Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ que le comte de Grignan eut fait tirer deux décharges de canon, Berkoffer fit battre la chamade109, et M. de Beaufin fut admis dans la place. Le gouverneur promit de se rendre le 17, et l'on donna des otages de part et d'autre. Berkoffer avait assez d'artillerie pour faire acheter cher le triomphe aux assiégeants; mais il eût fallu abîmer la ville, ruiner ses amis: il aima mieux se rendre.

      Le 18 novembre (1673), la garnison sortit de la citadelle sans aucune marque d'honneur; elle se composait de trente et un hommes; tous eurent la liberté d'emporter ce qui leur appartenait. Berkoffer se retira en Hollande avec sa famille110.

      Le comte de Grignan fit démanteler la citadelle deux jours après son entrée; il y trouva douze canons de trente-six de balles de bronze, quarante petites pièces de campagne, deux coulevrines et onze autres pièces de moyen calibre, sept cents mousquets, deux cents fusils, des piques, des mousquetons, des obus, douze mille livres de poudre: il y avait de quoi armer une garnison de quatre mille hommes.

      Huit jours après la reddition de la citadelle d'Orange, le comte de Grignan, conformément aux ordres qu'il avait reçus du roi, fit travailler à la démolition entière de la citadelle; mais ce travail ne put être terminé que dans le mois de mai suivant (1674). Le puits, qui avait 83 toises de profondeur et 30 de circonférence, fut comblé.

      Le comte de Grignan s'était retiré aussitôt après avoir vu commencer la démolition de la place, et avait laissé la direction des travaux à Lausier111, son capitaine des gardes, qui commandait aux quatre compagnies des soldats de galères. Le comte de Grignan fut escorté à son retour par toute la noblesse de Provence et du comtat d'Avignon, qui l'avait volontairement suivi dans cette petite campagne112. La joie de madame de Sévigné fut grande quand elle en connut le glorieux résultat113. «J'embrasse le vainqueur d'Orange» (dit-elle dans sa lettre à sa fille)… «L'affaire d'Orange fait ici un bruit très-agréable pour M. de Grignan. Cette grande quantité de noblesse qui l'a suivi par le seul attachement pour lui, cette grande dépense, cet heureux succès, car voilà tout; tout cela fait honneur et donne de la joie à ses amis, qui ne sont pas ici en petit nombre. Le roi dit à souper: «Orange est pris; Grignan avait sept cents gentilshommes avec lui. On a tiraillé du dedans, et enfin on s'est rendu le troisième jour. Je suis fort content de Grignan114

      Mais, comme l'observe madame de Sévigné, après avoir gagné cette bataille d'Orange il fallait en commencer une autre contre l'évêque de Marseille115; et, le lendemain du jour où elle écrivait ces lignes (le 5 décembre 1673), l'assemblée des communautés de Provence, siégeant à Lambesc, s'ouvrait «par authorité et permission de monseigneur le comte de Grignan, lieutenant général, commandant pour le roy au païs, et par mandement de messieurs les procureurs dudit pays, et par M. de Gerard, comte palatin, conseiller du roy en ses conseils, commissaire député, par mondit seigneur le comte de Grignan, pendant la maladie ou absence du seigneur de Rouillé, comte de Melay116

      Mais de Rouillé, qui n'était ni malade ni absent, ouvrit le lendemain les délibérations par un assez long discours. Il demanda au nom du roi à l'assemblée de voter le don gratuit de 500,000 francs, la même somme qui avait été accordée l'année précédente. De Rouillé prétendait seulement exciter des sujets fidèles à remplir leur devoir envers leur souverain. «Si vous faites comparaison, disait-il117, de ce temps-ci avec celui des troubles et des désordres passés de cette province, vous reconnaîtrez encore mieux que votre bonheur est un pur effet de sa bonté et de sa clémence, que votre obéissance et vos soumissions vous ont acquis et vous peuvent conserver.»

      Cependant de Rouillé, quittant le ton d'un servile courtisan, fait valoir, pour déterminer le vote de l'assemblée, des considérations plus justes et des motifs plus réels. La déclaration de guerre de l'Espagne a forcé le roi d'augmenter le nombre de ses armées de terre et de mer, et il est nécessaire pour le bien du royaume «qu'il fasse trembler toute la maison d'Autriche, et qu'il abaisse à ses pieds l'orgueil de cette république, autant ingrate qu'elle est insolente et ambitieuse, qui doit à la couronne de France toute son élévation et sa grandeur.»

