Название: Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse
Автор: Godard d'Aucour Claude
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
De quatre jours je ne vis le Président. Ce qui m’est arrivé pendant cet intervalle n’est pas indifférent: sans être romanesque, il a le singulier des aventures de ce genre.
Toutes les fois que je songe à Rozette je ne puis comprendre comment on peut aimer par inclination une fille qui par son état est obligée de se livrer au premier qui en essaie la conquête. Je ne comprends pas aussi, par la même raison, comment une honnête femme peut s’attacher à un jeune homme, qui certainement ne cherche qu’à voler de conquête en conquête, & s’attache rarement même à celle qui a le plus de mérite. Le cœur de l’homme est bien aveugle: il sent qu’il l’est, & qu’il lui faut un conducteur; il va chercher l’Amour, qui est aussi aveugle que lui, & tous deux se précipitent dans l’abyme.
J’étois fatigué en rentrant chez moi. Je me couchai, & rêvai de Rozette pendant toute la nuit. Ma premiere occupation à mon réveil fut d’envoyer savoir des nouvelles de sa santé; en quoi je fis mal: cet ordre, que je donnai à un Domestique que je ne connoissois pas à fond, coûta pour quelque tems la liberté à ma nouvelle amie, & pensa me faire à moi-même de très-mauvaises affaires. J’en reçus pour réponse, qu’elle étoit en parfaite santé; & comme elle n’imaginoit pas que je fusse assez imprudent pour me servir d’un laquais dont je ne serois pas sûr, elle me fit dire qu’elle m’attendoit avec impatience; mais à condition que je serois aussi modéré que si je sortois du carrosse avec mademoiselle Argentine. La Fleur me rendit mot pour mot ce qu’il tenoit de Rozette: il profita de ce qu’il avoit appris; & dans le tems qu’il faisoit mes affaires auprès de la maîtresse, il poussa les siennes auprès de sa suivante, & fut cause de beaucoup de malheurs. Vous apprendrez par la suite le tour qu’il me joua; comment, pris en flagrant délit, il fut conduit en une maison de force, où je veux qu’il reste encore plus de deux années révolues. Vos Domestiques sont toujours vos espions; il faut quelquefois être le leur.
Charmé de la réponse de Rozette, je montai dans mon carrosse & me fis conduire au Luxembourg: je renvoyai mes gens, & un instant après m’enfermai dans une chaise à porteur & arrivai où j’étois attendu. Rozette étoit à sa fenêtre, dès qu’elle m’eut apperçu elle vint au-devant de moi. Quand on est amoureux une bagatelle est sensible: une prévenance de la part d’une jolie femme est quelque chose de divin pour un jeune homme.
Rozette étoit coëffée en négligé, & avoit un désespoir couleur de feu; un corset de satin blanc, par-dessous une robe brodée des Indes, pressoit un peu sa gorge, &, faute d’une épingle, en laissoit appercevoir tous les charmes. Je me jettai à son cou, je l’embrassai avec transport. Nous nous reposâmes un moment, & je ne pouvois me lasser de lui donner des marques de mon amour. Ses mains, sa bouche, sa gorge, tout eut un compliment & mille baisers. Sa satisfaction mit le comble à la mienne.
Dînons-nous, lui dis-je? Sans doute, reprit-elle; & fit venir sa cuisiniere, à qui elle recommanda la propreté & de la promptitude.
Cependant je pris ma bonne amie sur mes genoux. Mes mains ardentes s’émancipoient-elles; elle réprimoit soudain leur ardeur. Vous vous fatiguez, mon cher ami, me disoit-elle; soyez sage. Voilà mes jeunes gens, leur feu part comme un coup de pistolet & s’évapore en fumée. Soyez plus modéré, mon cher cœur, dans peu vous aurez besoin de ces transports. Sa voix me persuadoit, je restois tranquille; elle me donnoit un baiser pour récompenser mon obéissance, & ce baiser m’en faisoit manquer à l’heure même. La situation où nous étions étoit singuliere. Vous vous souvenez, Marquis, du tems où nous travaillions en Salle d’Armes chez Dumouchelle.9 Supposez que Rozette est le maître, & moi l’éleve.
