Mathilde. Эжен Сю
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Название: Mathilde

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ que je jette un regard sur le passé, maintenant que je vous ai vue, maintenant surtout que j'ai pu comparer mes impressions d'autrefois et mes impressions d'aujourd'hui, ma vie m'apparaît sous un tout autre jour; oui, certaines pensées jusqu'ici confuses s'expliquent très-clairement à cette heure. Je comprends l'espèce de malaise, d'impatience chagrine qui venait toujours flétrir ou briser ces liaisons passagères qui me paraissaient d'abord si séduisantes…

      Plus j'avançais dans la vie, plus je reconnaissais le néant, l'amertume de ces affections. Je cherchais le bonheur, le calme, le repos du cœur, je ne trouvais qu'agitations douloureuses. Les femmes qui m'avaient sacrifié leurs devoirs, après une longue lutte, éprouvaient des remords qui me faisaient souvent maudire mon bonheur… tandis que je me révoltais bientôt de l'assurance de celles qui ne rougissaient plus… Et pourtant; me disais-je, il y a d'autres félicités que celles-ci. Dans mon désespoir d'atteindre le but impérieux vers lequel tendaient toutes les facultés de mon âme, je brisais bientôt l'idole que j'avais encensée; j'éprouvais une sorte de joie méchante à lui faire partager l'amertume dont mon âme était abreuvée; je poussais ce sentiment jusqu'à la cruauté peut-être; faut-il m'accuser? je ne sais… Il faudrait peut-être plutôt accuser l'idéal que je rêvais. Oui… car c'était lui qui me rendait si injuste, si sévère pour tout ce qui ne lui ressemblait pas. Si vous interrogiez le monde sur moi, Mathilde, il vous dirait que dans quelques ruptures, je me suis montré égoïste, dédaigneux et dur… Cela est encore vrai… J'étais mécontent de moi; j'étais impatient d'échapper aux liens d'un faux bonheur; je cherchais une félicité qui me fuyait toujours… Les idées les plus simples sont celles qui ne nous viennent jamais à la pensée: j'étais bien loin de songer que ce but inconnu que je poursuivais avec une si ardente inquiétude était l'amour dans le mariage. On m'eût alors expliqué ainsi ces aspirations qui m'entraînaient à mon insu, que j'aurais souri d'un air de doute… Lorsque je vous ai vue, Mathilde, un bandeau est tombé de mes yeux; oui, le présent m'a révélé le passé, lorsque je vous ai vue enfin… ce que j'avais vaguement désiré m'a distinctement apparu! en dédaignant tant de sentiments coupables, je rendais pour ainsi dire hommage au sentiment pur et sacré que mon cœur appelait de tous mes instincts et que vous seule deviez me faire connaître…

      Je restai stupéfaite d'admiration en entendant Gontran m'expliquer ainsi le passé.

      Par une coïncidence singulière, il se défendait à l'aide des mêmes sophismes que j'avais opposés aux dénonciations de madame de Richeville.

      Les raisonnements de Gontran devaient m'impressionner profondément. Quelle femme aimant déjà avec passion ne croirait pas aveuglément l'homme qui lui dit: «Je vous aime, je vous aimerai d'autant plus que j'ai dédaigné, que j'ai outragé davantage tout ce qui n'était pas vous?» Dites, mon ami, est-il un paradoxe plus dangereux? N'est-ce pas avec une fatale adresse, ou plutôt avec une profonde connaissance du cœur humain, faire une sorte de piédestal de toutes les trahisons dont on s'est rendu coupable, pour y placer la nouvelle divinité qu'on adore?

      Le paradoxe enfin n'est-il pas plus dangereux encore lorsque la femme qu'on exalte ainsi a la conscience de ne ressembler en rien aux femmes qu'on lui a sacrifiées? N'étais-je pas dans cette position à l'égard de Gontran?

      Hélas! était-ce un si méchant orgueil que de croire mon dévouement, mon amour pour lui, supérieurs à tous les autres amours, à tous les dévouements qu'il avait rencontrés?

      Gontran me paraissait si complétement disculpé des accusations de madame de Richeville, que je ne crus pas devoir parler de mon entrevue avec la duchesse. Je pensai qu'elle pouvait d'ailleurs être venue à moi guidée par un véritable intérêt; elle était l'amie de M. de Mortagne; cette dernière raison seule eût suffi pour m'engager à garder le silence.

