Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ les jouissances qui caractérisent le luxe ou la dépravation d'une grande ville. Le maître de l'établissement et tous ceux qui étaient sous ses ordres devinaient à vos gestes, à vos regards, si vous vouliez garder l'incognito; et tous ceux qui vous servaient, et dont vous étiez le mieux connu, paraissaient ignorer jusqu'à votre nom. Votre entrée et votre séjour dans cette maison étaient pour eux comme un secret d'État, qu'ils ne révélaient jamais. Aussi c'était chez le baigneur que les femmes qui ne pouvaient autrement échapper aux yeux qui les surveillaient se rendaient déguisées, le visage masqué, seules, ou conduites par leurs amants. Enfin de jeunes seigneurs, amis des plaisirs sans contrainte, ou d'une vie peu réglée, faisaient la partie de se rendre ensemble chez le baigneur, et y séjournaient quelquefois plusieurs jours, afin de se livrer plus facilement et plus secrètement à leur goût pour le jeu, le vin et la débauche. Pourtant cette maison était tellement grande et si bien distribuée en corps de logis séparés, que les personnes sages, tranquilles ou infirmes, que des motifs de santé ou les aisances qu'on y trouvait y avaient conduites, n'étaient nullement troublées par ces hôtes bruyants et dissolus: elles ne pouvaient même soupçonner leur présence dans un lien où régnaient toujours pour elles l'ordre, la décence et un calme profond.

      La faculté de tenir un établissement de ce genre était une sorte de privilége exclusif, qui ne pouvait s'exercer qu'au moyen d'un haut patronage. C'était donc pour ceux qui y étaient propres, et qui n'y répugnaient pas, un moyen assuré de faire fortune. Ils étaient nécessairement les intermédiaires de beaucoup d'intrigues, les confidents de plusieurs grands personnages, les dépositaires d'importants secrets. Aussi les écrits du temps, qui se taisent sur plusieurs faits historiques, nous ont fait connaître le nom du plus fameux baigneur de cette époque: ce fut Prudhomme71, auquel succéda plus tard La Vienne, chez lequel le roi lui-même, dans le temps de ses premières amours, allait se baigner et se parfumer. La Vienne devint par la suite son premier valet de chambre72.

      Nos lecteurs, qui savent actuellement ce que c'était que le baigneur, comprendront mieux la réponse que fit à Bussy madame de Sévigné. Elle ne fut pas dupe de la feinte de son cousin, ou elle fut instruite de quelle manière il avait passé la nuit la veille de son départ. La lettre de Bussy lui était parvenue à Livry, et c'est de ce lieu que sa réponse est datée, le 26 juin:

      «Je me doutais bien que tôt ou tard vous me diriez adieu, et que si ce n'était chez moi, ce serait du camp devant Landrecies. Comme je ne suis pas une femme de cérémonie, je me contente de celui-ci, et je n'ai pas songé à me fâcher que vous eussiez manqué à l'autre. Je m'étais déjà dit vos raisons, avant que vous me les eussiez écrites; et je suis trop raisonnable pour trouver étrange que la veille d'un départ on couche chez le baigneur. Je suis d'une grande commodité pour la liberté publique; et pourvu que les bains ne soient pas chez moi, je suis contente: mon zèle ne me porte pas à trouver mauvais qu'il y en ait dans la ville73

      Bussy s'aperçut que madame de Sévigné avait tout appris ou tout deviné, et il chercha à se faire tout pardonner, en l'amusant par le récit de son entrevue et de ses adieux. Il le fait avec beaucoup d'esprit et de gaieté, et parvient à tout dire, en conservant les convenances et une grande décence d'expression. Mais il voudrait ne pas faire à sa cousine, avec abandon, confidence de tout ce qui le concerne, sans obtenir d'elle la même réciprocité.

      «Mandez-moi, lui dit-il, je vous prie, des nouvelles de l'amour du surintendant; vous n'obligerez pas un ingrat. Je vais vous dire, à la pareille, des nouvelles du mien pour ma Chimène: il me semble que je vous fais un honnête parti, quand je vous offre de vous dire un secret pour des bagatelles.»

      En terminant, Bussy insiste encore pour que sa cousine lui mande l'histoire de l'amour du surintendant, quelle qu'elle soit. Elle lui répond sur cet article dans une lettre datée de Paris le 19 juillet, écrite au retour du voyage qu'elle avait fait à Saint-Fargeau, et dont elle fait mention dans cette lettre. Ce qu'elle dit nous prouve combien Fouquet mettait d'insistance dans le désir qu'il avait de la séduire, et nous éclaire sur la conduite qu'elle tenait à son égard, et sur son plan de défense.

      «Quoiqu'il n'y ait rien de plus galant que ce que vous me dites sur toute votre affaire, je ne me sens point tentée de vous faire une pareille confidence sur ce qui se passe entre le surintendant et moi; et je serais au désespoir de pouvoir vous mander quelque chose d'approchant. J'ai toujours avec lui les mêmes précautions et les mêmes craintes; de sorte que cela retarde notablement les progrès qu'il voudrait faire. Je crois qu'il se lassera enfin de vouloir recommencer toujours la même chose. Je ne l'ai vu que deux fois depuis six semaines, à cause d'un voyage que j'ai fait. Voilà ce que je puis vous en dire et ce qui en est. Usez aussi bien de mon secret que j'userai du vôtre; vous avez autant d'intérêt que moi de le cacher74

      Dans la correspondance qui s'établit pendant cette campagne entre madame de Sévigné et Bussy, dont ce dernier a enrichi ses Mémoires, on les voit tous deux mutuellement charmés de leur esprit, et fiers de s'appartenir. Madame de Sévigné éprouve une joie sensible lorsqu'elle reçoit la nouvelle que son cousin s'est distingué à Landrecies75, qu'il a reçu les éloges de Turenne; que Mazarin, le roi et toute la cour ont dit du bien de lui. Et Bussy, de son côté, tout amoureux qu'il est de sa cousine, et fort disposé à s'en montrer jaloux, apprend cependant toujours avec plaisir l'effet produit par ses charmes sur quelques personnages importants.

