Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot
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Название: Amitié amoureuse

Автор: Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ j'ai le sentiment de posséder quelques facultés supérieures, sans le pouvoir de réaliser mes conceptions. Toutes les pénétrantes misères morales, je les subis, rêveur impatient. Si parfois, par la grâce d'influences puériles, je m'en distrais, la conscience de mon mal me ramène à des désespoirs profonds. Je pleure sur mon oisiveté, je me sens, pour moi-même, irrévélable.

      Toutes ces misères, ces défaillances franchement confessées que je jette hors de moi et livre à votre amitié calme, douce et paisible, ne sont-elles pas le mal de bien des jeunes de ce temps? Et si je savais, si j'avais la force d'exprimer l'infini qui est entre ce que je suis et ce que je pourrais être, ne serait-ce pas la trouvaille du virus inoculable à ceux qui souffrent du même mal que moi?

      Nos lettres, chère, intéresseraient certainement – en dehors des gens ne pouvant se passer d'un mariage ou d'une mort aux derniers feuillets d'un roman – les âmes droites et saines pareilles à la vôtre; puis, les irritables et chaleureuses, les agitées et confuses de leur faiblesse, comme la mienne, perpétuellement en lutte contre leurs plus inspirés désirs dont elles nient la valeur.

      Si nos lettres étaient connues de ces âmes profondes, ces intelligences attentives les trouveraient peut-être assez attachantes pour les lire.

      Ne révèlent-elles pas les intimes et secrètes fluctuations de deux âmes humaines dégagées du faux éclat et de la variété des événements ambiants? car vous avez aussi vos heures de trouble, ma vaillante.

      Je viendrai ce soir vous dire adieu, puisque vous rentrez si vite à Nimerck. J'apporterai la correspondance de miss Suzy et nous la brûlerons.

      Je vous fais porter cette lettre, afin d'avoir rapidement votre réponse.

      LXI

      Denise à Philippe

30 octobre, 5 heures.

      Non, pas ce soir, mais tout de suite; venez dès la rentrée chez vous de votre domestique.

      J'allais justement vous faire porter, moi aussi, cette lettre écrite avant la venue de la vôtre:

      Mon ami,

      Paul Hervieu, Grosclaude, Vandérem, Germaine et Paul Dalvillers viennent dîner ce soir; voulez-vous en être? Alors venez à six heures, afin qu'avant le dîner qui a lieu à huit heures, nous ayons le temps de causer et de flamber la prose de l'imprudente petite personne.

      Cette réunion s'est combinée à l'improviste chez Germaine, tout à l'heure, d'une amusante manière. J'étais allée la voir, sachant qu'elle reprend ses réceptions dès sa rentrée à Paris.

      Une femme très chic, fort élégante, était là en grandissime toilette, une Américaine du Nord, présentée a Germaine cet été, à Dinard, par nos amis O'Cornill.

      Je ne sais si la dame avait, in petto, découvert que mon chapeau ne venait pas de chez Reboux, ni ma robe de chez Doucet, mais ma toilette simplette avec son genre discret et correct (toilette de voyage, d'ailleurs,) a fait prendre des airs à la belle étrangère. Sa politesse me classait avec des atténuations et des nuances qui m'ont amusée. Peu intimidée de la distance d'argent qui nous séparait, je me suis complue à être très drôle, très amusante, très finaude, voire très spirituelle (à moi, à moi, Marie Baskirscheff!). J'ai roulé la belle madame dans la poudre sucre et sel de mes saillies.

      Et quel succès! Les trois hommes présents, tout à moi, rien qu'à moi; l'un tenant mon ombrelle, l'autre mon porte-cartes pour me permettre d'absorber à mon aise le Lacryma Christi. Hervieu, Vandérem, Grosclaude, me donnaient des répliques soignées, scintillantes, blagueuses, exquises. Germaine essayait vainement d'entraîner sa pompeuse milliardaire dans notre conversation; ahurie, la belle madame, l'âme en deuil de ses effets de toilette perdus, semblait hypnotisée.

