Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume
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СКАЧАТЬ nom, qui m'est échappé involontairement. – Appelle-moi ton frère, Clémence; que je le sois encore, toujours! Ce nom seul peut me ramener à l'honneur, au devoir. – Mais voyez donc comme il parle! À coup sûr, Victor, j'aime encore plus la vertu que je ne te chéris. Si je croyais que la déclaration que tu viens de me faire, que je t'ai faite à mon tour, pût enfreindre la plus légère loi de l'honneur, je ne me pardonnerais jamais cet entretien. Mais, Victor, mon père est bon, sensible, généreux; il ne ressemble pas à ces grands de la terre, qui n'écoutent que l'orgueil, que la cupidité, dans l'établissement de leurs enfans. Il voit les hommes, et non les titres; il te regarde comme un fils, comme un gendre, oui, comme un gendre, te dis-je. Si tu ne veux pas me croire? méchant, c'est que tu veux me faire de la peine…

      Clémence emploie mille raisons pour persuader à Victor ce dont elle-même est persuadée, tous ses discours sont inutiles, Victor est désespéré d'avoir éclairé Clémence sans l'aveu de son père. Il pense avec raison que c'était à Fritzierne lui-même à dévoiler à sa fille le véritable état de Victor: et que puisqu'il ne l'a pas fait jusqu'à ce jour, c'est qu'il avait apparemment des motifs que Victor ne devait pas pénétrer, ne devait pas contrarier au moins par son indiscrétion. Cette réflexion effraie Victor: il craint les justes reproches du baron; il redoute les suites de son imprudence, et tout le raffermit dans le dessein qu'il a de s'éloigner, et cela dès ce jour, le plutôt possible; Clémence lui promet cependant de ne point témoigner qu'elle soit instruite. Tous deux se prennent par le bras, et reviennent lentement au château, pénétrés d'une tristesse qui n'aurait pas dû être la suite d'un entretien où l'amour pouvait s'exhaler sans crainte, sans être gêné par l'illusion de la nature.

      Cœurs vertueux, c'est ainsi que vous assujettissez les passions aux devoirs de la raison, aux loix de la délicatesse; c'est ainsi que vous savez éprouver, exprimer et sentir!

      Tous deux arrivent au château, où ils apprennent avec surprise que M. de Fritzierne les a mandés pour une affaire importante. Ils se hâtent de se rendre chez lui, et sont encore plus surpris de le trouver plongé dans une sombre rêverie.

      «Mes enfans, leur dit-il, je vous ai réunis pour vous faire part d'une remarque assez singulière que je viens de faire… Victor, cette madame Wolf, c'est une étrange femme, ou du moins ses aventures doivent être bien extraordinaires… – Que s'est-il donc passé, mon père? – Écoutez-moi tous les deux. Vous savez que j'ai fait donner à madame Wolf l'appartement qui est au bout de la seconde tourelle du nord, du côté de la grande route, elle venait de s'y retirer tout-à-l'heure, et moi, craignant qu'il lui manquât quelque chose, je m'y étais rendu dans le dessein de voir si l'on avait bien suivi mes ordres si tout y était en règle… J'arrive; quelques exclamations douloureuses qui frappent mon oreille m'engagent à m'arrêter sur le seuil de sa porte, qui est entr'ouverte. Je pousse même un peu cette porte, pressé, je l'avoue, par la curiosité; et j'apperçois, sans être vu, madame Wolf appuyée contre son lit, et tenant entre ses mains un bijou qu'elle mouille de ses larmes, qu'elle baise même de temps en temps avec transport… Quel rapport, s'écrie-t-elle! quel rapport frappant entre les traits de ce monstre et ceux du généreux jeune homme à qui je dois la vie!.. Oui, oui, c'est lui, c'est Victor, c'est l'innocence elle-même qui respire ici sous les traits du crime!.. Et cette femme, cette femme malheureuse, trop malheureuse, hélas! il a sa bouche, il a son sourire si doux!.. Mais où vont s'égarer mes sens! Le fils du baron de Fritzierne ne peut être… Non, non… Mais pourquoi, pourquoi faut-il que je rencontre ici les traits de mon persécuteur, ceux du scélérat qui a tant fait souffrir ma pauvre maîtresse!.. Ô Dieu! quel jeu bizarre de la nature! quelle étonnante fatalité! Je ne le regarderai plus, ce cher Victor; non, je croirais toujours avoir l'infâme ravisseur sous mes yeux!.. Ô ma maîtresse! ô ma chère maîtresse!..