      «Il y a deux ou trois jours qu'en causant, lui dit-il, avec M. de Turenne, je vins à vous nommer. Il me demanda si je vous voyais: je lui dis que oui, et qu'étant cousins germains et de même maison, je ne voyais pas une femme plus souvent que vous. Il me dit qu'il vous connaissait, et qu'il avait été vingt fois chez vous sans vous rencontrer; qu'il vous estimait fort, et qu'une marque de cela était l'envie qu'il avait de vous voir, lui qui ne voyait aucune femme. Je lui dis que vous m'aviez parlé de lui, que vous aviez su l'honneur qu'il vous avait fait, et que vous m'aviez témoigné lui en être obligée. A propos de cela, madame, il faut que je vous dise que je ne pense pas qu'il y ait au monde une personne si généralement estimée que vous. Vous êtes les délices du genre humain; l'antiquité vous aurait dressé des autels, et vous auriez assurément été déesse de quelque chose. Dans notre siècle, où l'on n'est pas si prodigue d'encens, et surtout pour le mérite vivant, on se contente de dire qu'il n'y a point de femme à votre âge plus vertueuse ni plus aimable que vous. Je connais des princes du sang, des princes étrangers, des grands seigneurs façon de princes, des grands capitaines, des gentils-hommes, des ministres d'État, des magistrats et des philosophes, qui fileraient pour vous si vous les laissiez faire. En pouvez-vous demander davantage? A moins que d'en vouloir à la liberté des cloîtres, vous ne sauriez aller plus loin76

      On ne peut donner à une femme des éloges plus satisfaisants pour son orgueil; et ce qui devait les rendre plus acceptables, c'est qu'ils étaient l'expression de la vérité, et non celle d'une fade adulation ou d'un sot enthousiasme. Madame de Sévigné ne montre pas pour son cousin la même admiration qu'il témoigne pour elle; cependant elle loue son esprit avec une sincère effusion. «Je ne crois pas, lui écrit-elle, avoir jamais rien lu de plus agréable que la description que vous me faites de l'adieu de votre maîtresse. Ce que vous dites, que l'Amour est un vrai recommenceur, est tellement joli et tellement vrai, que je suis étonnée que, l'ayant pensé mille fois, je n'aie pas eu l'esprit de le dire77

      Bussy se plaint que sa cousine montre trop peu de tendresse pour lui, en paraissant si préoccupée de sa gloire et de son avancement. «Quand on aime bien les gens qui vont à l'armée, dit-il avec justesse, on a plus de crainte pour les dangers de leur personne que de joie dans l'espérance de l'honneur qu'ils vont acquérir78.» Cependant, comme en même temps СКАЧАТЬ



<p>71</p>

CHAVAGNAC, Mém., 1699, in-12, t. I, p. 207.—CHOISY, Mém., t. LXIII, p. 304 (Prud'homme fournissait de l'argent au duc de la Feuillade).

<p>72</p>

France galante, ou Hist. am. de la Cour, 1695, in-12, p. 134; Hist. am. des Gaules, 1754, t. II, p. 326, 331.—SÉVIGNÉ, Lettres (4 avril 1671), t. II, p. 3, édit. de Monmerqué.—SAINT-SIMON, Œuvres complètes, 1791, in-8o, t. Ier, p. 75.—Ibid., Mém. authentiques, t. II, p. 81, 82. Voyez ci-après, p. 54.

<p>73</p>

Supplément aux Mém. et Lettres de M. le comte de Bussy, t. I, p. 49.—BUSSY, Mém., 1721, in-12, t. II, p. 14; t. II, p. 17 de l'édit. in-4o.—SÉVIGNÉ, Lettres (3 juillet 1655), t. I, p. 30 et 32, édit. Monmerqué; ou t. I, p. 38 et 40 de l'édit. de G. de S.-G.

<p>74</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 36, édit. de M.; ou p. 46, édit. de G.; Supplément aux Mém. de BUSSY, t. I, p. 51; Mém., t. II, p. 27, édit. in-12, et p. 35 de l'édit. in-4o.

<p>75</p>

MONGLAT, Mémoires, t. L, p. 461; Histoire de la Monarchie françoise sous le règne de Louis le Grand, 4e édition, 1697, in-12, p. 72.

<p>76</p>

BUSSY, Mém., t. II, p. 47, in-12, et p. 56 de l'in-4o.—SÉVIGNÉ, Lettres (7 octobre 1655), t. I, p. 42, édit. M.; t. I, p. 52, édit. G.

<p>77</p>

SÉVIGNÉ, lettre en date du 19 juillet 1655, t. I, p. 130, et t. I, p. 45, édit. de G. de S.-G.

<p>78</p>

Lettre de Bussy, en date du 13 août 1655.—Dans SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 40, édit. M.; p. 49.—BUSSY, Mém., t. II, p. 32, in-12, et dans l'édit. in-4o, t. II, p. 38.