Traité sur la tolérance. Voltaire
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Название: Traité sur la tolérance

Автор: Voltaire

Издательство: Public Domain

Жанр: Философия

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СКАЧАТЬ que les Athéniens, revenus à eux-mêmes, eurent les accusateurs & les Juges en horreur; que Melitus, le principal auteur de cet Arrêt, fut condamné à mort pour cette injustice; que les autres furent bannis, & qu'on éleva un Temple à Socrate. Jamais la Philosophie ne fut si bien vengée, ni tant honorée. L'exemple de Socrate est au fond le plus terrible argument qu'on puisse alléguer contre l'intolérance. Les Athéniens avaient un Autel dédié aux Dieux étrangers, aux Dieux qu'ils ne pouvaient connaître. Y a-t-il une plus forte preuve, non-seulement d'indulgence pour toutes les Nations, mais encore de respect pour leurs cultes?

      Un honnête homme qui n'est ennemi ni de la raison, ni de la littérature, ni de la probité, ni de la patrie, en justifiant depuis peu la Saint-Barthelemi, cite la guerre des Phocéens, nommée la guerre sacrée, comme si cette guerre avait été allumée pour le culte, pour le dogme, pour des arguments de Théologie; il s'agissait de savoir à qui appartiendrait un champ: c'est le sujet de toutes les guerres. Des gerbes de bled ne sont pas un symbole de créance; jamais aucune Ville Grecque ne combattit pour des opinions. D'ailleurs que prétend cet homme modeste & doux? veut-il que nous fassions une guerre sacrée?

      CHAPITRE VIII.

      Si les Romains ont été tolérants

      CHez les anciens Romains, depuis Romulus jusqu'aux temps où les Chrétiens disputerent avec les Prêtres de l'Empire, vous ne voyez pas un seul homme persécuté pour ses sentiments. Cicéron douta de tout; Lucrece nia tout; & on ne leur en fit pas le plus léger reproche: la licence même alla si loin, que Pline le Naturaliste commence son Livre par nier un Dieu, & par dire que s'il en est un, c'est le Soleil. Cicéron dit, en parlant des Enfers: Non est anus tam excors quæ credat: «Il n'y a pas même de vieille assez imbécille pour les croire.» Juvenal dit: Nec pueri credunt: «Les enfants n'en croyent rien.» On chantait sur le Théâtre de Rome: Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil: «Rien n'est après la mort, la mort même n'est rien.» Abhorrons ces maximes, &, tout au plus, pardonnons-les à un Peuple que les Evangiles n'éclairaient pas; elles sont fausses, elles sont impies; mais concluons que les Romains étaient très-tolérants, puisqu'elles n'exciterent jamais le moindre murmure.

      Le grand principe du Sénat & du Peuple Romain était: Deorum offensa diis curæ; «C'est aux Dieux seuls à se soucier des offenses faites aux Dieux.» Ce Peuple Roi ne songeait qu'à conquérir, à gouverner, & à policer l'Univers. Ils ont été nos Législateurs comme nos vainqueurs; & jamais César, qui nous donna des fers, des loix & des jeux, ne voulut nous forcer à quitter nos Druides pour lui, tout grand Pontife qu'il était d'une Nation notre Souveraine.

      Les Romains ne professaient pas tous les cultes, ils ne donnaient pas à tous la sanction publique, mais ils les permirent tous. Ils n'eurent aucun objet matériel de culte sous Numa, point de simulacres, point de statues; bientôt ils en éleverent aux Dieux Majorum Gentium, que les Grecs leur firent connaître. La Loi des douze Tables, Deos peregrinos ne colunto, se réduisit à n'accorder le culte public qu'aux Divinités supérieures ou inférieures approuvées par le Sénat. Isis eut un Temple dans Rome, jusqu'au temps où Tibere le démolit, lorsque les Prêtres de ce Temple, corrompus par l'argent de Mundus, le firent coucher dans le Temple sous le nom du Dieu Anubis, avec une femme nommée Pauline. Il est vrai que Joseph est le seul qui rapporte cette histoire; il n'était pas contemporain, il était crédule & exagérateur. Il y a peu d'apparence que dans un temps aussi éclairé que celui de Tibere, une Dame de la premiere condition eût été assez imbécille pour croire avoir les faveurs du Dieu Anubis.

      Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que la superstition Egyptienne avait élevé un Temple à Rome avec le consentement public. Les Juifs y commerçaient dès le temps de la guerre Punique; ils y avaient des Synagogues du temps d'Auguste, & ils les conserverent presque toujours, ainsi que dans Rome moderne. Y a-t-il un plus grand exemple que la tolérance était regardée par les Romains comme la loi la plus sacrée du droit des gens?