      »Madame Wolf baise encore cent fois l'objet qu'elle tient; puis, elle le dépose sur une table, et peu à peu elle s'endort profondément. Vous jugez, mes enfans, combien ses discours me frappèrent. Persuadé que, fatiguée comme elle l'était, elle ne se réveillerait pas de si-tôt, j'entrai doucement chez elle et je m'emparai du bijou dans le dessein de le remettre dans l'instant à sa place; mais je l'ai apporté jusqu'ici, ne pouvant résister au desir de vous le montrer. Le voilà, Victor le voilà; examine-le bien; tout à l'heure nous irons le rendre à cette infortunée, qui sans doute n'aura pas encore cessé de reposer».

      Victor, à ce récit, frémit involontairement; il ne sait pourquoi ses cheveux se dressent sur son front. Une sueur froide glace ses membres. Il prend le bijou, et le regarde attentivement avec Clémence, qui partage son trouble par une sympathie qu'elle sait bien définir maintenant. Ce bijou, c'est une double boîte en or, enrichie de diamans. Sur le couvercle on voit le portrait d'une femme jeune et jolie, mais échevelée, mais dont les vêtemens sont dans le plus grand désordre. Elle lève une main vers le ciel, que ses yeux, humides de larmes, semblent invoquer. De son autre main, montre une tombe entr'ouverte, laquelle on lit: Ici s'engloutissent les passions, les plaisirs et les peines. Sur le devant du tableau, aux pieds de cette femme désolée, est le berceau d'un enfant nouveau-né; une banderole qui flotte sur le berceau laisse lire ces mots: Un malheureux de plus!..

      Victor regarde long-temps ce portrait avec attendrissement. Ouvre la boîte, lui dit le baron; pousse un petit bouton à gauche, tu verras quelque chose de plus extraordinaire. Victor trouve le secret; et, dans, le double fond, il apperçoit un autre portrait, celui d'un homme dont la ressemblance est si frappante avec Victor, que Clémence jette un cri de surprise…

      L'homme que retrace cette peinture peut avoir trente à trente-deux ans. Il est armé de sabres et de pistolets; un énorme bonnet fourré couvre sa tête altière; son visage est ombragé de deux épaisses moustaches; il semble se reposer contre un arbre, et regarder attentivement une femme qui, plus éloignée, et dans l'ombre, alaite un petit enfant; au bas du portrait est écrit: Je sais aussi connaître la nature!..

      À la vue de ce portrait, Victor reste immobile de saisissement. Fritzierne s'en apperçoit, s'approche de lui, et lui prend la boîte des mains. Avez-vous remarqué, mes enfans, dit-il, le rapport frappant qui existe entre les traits de ce guerrier et ceux de Victor, quoique celui-ci soit plus jeune et plus délicat? Si nous rapprochons les dernières expressions de madame Wolf avec celles qui lui échappèrent cette nuit, dans ce songe où elle crut voir un nommé Roger, un monstre, percer de coups un enfant et sa mère; savez-vous que nous aurons deviné une partie de son secret?.. Mais ce qui me plonge, moi, dans une foule de doutes plus bizarres les uns que les autres, c'est que l'homme qui est peint dans le fond de cette boîte, l'homme sait aussi connaître la nature, je le connais! – Vous le connaissez, mon père, s'écrie Victor! – Oui mon fils; eh! je ne le connais que trop!.. – Qui est-il? – C'est Roger, c'est ce fameux chef des brigands qui infestent depuis si long-temps les forêts de l'Allemagne, et depuis peu les nôtres, celles de la Bohême, celles qui nous avoisinent. – Eh! comment, mon père, où avez-vous vu ce monstre si généralement détesté? – Dans une occasion, mon fils, où… ma vie… Ne m'interroge pas, mon Victor; laisse-moi mes malheurs! depuis si long-temps tu me les as fait oublier! – Pardon, mille fois pardon, mon père. Mais ce Roger… quoi! celui dont madame Wolf parlait dans son songe, celui qu'elle vient de désigner devant vous, celui qui est peint dans cette boîte… c'est ce scélérat atroce que la justice poursuit sans pouvoir l'atteindre, qui pille, brûle, dévaste les châteaux, et qui traîne à sa suite une armée redoutable? c'est ce monstre, et je lui ressemble!.. moi, moi! dieux! – Ne t'afflige pas, mon Victor: je le vois, les rapports les plus indirects avec le crime blessent toujours une ame honnête; mais ceci est un jeu du hasard. La nature produit souvent de ces ressemblances physiques, monstrueuses, si l'on considère l'éloignement moral qui existe entre les deux êtres qu'elle rapproche par les traits. Cet homme, ce Roger est bien, c'est un blond; il a de grands yeux bleus, un nez assez long, une petite bouche, le front haut. Tu as la masse de ses traits, comme mille autres hommes peuvent l'avoir; mais tu n'en as pas les détails. Laissons donc là cette ressemblance qui t'affecte sans cause, sans motif légitime, et parlons de madame Wolf. – Je ne m'étonne plus si, cette nuit, en se réveillant, СКАЧАТЬ