Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 4 (de 4)
Автор: Dorothée Dino
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Nice, 23 février 1853.– Que dire de cette nouvelle horreur tentée à Vienne66. Je suis encore sans détails; je ne sais que ce que disent les nouvelles télégraphiques, qui, même, ne sont pas d'accord entre elles. Toujours est-il que ce charmant Empereur a été blessé. Dieu veuille qu'il n'y ait pas de mauvaises suites pour ce jeune Souverain, qui annonce de si belles qualités et dont l'Allemagne a bien grand besoin à l'heure qu'il est.
Nice, 25 février 1853.– J'ai reçu de Vienne, de mon beau-frère67, quelques lignes écrites après l'attentat contre l'Empereur. La blessure avait énormément saigné, mais les médecins la déclaraient sans danger. L'émotion, l'indignation, étaient générales dans toutes les classes; le peuple s'est porté à l'Archevêché, demandant qu'un Te Deum fût chanté à l'instant à Saint-Étienne, pour rendre grâce à Dieu que le coup n'ait pas été mortel.
Un Espagnol est arrivé ici de Paris. Il est l'ami de la sœur du marquis de Bedmar et de Mme de Toreno. Cette sœur, qui se nomme Incarnation de son nom de baptême, a épousé le beau M. Manuel, l'agent de change élégant, héros d'assez éclatantes aventures. Mme Manuel était l'amie de cœur de Mlle de Montijo, mais l'Empereur n'a pas voulu qu'elle fût reçue à la Cour de l'Impératrice. Enfin, à force d'insistances, celle-ci a obtenu de voir, le matin, en particulier, cette amie de cœur. Dans cet entretien, il paraît que la jeune couronnée s'est jetée en pleurant dans les bras d'Incarnation, disant qu'elle se sentait enfermée dans une cage, dorée à la vérité, mais hermétiquement fermée; qu'elle n'était maîtresse de rien, et qu'elle n'avait eu aucune liberté pour la composition de sa maison.
Il faut lire dans le Journal des Débats du 22 de ce mois un article sur l'ouvrage du Père Theiner par M. de Sacy. Il n'y est ni janséniste, ni philosophe, il y est homme de discernement judicieux et impartial, résumant parfaitement l'ouvrage, l'appréciant sans dénigrement, et portant un jugement juste, sain, modéré, et, à mon avis, excellent sur les Jésuites, non pas les Jésuites de l'institution ni ceux d'aujourd'hui, mais ce qu'ils étaient au moment de leur suppression, et ce qu'ils tentent toujours plus ou moins à redevenir.
Le Galignany du 17 février contient la réponse de Mme Tyler, seconde femme de l'ex-Président des États-Unis, à la fameuse lettre collective des dames anglaises68. Elle est plus rude que l'article que John Lemoinne a fait à ce sujet. Il paraît que les dames américaines, au lieu d'être flattées d'avoir été traitées en sœurs par quelques grandes dames anglaises, sont fort blessées de leurs conseils. Mme Tyler les traite avec une ironie sanglante et le leading article du Times à ce sujet69, que le Galignany rapporte également dans la même feuille du 17, n'est pas moins désagréable pour les dames anglaises que pour celles du Nouveau Monde. On dit les Duchesses, Marquises et Comtesses de la Grande-Bretagne, signataires de l'Épître, très embarrassées, et aux regrets que leur vaniteuse charité leur ait fait faire une semblable démarche. Il est sûr qu'il est impossible d'en avoir fait une plus ridicule.
Nice, 26 février 1853.– J'ai reçu hier des lettres de Paris, dans lesquelles on me dit ce qui suit: «Les amis du Gouvernement ont regretté encore plus que ses ennemis l'arrestation du vicomte de Saint-Priest; je crois qu'il n'y aura, en définitive, que M. Tański de sérieusement atteint. Il correspondait avec plusieurs Cours étrangères, et leur faisait passer, outre des bulletins politiques, tous les couplets, les quatrains, les pamphlets qui pullulent sur l'Impératrice. On a trouvé chez lui, entre autres, la minute d'une lettre de lui, adressée à lady Holland, à Naples, remplie des lazzi que le mariage impérial a provoqués. Walewski et Rothschild ont fait de grands efforts pour obtenir sa liberté, mais inutilement. Ce même Tański était aussi dans l'intimité du prince Jérôme-Napoléon.
«Les témoins espagnols de l'Impératrice, au mariage civil et religieux, n'ont pas été invités depuis aux Tuileries, pas même au bal du Mardi Gras, où il y avait trois cents personnes. Cependant, ils ont dîné hier avec Leurs Majestés, à l'exception du marquis de Bedmar qui a fait dire qu'il partait le matin même pour Madrid.
