Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ lieu de grand renom,

      Tant du concert que du sermon49.

      Le carrousel que le roi donna au Palais-Royal sembla réaliser les descriptions des romanciers, par la beauté des coursiers, les richesses et la singularité des costumes, l'éclat des armures, la rapidité des évolutions exécutées aux sons bruyants de la musique guerrière. Cette fête chevaleresque fut comme l'annonce de celles que Louis XIV devait donner par la suite, et dont la magnificence fut un sujet d'étonnement pour l'Europe entière50.

      Après le roi, ceux qui se firent le plus remarquer dans ce carrousel furent le duc de Candale et le duc de Guise. En voyant ce dernier, on se rappelait ses intrigues avec la princesse de Gonzague, ses amours avec la comtesse de Bossu, qui furent suivis d'un mariage et d'une séparation; la constance de sa passion pour mademoiselle de Pons, qui le trahissait et favorisait son écuyer Malicorne; ses deux expéditions pour conquérir le royaume de Naples; sa captivité en Espagne et son arrivée à Paris, qui eut lieu juste au moment où il dut se rendre au lit de justice qui condamna à l'exil Condé, auquel il devait sa délivrance. Cette vie martiale, galante, si pleine d'aventures; le costume dont il était revêtu, sa grâce, son adresse dans le carrousel, tout contribuait à le rendre le type achevé des chevaliers du moyen âge; non tels qu'ils étaient en réalité, mais tels que les représentent à l'imagination, dans un siècle plus poli et sous des couleurs plus brillantes, les fictions de l'Arioste51.

      Les boucliers de tous ceux qui figurèrent dans ce carrousel étaient ornés d'emblèmes ingénieux, accompagnés de paroles en langue espagnole, italienne ou française; et ce fut sans doute à ces jeunes guerriers et à l'esprit de galanterie qui régnait alors, à nos liaisons avec l'Espagne, que l'on dut ce goût pour les allégories et les devises qui domina durant tout ce règne, et que madame de Sévigné partagea52.

      Elle était restée à Paris pendant tout l'hiver; et elle ne retourna point même, selon sa coutume, à sa terre des Rochers pendant la belle saison. On peut croire que les plaisirs si animés de la capitale contribuèrent à l'y retenir. Les fêtes de la cour, auxquelles elle était invitée, furent prolongées pendant tout le printemps, et ne cessèrent même pas lorsque le roi se fut transporté à Compiègne. Ce fut dans cette ville qu'on joua, le 30 mai, le nouveau ballet royal des Bienvenus, lorsque le prince Eugène épousa, par procuration, au nom du fils du duc de Modène, la fille de Martinozzi53. C'était d'ailleurs uniquement par raison d'économie que madame de Sévigné allait se renfermer tous les ans dans son triste château de Bretagne, et c'était la même raison qui l'empêchait cette année de s'y rendre. Le maréchal de La Meilleraye fit le 20 juin l'ouverture des états de Bretagne. Il était d'usage dans ces occasions, parmi la haute noblesse, de se donner mutuellement des festins, et madame de Sévigné avait éprouvé, du vivant de son mari, combien cet usage était dispendieux; il l'eût été encore plus pour elle cette fois. L'ouverture des états se faisait à Vitré54, c'est-à-dire à sept kilomètres de son château, et une si grande proximité de l'auguste assemblée lui eût attiré un nombre illimité d'importuns visiteurs. Son titre de veuve et la prolongation de son séjour à Paris donnaient à madame de Sévigné les moyens de se soustraire à ces inconvénients, et elle en profita. D'autres motifs encore ont pu l'engager à s'écarter de ses habitudes. Mademoiselle de La Vergne épousa le 20 février de cette année (1655) François Mottier, comte de La Fayette, lieutenant des gardes françaises. Le désir de pouvoir accompagner sa jeune amie dans les nouvelles assemblées où son mari la présenta dut déterminer madame de Sévigné à agrandir encore le cercle de ses relations, et ajoutait aux motifs qu'elle avait de renoncer au voyage de Bretagne. De plus, le président de Maisons et plusieurs autres personnages qu'elle comptait au nombre de ses amis furent rappelés de leur exil, et revinrent dans la capitale précisément à l'époque où elle avait coutume de la quitter. Le besoin qu'elle éprouvait de s'entretenir avec eux, la satisfaction qu'elle avait de les revoir, l'auraient engagée à ne pas partir, lors même que tant d'autres causes ne l'auraient pas déterminée à rester.