Toujours les armes en état, je me présentois de bonne grace: j’avançois, elle badinoit contre mes appels; quelquefois elle se laissoit effleurer ou le sein, ou le bras, ou le côté; tierce, quarte, seconde, elle étoit à tout, & rioit en prévenant toutes les feintes dans mes yeux. Tantôt elle rompoit la mesure & alloit rapidement à la parade: plus d’une fois elle courut au désarmement. Jamais je ne pus la toucher à l’endroit où j’avois fixé mon triomphe. Je sortis fort fatigué de cet assaut, où j’avois à la fin perdu beaucoup sans qu’elle en profitât. Cela s’appelle un combat en blanc: il n’y a que des enfans, ou des poltrons, qui puissent s’en amuser.
Nous nous mîmes à table. Je me piquai contr’elle, & fus vingt fois sur le point de me retirer. J’attribuois à mépris de sa part son peu de complaisance. Je la haïssois; je la détestois: elle me regardoit, & j’en redevenois passionnément amoureux.
Je ne restai pas long-tems à table; j’avois mon dessein: le voyageur curieux d’arriver ne s’amuse pas à considérer les prairies qui se trouvent sur son passage.
Rozette savoit la carte de mon voyage, elle m’avoit vu mettre le doigt sur l’endroit où je prétendois arriver, & avoit résolu de me donner quelque distraction en chemin. Sans m’avertir elle avoit fait venir une de ses bonnes amies, qui en pareille rencontre avoit coutume de lui servir de second. C’est la premiere fois qu’une femme ait choisi une autre femme pour lui faire la galanterie d’une bonne fortune qui lui appartenoit.
Nous rentrâmes dans le cabinet, Rozette me devançoit. Nous en étions aux explications, & une glace qui répétoit notre attitude me la rendoit plus chere en en doublant la perspective. Un de ses bras étoit derriere ma tête, la sienne penchée sur mon estomac, son autre main étoit saisie de ce qu’elle craignoit; les miennes errantes s’amusoient à des emplois qui ne se décrivent pas. Ses jambes badinoient auprès d’un ennemi, qui n’en étoit pas un pour elle. Avez-vous vu, Marquis, un tableau de Coipel10, dans lequel une Nymphe, couchée sur un lit de fleurs auprès de Jupiter, se plaît à manier son foudre. Nous étions une copie de ce chef-d’œuvre. J’étois dans une position si agréable que je n’osois en sortir, & elle étoit si voluptueuse qu’elle me faisoit sentir qu’il y en avoit une autre qui l’étoit davantage. Je la demandai, on me la refusa; je voulus la ravir, on me disputa la victoire: j’allois triompher lorsque mademoiselle de Noirville entra. Vous ne pouvez être sage, me dit alors Rozette en élevant la voix, & feignant d’avoir été surprise. Savez-vous que je me fâcherai à mon tour? Je m’étois levé par politesse; elle s’esquiva alors, & en fermant la porte à la clef elle me laissa avec la nouvelle venue dans un déshabillé qui annonçoit ce que j’avois voulu faire. Je fus un peu surpris. Mademoiselle Noirville me pria de n’en point être troublé; mais sur-tout de ne lui en pas vouloir sur son arrivée, qui sembloit ne me pas mettre à mon aise. Je n’y étois que trop; mais c’est qu’on n’y est jamais avec les personnes que l’on ne connoît pas. Je me laissai toucher par la douceur de sa voix; je l’envisageai, & mes regards tomberent sur une des plus jolies brunes de Paris. Le désordre où j’étois présentoit de lui-même le sujet de la conversation: elle le saisit, & le tournant en fille d’esprit à mon avantage, elle me félicita sur ce que sans doute j’avois exécuté avec Rozette. Ses discours sinceres & ambigus, gracieux & ironiques, me mirent dans l’embarras de m’expliquer; mais comme elle continuoit de parler, je fus forcé par politesse de lui répondre. On n’est pas hardi quand on a quelque chose sur la conscience. Je n’étois plus dans un état présentable, & mes réponses se sentirent de ma foiblesse. Je m’en apperçus СКАЧАТЬ
9
Fameux Maître d’Armes, rue de la Comédie.
10
Antoine Coipel, fameux Peintre.