      Gontran me regardait d'un air inquiet, ne sachant pas l'effet que ses paroles avaient produit sur moi.

      Je lui tendis la main en souriant: – Parlons maintenant de nos projets d'avenir.

      Il secoua tristement la tête et me dit: – Que vous êtes généreuse et bonne! – Mais je ne puis encore dire nous, en parlant de vous et de moi; il me reste d'autres aveux à vous faire.

      – Eh bien!.. vite, avouez-moi tout… Voyons, de quoi s'agit-il? Vous avez été joueur, prodigue, votre fortune est obérée? Sont-ce bien là les terribles aveux que vous avez à me faire? – Puis j'ajoutai en souriant: – Voyez si je ne vous parle pas comme un grand parent indulgent?

      – De grâce, ne plaisantez pas, Mathilde, – répondit Gontran. – Eh bien, oui! j'ai joué!.. j'ai joué pendant quelque temps avec fureur; oui!.. là j'ai cherché des émotions que je ne trouvais plus ailleurs… Indigné de l'effronterie de certains amours, effrayé des remords dont j'étais cause… n'ayant rien qui m'attachât à la vie… n'ayant d'autre avenir que le lendemain, sentant mon cœur engourdi, rougissant de moi et des autres, désespérant de jamais rencontrer le bonheur que je rêvais, n'aimant rien, ne regrettant rien, je me jetai dans le gouffre du hasard… Mais les agitations stériles du jeu, ses angoisses et ses espérances sordides me lassèrent bientôt… Jouant pour m'étourdir, et non pas pour gagner, je perdis beaucoup… et ma fortune s'en ressentit… elle était déjà obérée par d'assez grandes dépenses que j'avais été obligé de faire pour tenir dignement mon rang à l'ambassade où j'avais été attaché; néanmoins je possède encore à cette heure…

      – Ah! pas un mot de plus! – m'écriai-je d'un ton de reproche. – Pouvez-vous parler ainsi? Croyez-vous que je me sois un instant préoccupée de ce que vous pouviez on non posséder? Vous-même, avez-vous un instant pensé que la donation que je voulais faire à ma cousine, et que son sacrifice rend maintenant inutile, réduisait ma fortune de moitié?

      – Mais enfin, Mathilde…

      – Parlons de la corbeille, – dis-je en souriant, – ou plutôt de choses plus graves; parlons de nos projets d'avenir. En sortant de chez ma tante, où irons-nous? Voyons, monsieur, avez-vous seulement songé à me demander le quartier que je voudrais habiter? à vous informer de mon goût pour l'arrangement de notre demeure?

      – Mathilde, je voudrais vous voir plus sérieuse pour les affaires d'intérêt.

      – Vous voulez me voir sérieuse! Eh bien! – lui dis-je avec l'expression de la touchante gratitude que je ressentais, – eh bien! laissez-moi vous dire combien j'ai été sérieusement heureuse, en voyant hier, chez moi, cette corbeille de jasmins et d'héliotropes… Oh! tenez, cela est plus sérieux, croyez-moi, que les affaires d'intérêt… il y a là plus que des chiffres… il y a là un sentiment, un présage, que dis-je, un présage? une certitude de bonheur pour l'avenir… Oui… le cœur se révèle dans les plus petites choses… et l'homme qui a montré tant de prévenances, tant de délicatesse dans une occasion, ne saurait jamais se démentir… Ces fleurs, qui ont été la première marque de vos sentiments, resteront toujours pour moi le symbole de mon bonheur. Oh! d'abord, je serai très-exigeante! Chaque matin je veux avoir une corbeille de ces fleurs; mais je vous préviens que mon cœur s'éveille de très-bonne heure, et qu'une pensée pour vous aura déjà prévenu l'arrivée de ce beau bouquet!

      – C'est à genoux, à genoux qu'il faut vous adorer… Mathilde. Comment ne pas vouer sa vie entière à votre bonheur? Il faudrait être le plus misérable des hommes pour ne pas répondre devant Dieu de vous rendre la plus heureuse des femmes.

      – Oh! je vous crois, Gontran! J'ai trop de confiance dans mon amour pour ne pas avoir une croyance aveugle dans le vôtre.

      Pourquoi me tromperiez-vous? Doué comme vous l'êtes, ne trouveriez-vous pas mille autres jeunes filles qui ne vous aimeraient pas mieux que moi sans doute… je les en défierais… mais qui, plus que moi, СКАЧАТЬ