ancienne, reprit son ancienne posture, et le berger de Flaccus reçut le fouet pour avoir violé la petite fille. Même, pris de peur, il avoua.

      11

      L'ESCALIER ROSE

      D'où vient donc le mystère, le mystère charmant de cet escalier rose?

      C'est un petit escalier, tout simplement, un petit escalier rose. Sa première marche a pour palier le ras du trottoir, puis il monte tout droit dans la maison. Il est rose. Il est très rose. Sa pierre est ornée de faïences roses. Assis sur l'une des plus hautes marches, un chat se lèche pensivement la patte. Ce doit être le gardien du lieu, le génie, le dieu lare.

      Chat! beau chat couleur de nuit! parle-moi de l'escalier rose! Tu dois en savoir long sur la demeure, sur les secrets de la demeure et sur les habitants. Mais, avant, parle-moi de l'escalier rose!

      Ah! que se passe-t-il donc là? D'où vient le mystère charmant de cet escalier rose!

      Tanger.

      12

      PRIÈRE AU VENT

      Oh! tais-toi! tais-toi!… Je t'ai entendu, toute la nuit, depuis l'heure où j'ai commencé СКАЧАТЬ