      Belle revanche en vérité, mais simple génie du moment et qui n'empêche qu'aujourd'hui l'argent ne soit le moyen de tout. C'est alors que le dîner de ce soir s'est combiné à la très nouvelle stupéfaction de la dame. Encore une qui doit donner à emporter à ses invités les menus d'argent de sa table, aimable attention pour ceux qui n'auraient pas de quoi déjeuner le lendemain.

      Je compte sur vous, n'est-ce pas mon ami?

      LXII

      Philippe à Denise

31 octobre.

      J'ai éprouvé tout à l'heure un léger émoi en écrivant sur l'enveloppe: Nimerck, Finistère.

      Voilà donc le doux fil renoué. Avec quel soin je vais m'appliquer à ce que rien ne vienne ébranler cette chère amitié définitivement fondée, vous en doutez-vous, madame? Il faudra m'en savoir d'autant plus gré que vous demeurez ma mie. J'ai eu envie de baiser le bas de votre robe – la robe dédaignée de l'Amérique – quand hier soir, vos hommes célèbres jouant à l'esprit parlé pour se reposer de l'esprit écrit, Hervieu posant sa question:

      – Quand cesse-t-on d'aimer?

      Vous y répondîtes:

      – Est-ce qu'on cesse d'aimer? il y a des gens qui sont morts et que je sens m'aimer encore.

      Cette pensée a bourdonné autour de mon cœur toute la nuit; je sens si bien que je serai de ceux-là, vous aimant par delà la mort.

      Bonne arrivée, madame! Nimerck doit être si beau par ces derniers jours d'automne. Donnez pour moi une caresse de vos yeux aux grandes pelouses, aux noirs sapins, aux durs rochers de vos mornes falaises, à toutes ces choses calmes et belles, et laissez-moi baiser dévotement le bout de vos gants.

      LXIII

      Denise à Philippe

Nimerck, 1er novembre.

      Oui, l'automne est une belle saison. Encore du soleil, encore des feuilles aux arbres, encore des fleurs aux buissons, et le vent qui fait chanter les branches et gémit en parcourant toute la maison. Il devient, ce furieux, l'hôte avec lequel on passe au coin du feu les heures recueillies du soir. Que de souvenirs il réveilla au bruit continu de ses longs sifflements, et que de tristesses montent au cœur, chevauchées par ses tournoiements monotones! J'en ai, parfois, l'âme éperdue.

      Octobre est mort. Novembre naît, dépouillant chaque jour un peu plus la terre; il fait beau, il fait froid. Je vous écris ce soir, triste jour des morts, la pensée obsédée du souvenir de mon père, souvenir cher et douloureux. J'ai porté ce matin, pour lui, au calvaire, une grande couronne toute faite de cinéraires aux feuilles d'argent et de branches flexibles de fuchsias dont les fleurs longues, délicates, minces et rouges semblent des larmes de sang.

      Il dort sous un menhir, lourd bloc du pays natal; il n'a voulu rien d'autre au cimetière, affirmant ainsi aux humbles l'égalité dans la mort. Là, il nous a défendu de mettre des fleurs; seule, Hélène y porte, aux jours anniversaires, une rose France qu'elle pose, chargée d'un baiser, sur la mousse poussée au pied du rocher.

      En rentrant, hasard étrange, j'ouvre un livre et je vois à la première page la signature de mon cher mort. Il a marqué ce livre d'une date: 1860. Ce: «c'est à moi» – demeure au delà de lui enfoui dans quelques linges blancs, sous la pierre blanche. Cela m'a serré le cœur et remué toutes les fibres tristes. J'ai pensé à des choses enfantinement tendres: sa main avait frôlé ce papier.

      On retourne aux sensations naïves lorsqu'on souffre. Le cœur s'accroche à tout, tout lui devient bon pour aviver sa délicate СКАЧАТЬ