      On nous dit qu'aussi-tôt que les Chrétiens parurent, ils furent persécutés par ces mêmes Romains qui ne persécutaient personne. Il me paraît évident que ce fait est très-faux; je n'en veux pour preuve que St. Paul lui-même. Chap. 21. & 22.Les Actes des Apôtres nous apprennent que St. Paul étant accusé par les Juifs de vouloir détruire la Loi Mosaïque par Jesus-Christ, St. Jacques proposa à St. Paul de se faire raser la tête, & d'aller se purifier dans le Temple avec quatre Juifs, afin que tout le monde sache que tout ce que l'on dit de vous est faux, & que vous continuez à garder la Loi de Moïse.

      Paul, Chrétien, alla donc s'acquitter de toutes les cérémonies Judaïques pendant sept jours; mais les sept jours n'étaient pas encore écoulés, quand des Juifs d'Asie le reconnurent; & voyant qu'il était entré dans le Temple, non-seulement avec des Juifs, mais avec des Gentils, ils crierent à la profanation: on le saisit, on le mena devant le Gouverneur Félix, & ensuite on s'adressa au Tribunal de Festus. Les Juifs en foule demanderent sa mort; Actes des Apôtres, Chap. 25.Festus leur répondit: Ce n'est point la coutume des Romains de condamner un homme avant que l'accusé ait ses accusateurs devant lui, & qu'on lui ait donné la liberté de se défendre.

      Ces paroles sont d'autant plus remarquables dans ce Magistrat Romain, qu'il paraît n'avoir eu nulle considération pour St. Paul, n'avoir senti pour lui que du mépris; trompé par les fausses lumieres de sa raison, il le prit pour un fou; il lui dit à lui-même qu'il était en démence, Act. des Ap. Ch. 26. v. 34.multæ te litteræ ad insaniam convertunt. Festus n'écouta donc que l'équité de la Loi Romaine, en donnant sa protection à un inconnu qu'il ne pouvait estimer.

      Voilà le St. Esprit lui-même qui déclare que les Romains n'étaient pas persécuteurs, & qu'ils étaient justes. Ce ne sont pas les Romains qui se souleverent contre St. Paul, ce furent les Juifs. St. Jacques, frere de Jesus, fut lapidé par l'ordre d'un Juif Saducéen, & non d'un Romain: les Juifs seuls lapiderent St. Etienne;14 & lorsque St. Paul gardait les manteaux des exécuteurs, certes il n'agissait pas en Citoyen Romain.

      Les premiers Chrétiens n'avaient rien sans doute à démêler avec les Romains; ils n'avaient d'ennemis que les Juifs dont ils commençaient à se séparer. On sait quelle haine implacable portent tous les Sectaires à ceux qui abandonnent leur secte. Il y eut sans doute du tumulte dans les Synagogues de Rome. Suétone dit, dans la Vie de Claude, Judæos impulsore Christo assiduè tumultuantes Roma expulit. Il se trompait, en disant que c'était à l'instigation de Christ: il ne pouvait pas être instruit des détails d'un Peuple aussi méprisé à Rome que l'était le Peuple Juif, mais il ne se trompait pas sur l'occasion de ces querelles. Suétone écrivait sous Adrien, dans le second siecle; les Chrétiens n'étaient pas alors distingués des Juifs aux yeux des Romains. Le passage de Suétone fait voir que les Romains, loin d'opprimer les premiers Chrétiens, réprimaient alors les Juifs qui les persécutaient. Ils voulaient que la Synagogue de Rome eût pour ses freres séparés la même indulgence que le Sénat avait pour elle; & les Juifs chassés revinrent bientôt après; ils parvinrent même aux honneurs malgré les Loix qui les en excluaient: c'est Dion Cassius & Ulpien qui nous l'apprennent.15 Est-il possible qu'après la ruine de Jérusalem les Empereurs eussent prodigué des dignités aux Juifs, & qu'ils eussent persécuté, livré aux bourreaux & aux bêtes, des Chrétiens qu'on regardait comme une secte de Juifs!

       Néron, dit-on, les persécuta. Tacite nous apprend qu'ils furent accusés de l'incendie de Rome, & qu'on les abandonna à la fureur du Peuple. S'agissait-il de leur créance dans une telle accusation? Non sans doute. Dirons-nous que les Chinois, que les Hollandais égorgerent, СКАЧАТЬ



<p>14</p>

Quoique les Juifs n'eussent pas le droit du glaive depuis qu'Archelaüs avait été relégué chez les Allobroges, & que la Judée était gouvernée en Province de l'Empire; cependant les Romains fermaient souvent les yeux quand les Juifs exerçaient le jugement du zele, c'est-à-dire, quand, dans une émeute subite, ils lapidaient par zele celui qu'ils croyaient avoir blasphémé.

<p>15</p>

Ulpianus l… tit. II. Eis qui Judaïcam superstitionem sequuntur honores adipisci permiserunt, &c.