«Le prince Murat n'a paru ni à la Cathédrale ni aux Tuileries; il est resté sous sa tente, blessé de n'avoir pas eu l'Altesse impériale et le même rang que le groupe Jérôme.»
Nice, 27 février 1853.– On me mande de Vienne que le jeune Empereur, par la violence du coup qui lui a été porté, a cru dans le premier moment avoir reçu un coup de feu et être assailli par plusieurs. Aussi tira-t-il son sabre pour se défendre. Il put ensuite faire cent pas sans chanceler, après lesquels il fut obligé de se laisser conduire par son aide de camp, le comte O'Donnell. Son premier mot à celui-ci a été: «Ceci vient de Milan», et en revoyant sa mère: «Je partage le sort de mes braves soldats de Milan.»
L'Archiduchesse Sophie est dans un état affreux, elle a vraiment l'aspect de la Mère de douleur. Elle prévoit des chances de récidive dans l'avenir et a perdu toute sécurité.
On me mande de Paris que Cousin s'est passionné pour l'Impératrice Eugénie, et qu'il en parle avec la même exaltation que de Mme de Longueville. N'y a-t-il pas là de quoi faire tressaillir la poussière de Port-Royal?
Nice, 28 février 1853.– Ma sœur m'écrit de Vienne, du 21, que la vue du jeune auguste blessé est encore trouble.
Elle me dit aussi qu'à Milan la haute noblesse était venue, en corps et en voitures de gala, offrir au général Gyulay ses compliments de condoléances à l'occasion de l'attentat, et que le général leur aurait dit, en les recevant, qu'il regrettait de devoir à une aussi douloureuse circonstance l'honneur de faire leur connaissance.
Il vient de paraître dans le nord de l'Italie une nouvelle proclamation de Mazzini, qui dit qu'il ne faut pas se décourager par l'avortement de l'insurrection de Milan, puisqu'il ne s'agit que d'attendre quelques jours pour voir des événements plus décisifs; ce qui, d'après les dates, coïnciderait avec l'attentat de Vienne. D'après les journaux, on devait tenter un coup de main sur la forteresse de Bude. Toutes ces trames ont également leurs échos dans le Grand-Duché de Posen, et dans le cœur même de Berlin.
Nice, 1er mars 1853.– Mon beau-frère Schulenbourg, qui est arrivé hier de Vienne, nous a conté bien des particularités sur l'Autriche et la Lombardie qu'il vient de traverser. Les dernières nouvelles télégraphiques que Radetzky avait reçues de Vienne pendant que Schulenbourg était à Vérone portaient que l'état cérébral du jeune Empereur offrait de la gravité; la vue était tellement affectée que le pauvre blessé ne pouvait pas supporter la plus petite lueur; il était obligé de rester dans la plus parfaite obscurité, et son ouïe était tellement surexcitée qu'il entendait distinctement tout ce qui se passait à trois chambres de la sienne. On craignait un épanchement du sang au cervelet. Deux minutes avant l'accident, l'Empereur avait montré au comte O'Donnell un groupe de trois hommes à mines sinistres, en lui disant: «Voilà des brigands.» Aussitôt que le meurtrier fut terrassé, ce groupe a disparu. On a envoyé un prêtre hongrois à l'assassin pour remuer sa conscience et lui faire faire des aveux; il paraissait s'y être décidé et avoir déjà commencé. Les arrestations continuaient de tous côtés.
Cet événement, joint aux troubles et conspirations de Milan et de Hongrie, rapprochera beaucoup les puissances continentales de l'Empereur Napoléon III. On veut faire cause commune et se mettre en faisceau contre le danger commun, et notamment se montrer unis et imposants à la Suisse et à l'Angleterre. Tout tourne au profit de Louis-Napoléon, jusqu'au danger de l'assassinat, dont il court, avec des souverains légitimes, les terribles СКАЧАТЬ
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Le 18 février, l'Empereur d'Autriche se promenait sur les remparts de Vienne, lorsqu'il fut tout à coup arrête par un garçon tailleur hongrois, ancien hussard. L'assassin avait dirigé son coup de poignard vers la gorge, mais François-Joseph, ayant aperçu l'arme levée contre lui, fit avec le bras un mouvement qui la repoussa en arrière, au bas de la nuque. L'aide de camp de Sa Majesté, comte O'Donnell, dégaina aussitôt et porta à l'assassin un coup de sabre qui l'abattit à ses pieds.
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Le comte Schulenbourg.
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En 1848, la publication de
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