      Madame de Sévigné, en s'abandonnant ainsi au tourbillon du monde, en se prévalant des succès qu'elle y obtenait par sa jeunesse, ses charmes, son esprit; en cédant à l'orgueil naturel à son sexe de faire naître des passions, sans vouloir les partager, augmentait les dangers auxquels était exposée, sinon sa personne, au moins sa réputation; son état de veuve rendait à cet égard sa position plus critique. Plus elle avait d'indépendance, plus elle en jouissait, plus il était facile à la calomnie de la noircir. Quand on pense aux mœurs de cette époque, aux moyens puissants de séduction de tous ceux qui affichaient hautement à son égard leur amour et leurs espérances, on ne pourrait croire qu'elle fût jamais parvenue à échapper à tant d'écueils, si tous les témoignages contemporains ne concouraient à nous prouver qu'elle en est sortie non-seulement sans recevoir aucune atteinte, mais même pure de tout soupçon.

      Durant les mois d'été, le séjour de Paris, alors resserré par ses remparts, était encore plus incommode qu'il ne l'est actuellement; aussi madame de Sévigné passa presque entièrement cette partie de la belle saison à Livry, qu'elle appelait son désert; mais ce désert se trouvait aussitôt peuplé par une société nombreuse, aimable et brillante, lorsqu'elle s'y transportait. Elle fit cependant encore à cette époque une courte et plus lointaine excursion hors de la capitale; ce fut, en quelque sorte, pour satisfaire à un devoir que le monde, mais non pas elle, considérait alors comme un acte de courage. Ceci réclame quelques détails qui feront connaître l'esprit et les mœurs du temps et les différents intérêts qui divisaient alors la cour et la haute société.

      Mademoiselle de Montpensier n'avait vu qu'avec peine le triomphe de Mazarin et de la cause royale. Elle correspondait en secret avec le prince de Condé, et n'avait pas perdu entièrement l'espérance de pouvoir l'épouser un jour. Elle se fit un grand chagrin des succès de Turenne; mais son père lui causa des peines bien plus vives, et dont les motifs étaient plus réels. Gaston convoitait les grands biens de sa fille aînée, et il voulait l'obliger à en céder une partie aux deux filles qu'il avait eues de Marguerite de Lorraine, sa seconde femme. Il avait épousé celle-ci par amour, et elle conservait un grand empire sur lui. Peut-être mademoiselle de Montpensier, naturellement grande et généreuse, se serait-elle montrée disposée à des arrangements de cette nature, si on lui en avait parlé comme d'un sacrifice qu'il lui fallait faire en faveur de ses sœurs dépourvues de fortune, si on lui avait demandé ce sacrifice comme un don, comme une générosité de sa part, purement gratuite, dont on lui aurait su gré; mais il n'en était pas ainsi. Son père cherchait à lui arracher une portion de son patrimoine par la ruse et la fraude, et au moyen d'un compte de tutelle, où les dettes qu'il avait contractées envers sa fille étaient atténuées ou déguisées; où il faisait figurer les répétitions non fondées qui lui étaient allouées par des arbitres vendus à ses intérêts. De tels procédés exaspérèrent mademoiselle de Montpensier, elle résista avec hauteur et fermeté; mais, quoique majeure, comme elle n'était point mariée, elle se trouvait, comme princesse du sang, sous la puissance paternelle, relativement au choix de ses dames d'honneur, de ses gens d'affaires et de tous ceux qui composaient sa maison. Gaston éloignait d'elle arbitrairement tous ses serviteurs les plus dévoués. Il y eut alors dans la petite cour de MADEMOISELLE des démêlés et des intrigues dont elle nous a, dans ses Mémoires, donné les détails avec une fatigante prolixité. Comme Gaston négociait avec le ministre, et cherchait à rentrer en grâce, mademoiselle de Montpensier, qui, au contraire, se montrait hostile, craignit qu'on ne fît à son égard un coup d'autorité. Elle se soumit donc en partie à ce qu'on exigeait d'elle, mais non sans beaucoup de dépit et de douleur et sans répandre bien des larmes. Elle s'était, au mois de février, approchée de Paris, et elle était venue jusqu'à Lesigny, pour voir une maison qu'elle avait intention d'acheter55. Pendant les trois ou quatre jours qu'elle СКАЧАТЬ



<p>49</p>

LORET, t. II, liv. VI, p. 127, lettre 31, en date du 25 août 1655.

<p>50</p>

MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 58, 60.—SAUVAL, Galanteries des Rois de France, 1738, t. II, p. 10.

<p>51</p>

Mémoires de GUISE.—PASTORET fils, Révolution de Naples.

<p>52</p>

MOTTEVILLE, Mém., t. XXXIX, p. 372.

<p>53</p>

LORET, liv, VI, p. 78, 79, 81.—BENSERADE, Œuvres, t. II, p. 113.

<p>54</p>

Registres des états de Bretagne, mss. Bibl. du roi; Bl. Mant., no 75, p. 324 à 329.

<p>55</p>

MONTPENSIER, Mém., t. XLI, p. 487.