Il me restait un espoir. Le mariage d'Ursule pouvait être retardé. Je me décidai le lendemain à prier Gontran de partir aussitôt pour la Touraine; il devait supplier ma cousine de rompre cette union, et l'assurer lui-même que l'exécution de mes promesses ne pouvait apporter la moindre difficulté à notre mariage.
Je passai une nuit très-agitée. Le lendemain j'attendis avec la plus grande anxiété l'arrivée de Gontran. Il n'hésita pas un moment à aller trouver Ursule; il comprit, il partagea mes craintes, mes espérances avec une adorable bonté. Il ne devait pas parler de ce voyage à mademoiselle de Maran, et partir à l'instant même. Nous causions de ce sujet si intéressant pour moi, lorsqu'on m'apporta une lettre de Tours…
Le mariage d'Ursule était accompli. Sa lettre de la veille avait eu plusieurs jours de retard.
Cette nouvelle m'accabla. J'étais si heureuse de mon amour pour Gontran que je comprenais mieux encore combien le sort d'Ursule devait être cruel.
Ma cousine m'annonçait qu'elle arriverait sous peu de jours avec son père et son mari, et qu'elle passerait la fin de l'hiver à Paris.
Je remontai chez moi pour écrire à ma cousine, pour me plaindre de son manque de confiance, pour la consoler, pour l'encourager, pour faire enfin ressortir à ses yeux les avantages que sa douleur l'empêchait peut-être d'apercevoir dans cette union qui la désespérait.
Je trouvai Blondeau dans mon cabinet d'étude; elle me dit qu'une femme, qui venait me solliciter pour une bonne œuvre, demandait à me parler.
Je lui dis de la faire entrer.
Je vis une femme enveloppée d'un manteau, et dont les traits étaient absolument cachés par un voile noir très-épais.
Blondeau sortit.
Cette femme laissa tomber son manteau, releva son voile.
C'était madame la duchesse de Richeville.
CHAPITRE XIII.
L'ENTRETIEN
Je fus si surprise, presque si effrayée, à l'aspect de madame de Richeville, que je m'appuyai sur le dossier d'un fauteuil placé près de moi.
Pourtant l'expression des traits de la duchesse n'avait rien de menaçant. Elle me parut très-changée, très-maigrie; elle était fort émue, et me regardait avec intérêt.
Elle se hâta de me dire, comme pour m'engager à l'entendre, et pour me mettre en confiance avec elle:
– Quelque étrange que puisse vous paraître ma visite, mademoiselle, rassurez-vous. Je viens au nom de nos amis communs, M. de Mortagne.
– Est-il donc ici, madame?
– Hélas! non; et, quoiqu'il soit attendu d'un moment à l'autre, je ne puis rien encore vous dire de son mystérieux voyage… mais je sais tout l'intérêt qu'il vous porte… Il y a huit ans… en sortant de sa dernière entrevue avec mademoiselle de Maran, il m'a tout raconté… le conseil de famille, la scène avec votre tante, lorsqu'il vous prenait dans ses bras et vous apporta dans la chambre de mademoiselle de Maran, malgré les aboiements de Félix. J'entre dans ces détails pour vous prouver que cet homme, le plus généreux des hommes, avait en moi une confiance absolue… C'est au nom de cette confiance… que je viens vous demander la vôtre, mademoiselle…
– La mienne… madame?.. vous?
J'accentuai tellement ce mot —vous, – que madame de Richeville sourit amèrement et reprit:
– Pauvre enfant, si jeune encore! croiriez-vous déjà aux calomnies du monde? auraient-elles altéré cette bonté charmante que M. de Mortagne prévoyait en vous, et qui se révèle dans tous vos traits?.. Pourquoi accueillir si froidement… cette démarche dictée par votre seul intérêt, cette démarche faite pour ainsi dire sous l'autorité d'un homme qui fut l'un des meilleurs amis de votre mère… dites… pourquoi m'accueillir ainsi?
Il est impossible de rendre le charme insinuant de la voix de madame de Richeville, et de peindre le regard à la fois triste et affectueux dont elle accompagna ces paroles. Malgré la sourde jalousie que je ressentais contre elle, je fus émue, et je lui répondis avec moins de sécheresse.
– Il m'est permis de m'étonner d'une visite que je n'avais aucun droit d'espérer, n'ayant pas l'honneur de vous connaître, madame.
– Il y a à peu près un mois… à la sortie de l'Opéra… ne vous ai-je pas dit ces mots… Pauvre enfant… prenez garde?
– J'ai entendu, en effet, ces mots, madame, mais j'ignorais dans quel but ils m'étaient dits.
– Vous l'ignoriez? – me dit madame de Richeville en attachant sur moi un regard perçant qui me fit rougir.
Ne voulant pas sans doute augmenter ma confusion, elle continua, en rendant, si cela est possible, sa voix et son regard plus affectueux encore.
– Écoutez-moi… Pour vous donner créance en mes paroles… pour que je puisse aborder le sujet qui m'amène ici, sans être soupçonnée par vous d'arrière-pensée, il faut que je vous donne quelques explications sur le passé. De tout temps M. de Mortagne a été mon ami; il m'a autrefois rendu un de ces services qu'une âme généreuse ne peut acquitter que par une amitié de toute une vie; et quand je dis amitié… je parle des devoirs sacrés qu'elle impose… Je ne sais de quelles noires couleurs votre tante m'a peinte à vos yeux… mais vous saurez un jour, je l'espère, que mes ennemis les plus mortels n'ont jamais osé contester mon courage et mon dévouement à mes amis… Plus tard… vous connaîtrez peut-être le motif de mon éternelle gratitude envers M. de Mortagne… Je savais, je sais tout l'intérêt que vous lui inspirez… Oh, ce qu'il aime, je l'aime…
Voilà déjà un motif pour que vous m'intéressiez vivement… n'est-ce pas? J'ai des haines bien acharnées soulevées contre moi… mais il n'en est pas de plus violente, de plus implacable que celle de mademoiselle de Maran… Je sais que votre tante a tout fait pour rendre votre enfance malheureuse… maintenant elle fait tout pour vous rendre la plus malheureuse des femmes… vous devez la haïr au moins autant que je la hais… Voilà encore un motif pour que vous m'intéressiez… Vous arracher à ses méchants desseins, vous dévoiler de nouvelles perfidies… prouver enfin mon amitié, ma gratitude à M. de Mortagne, en agissant pour vous comme il aurait agi lui-même… voilà des motifs assez puissants pour exprimer l'intérêt que je vous porte, il me semble…
– Madame, j'ai pu avoir à me plaindre de mademoiselle de Maran; mais depuis quelques jours elle a tant fait pour moi que je dois oublier quelques contrariétés de jeune fille.
J'appuyai à dessein sur ces mots, elle a tant fait pour moi, afin de bien donner à entendre à madame de Richeville que je voulais parler de mon mariage avec Gontran.
La duchesse secoua tristement la tête, et me dit: – Elle a tant fait pour vous!.. Oui, vous dites vrai… elle n'a jamais tant fait pour votre malheur.
De ce moment, je crus deviner le sujet de la visite de madame de Richeville. Elle aimait Gontran, son mariage avec moi la rendait furieuse de jalousie, elle était aussi adroite que dissimulée, elle venait sans doute calomnier M. de Lancry, afin de rompre une union qu'elle abhorrait.
En partant de cette pensée, d'abord Gontran me devint СКАЧАТЬ