Ma tante le permit, et lui ordonna de m'emmener.
Au moment où je quittai sa chambre, mademoiselle de Maran me fit venir auprès d'elle, me regarda un moment encore, et s'écria en éclatant de rire de nouveau:
– Mon Dieu! que cette petite est donc laide ainsi!
Une fois rentrée dans l'appartement que j'occupais avec Blondeau, celle-ci me prit dans ses bras et me couvrit de larmes et de baisers.
J'avais ressenti une telle frayeur à la vue des grands ciseaux de Servien, que le dénoûment de cette scène me parut presque heureux. Je ne partageais pas le culte et l'admiration de ma gouvernante pour ma chevelure; j'avoue même que je fus assez contente de pouvoir courir dans le jardin sans être obligée d'écarter à chaque instant mes cheveux de mon front.
J'avais seulement été frappée de ces dernières paroles de ma tante:
– Que cette petite est laide ainsi!
Je priai ma gouvernante de me porter devant une glace. Je me trouvai une figure si singulière, qu'au grand chagrin de Blondeau je me mis aussi à rire aux éclats.
Plus tard, j'ai pu m'expliquer la singulière conduite de mademoiselle de Maran. Elle avait toujours ressenti une antipathie, une aversion profonde pour tout ce qui était beau; et sans vanité, mon ami, ou plutôt selon l'attachement aveugle de ma gouvernante, étant enfant j'étais charmante. Puis, ma tante avait toujours détesté ma mère. Plus tard, hélas! je fis à ce sujet de bien cruelles découvertes.
CHAPITRE II.
LE PROTECTEUR
J'atteignis l'âge de sept ans. L'aversion de mademoiselle de Maran pour moi semblait augmenter chaque jour. Il n'est pas de petites tortures qu'elle ne se plût à m'infliger.
Ainsi l'on m'avait toujours servi à dîner chez ma gouvernante, ma tante voulut me faire dîner à table à côté d'elle; sa tabatière me causait un horrible dégoût; elle la mettait ouverte auprès de mon assiette; si quelques mets me répugnaient, on m'en servait tous les jours; si je ne pouvais surmonter mon dégoût, pour me punir, mademoiselle de Maran faisait placer mon assiette dans la niche de Félix, et, malgré mon effroi, j'étais condamnée à aller chercher cette nourriture à genoux et à la manger à genoux.
Ma tante avait remarqué que la présence de ma bonne Blondeau me donnait le courage de tout souffrir sans pleurer; elle lui défendit de rester auprès de moi pour me servir. Le maître d'hôtel, Servien, fut chargé de ce soin, et cet homme m'inspirait autant de dégoût que de frayeur.
Ce que j'ai maintenant peine à concevoir, c'est comment ma tante, malgré ses occupations, malgré la réelle supériorité de son esprit, pouvait mettre autant de calcul, autant de persévérance à tourmenter une enfant.
Rien n'était donné au hasard. Sa conduite envers moi était réfléchie, étudiée.
Peu à peu je m'endurcis à la douleur. La souffrance éveilla en moi le besoin de la vengeance. J'observai que plus je pleurais, plus ma tante riait ou semblait satisfaite.
Après des efforts inouïs pour me contraindre et pour cacher mes larmes, j'y réussis. J'éprouvai une grande joie en voyant l'étonnement, le dépit de ma tante.
Elle redoubla ses duretés, je redoublai de courage et de dissimulation.
Je frémis quelquefois encore en songeant à cette lutte ouverte entre une enfant abandonnée et une femme telle que mademoiselle de Maran, lutte dans laquelle je finis par avoir l'avantage, car la méchanceté de ma tante ne pouvait dépasser certaines limites.
Toute la maison tremblait devant elle, aussi ma gouvernante était-elle en butte à mille petites vexations de chaque jour. Il a véritablement fallu à cette excellente femme un dévouement plus qu'héroïque pour surmonter tant de dégoûts. Deux fois ma tante voulut m'en séparer; mais je tombai si gravement malade, qu'elle dut renoncer à toute nouvelle tentative à ce sujet.
Je ne sais si c'était de la part de ma tante résolution arrêtée ou insouciance, mais à sept ans je n'avais encore eu aucun professeur.
Ma gouvernante m'avait appris à lire et à écrire; elle me faisait dire mes prières, mon catéchisme; je recevais enfin, grâce à l'attachement presque maternel de cette bonne créature, l'éducation qu'une personne de sa classe aurait donnée à sa fille.
Les enfants ne se trompent jamais sur les sentiments et sur les caractères de ceux qui les entourent.
Leur pénétration confond; quand ils se voient aimés, ils savent avec une incroyable habileté assurer leur empire.
Autant j'étais craintive et taciturne avec mademoiselle de Maran, autant j'étais gaie, turbulente, despotique avec ma gouvernante.
Jamais elle ne résistait à mes volontés les plus extravagantes, à moins que ma santé ne fût en question. Elle m'idolâtrait, m'accablait de louanges sur ma beauté, sur mon esprit, sur ma gentillesse.
Je passais ainsi mon enfance, entre les sarcasmes ou les duretés de ma tante, et les flatteries aveugles de Blondeau.
Mon caractère devait participer de ces influences diverses.
J'étais tour à tour orgueilleuse ou humble à l'excès, rayonnante de bonheur ou navrée d'amertume, je ressentais enfin la haine et l'amour à un point inconcevable pour mon âge. J'étais presque heureuse des cruautés de ma tante, parce qu'elles m'offraient le moyen de la braver, de la dépiter par mon sang-froid.
Elle se vengeait en me persuadant avec un art infini que j'étais laide et sotte.
Je retenais mes larmes, je courais auprès de ma gouvernante, et j'éclatais en sanglots. Alors, pour me consoler, la pauvre femme me faisait les louanges les plus outrées, auxquelles je finissais par croire.
De là sans doute mes ressentiments toujours extrêmes, de là mon impuissance à accepter plus tard ces mezzo termine, si fréquents dans la vie.
L'âge n'a d'ailleurs jamais modifié chez moi cette étrange façon de me juger. Au lieu de choisir un milieu raisonnable entre deux exagérations, au lieu de ne me croire ni tout à fait inférieure, ni tout à fait supérieure aux autres, j'ai vécu dans de continuelles alternatives de confiance insolente ou de défiance accablante.
Les triomphes passés ne m'empêchaient pas plus d'être parfois d'une humilité ridicule, que les humiliations souffertes ne m'empêchaient d'être glorieuse jusqu'au dédain.
Du premier mot, du premier regard j'étais dominée ou je dominais, et cela, dans les relations les plus ordinaires de la vie. Il y a des personnes vraiment redoutées et redoutables, devant qui les plus hardis tremblaient, auxquelles j'ai toujours complétement imposé, tandis que des gens de la plus grande insignifiance prenaient sur moi un empire absolu.
Je devais encore conserver de mon éducation première l'habitude, la volonté de dissimuler mes chagrins ou mes souffrances, et de me venger du mal qu'on me faisait par une apparence de dédaigneuse insensibilité.
Je n'avais pas encore sept ans, je crois, lorsque mon éducation fut tout à fait changée. Les événements qui amenèrent cette révolution sont restés très-présents à mon souvenir.
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