      «Vous n'ignorez pas, ajouta-t-il118, messieurs, que Sa Majesté emploie tous les ans dans cette province des sommes de deniers beaucoup plus grandes qu'elle n'en retire; et que les dépenses qu'elle fait à Toulon et à Marseille pour la construction, l'armement et l'entretien des vaisseaux et des galères, ou pour réparer ou fortifier ces places et les autres ports et lieux maritimes de ce pays, y apportent l'abondance par l'augmentation du commerce, par le débit et la consommation de vos denrées et par l'emploi de toutes sortes d'artisans et d'ouvriers, qui y trouvent leur subsistance et le soutien de leurs familles.»

      L'évêque de Marseille répondit à l'intendant avec plus de dignité et de convenance. «Comme vous connaissez, monsieur, lui dit-il, notre zèle, vous connaissez aussi notre faiblesse; et il faut, s'il vous plaît, que, comme vous êtes l'homme du roi par votre caractère, vous soyez l'homme du peuple par votre générosité. Le roi aura sujet dans cette occasion d'être satisfait de la province, parce qu'elle ira pour son service aussi loin que ses forces le lui permettront; et il le sera en effet si vous employez, pour lui représenter les misères et les besoins du peuple, cette vivacité et cette lumière d'esprit que vous venez de montrer pour représenter à l'assemblée les besoins et les intentions de Sa Majesté.»

      L'assesseur Decorio réitéra les condoléances sur la misère générale: «Les riches même n'ont point d'argent pour secourir les pauvres et les faire travailler. Les sources du commerce se trouvent taries par les nouveaux édits créant de nouveaux impôts, soit pour les contrôles des exploits, pour l'enregistrement des oppositions, pour conserver les hypothèques, les greffes des arbitrages, et le papier timbré.» Cependant il conclut à l'adoption de la proposition sur le don gratuit. Les 500,000 francs furent accordés, et l'assemblée décida en outre qu'il serait, comme précédemment, envoyé un courrier à la cour119, dont la dépense fut réglée, selon le taux habituel, à la somme de mille livres.

      Après ce vote, qui, quoique le plus important, préoccupait peu, vu qu'il était considéré comme un vote obligatoire et de pure forme, vint l'affaire qui tenait tous les esprits suspendus, parce que tous les membres de l'assemblée avaient pris parti soit pour l'évêque de Marseille, soit pour le comte de Grignan, dont les intérêts étaient en présence. Il était impossible que le vote qui allait intervenir pût donner satisfaction à l'un des deux rivaux sans offenser l'autre.

      L'assesseur déclara à l'assemblée que M. le marquis de Maillanne de la Rousselle, procureur du pays-joint pour la noblesse, étant décédé, il fallait pourvoir à son remplacement120; et l'intendant dit que M. de Pomponne lui avait écrit que le roi trouvait bon que l'assemblée fît cette nomination avec une pleine et entière liberté.

      Nonobstant cette déclaration, le plus grand nombre des membres de l'assemblée ne doutaient pas que le roi n'eût fait un choix, et ils désiraient le connaître pour s'y conformer. Le succès du siége d'Orange avait déterminé le roi à donner toute satisfaction au comte de Grignan; et ce fut l'évêque de Marseille, dont l'influence sur l'assemblée était connue, qu'il chargea d'empêcher toute division et de réunir tous les votes sur le marquis de Buous. On ignorait cela, et l'attention fut grande lorsque l'évêque de Marseille, procureur-joint du clergé, prit la parole.

      Il exposa que, se trouvant à la cour pour d'autres affaires lorsque cette place de procureur-joint pour СКАЧАТЬ



<p>109</p>

Relation, etc., ms. d'Aubenas, p. 277.—Mémoires historiques et galants de madame DUNOYER, t. VIII, p. 12 à 17.

<p>110</p>

Relation, etc., p. 279.

<p>111</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er janvier 1690), t. X, p. 162, édit. G.; t. IX, p. 275, édit. M.

<p>112</p>

Relation de ce qui passa dans le rasement du château d'Orange, ms. d'Aubenas, p. 283 et 284.

<p>113</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 décembre 1673), t. III, p. 246 et 247, édit. G.; t. III, p. 157, 158, édit. M.

<p>114</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 et 11 décembre 1673), t. III, p. 254-259, édit. G.; t. III, p. 154 et 169, édit. M.

<p>115</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 décembre 1673), t. III, p. 247, édit. G.; t. III, p. 164, édit. M.

<p>116</p>

Abrégé des délibérations prises en l'assemblée générale des communautés du pays de Provence; Aix, Charles David, imprimeur du roi, du clergé et de la ville, 1674, in-4o, p. 3.

<p>117</p>

Abrégé des délibérations, etc.; Aix, 1674, in-4o, p. 4.

<p>118</p>

Abrégé des délibérations, etc.; Aix, 1674, in-4o, p. 5 et 6.

<p>119</p>

Abrégé des délibérations, p. 11, 12 et 18.

<p>120</p>

Abrégé des délibérations, etc., p. 30.