Название: Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse
Автор: Godard d'Aucour Claude
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Cependant arriva Laverdure: il descendit de carrosse; nous y montâmes. Tout est prêt, dit-il, mademoiselle Laurette & mademoiselle Argentine vous attendent; mais mademoiselle Rozette est indisposée, & vous fait ses excuses. Cette nouvelle, que Rozette devoit être de la partie, & n’en seroit pas, me rendit chagrin. J’ignorois la surprise qu’elle nous ménageoit. On s’afflige souvent de ce qui nous doit être le plus agréable dans la suite.
Le Président ne déparla pas jusqu’au logis de nos Demoiselles. Il est permis de ne pas garder le silence quand on s’exprime avec sa variété. Il n’y a pas un petit-maître ou une petite-maîtresse qu’il ne connoisse par nom, surnom, intrigues, qualités, mœurs & aventures: il sait la chronique médisante de tout Paris.
Voici, me disoit-il, ce grand Flamand au teint pâle, qui joue si gros jeu. Il est au-dessus & au-dessous de nous de toute sa tête. Voyez-vous le sage Damis au regard ingénieux & spirituel? on croiroit qu’il pense, il donne bonne idée de lui lorsqu’il ne dit mot; sa physionomie est une menteuse, & cet homme-là n’est bon qu’à être son portrait.
Vous voyez le petit Duc dans son équipage. Il joue le galant & le passionné auprès des Dames, mais on sait son goût, & l’on est persuadé qu’il triche toujours en de telles parties.
N’avez-vous pas apperçu la Comtesse de Dorigny? elle est toujours dans son vis-à-vis seule; elle court de maison en maison pour annoncer une piece que l’on donnera ce soir aux Italiens pour la premiere fois: elle dit à tout le monde qu’elle en est très-contente, & ne l’a pas lue; c’est le Secrétaire de son frere qui en est auteur, elle en jugera en faisant des nœuds. Voici le jeune Poliphonte; il court à toute bride dans son phaëton bleu-céleste: fils d’un riche Marchand de vin, il se croit un Adonis; il est bien le favori de Bacchus, mais il ne le sera jamais de l’Amour.
Je n’ose, continuoit-il, regarder la porte d’Hebert2; il me vend toujours mille choses malgré moi: il en ruine bien d’autres en bagatelles. Il fait en France ce que les Français font à l’Amérique, il donne des colifichets pour des lingots d’or.
Nous arrivâmes à la porte de nos Demoiselles, après avoir attendu assez long-tems: Laverdure descendit avec elles.
Pensez-vous comme moi, Marquis? Je n’aime pas qu’un Domestique soit si fort dans la confidence de mes secrets, ou de mes plaisirs. En gardant un bijou on le regarde; en le regardant de trop près on en est tenté, & quelquefois le gardien devient larron: d’ailleurs une fille qui se vend à vous par intérêt, peut se donner par goût à votre confident.
Laurette & Argentine monterent avec nous: les stores tirés, nous partons. Le Président de prendre les mains à nos compagnes, elles de lui recommander d’être sage; lui de les embrasser, elles de se défendre ou d’en faire la cérémonie. Bientôt j’eus fait connoissance, à l’exemple de mon ami: nous badinons, le tems s’écoule, nous nous trouvâmes à la Glaciere.
Le dîner étoit préparé. Donnez vos ordres à un Domestique entendu, qu’il soit le maître de votre bourse, il en fera les honneurs par-delà vos vœux: plus vous serez content, plus il y aura trouvé son avantage. Qui est-ce qui n’est pas industrieux sur le plaisir, lorsque les frais en sont faits par un autre?
La maison où nous étions est louée par le Président; on y trouve toutes les commodités désirables.
L’extérieur n’en est pas brillant, mais l’intérieur vous en dédommage. C’est au dehors la forge de Vulcain; mais le dedans est le palais de Vénus.
Ces petites maisons-là sont d’une idée charmante, le mystere en est l’inventeur, le goût les construit, la commodité les dispose, & l’élégance en meuble les cabinets. On ne rencontre là que le simple nécessaire; mais c’est ce nécessaire cent fois plus délicieux que tous les superflus. On ne trouve jamais là de parens au degré prohibé, ainsi jamais de trouble. La sagesse est consignée à la porte; & le secret, qui y fait sentinelle, ne laisse entrer que le plaisir & l’aimable libertinage.
Le dîner servi nous en profitâmes. Passez-m’en la description. Imaginez ce que peut offrir la Volupté, quand la finesse vous sert à petits plats. Je me plaçai auprès de Laurette, & le Président choisit Argentine. Laverdure nous fit attendre après la bisque; cet intervalle fut rempli par une dispute qui s’éleva sur le savant & ennuyeux Opéra de Dardanus. Déjà nous étions animés, lorsqu’on nous présenta deux entrées, auxquelles Martiolo3 eût donné un nom très-apétissant. Ce service calma notre ardeur, & nous remit dans notre assiette & sur notre assiette.
Vous ne connoissez pas beaucoup nos deux convives; en voici une esquisse.
Laurette est encore jeune, mais moins qu’elle ne le dit, & moins aussi qu’elle ne le pense: la bonne foi des femmes est admirable sur cet article. Elle est une de ces grandes filles bien découplées, dont la taille & la jambe dénotent des dispositions excellentes pour plus d’une danse. Elle est brune, très-semillante, & se pique de faire naître des désirs.
Argentine est une grosse maman ragoûtante, qui a le nez un peu retroussé, la bouche jolie, la main potelée, & une gorge en faveur de laquelle la Nature n’a pas été ménagere. Le plaisir est sa divinité chérie; aussi lui sacrifie-t-elle le plus souvent qu’il lui est possible. Leur conversation se ressemble assez; elle est brillante lorsqu’elle roule sur la bagatelle: ces filles-là possedent bien leur matiere.
Le dîner se passa assez tranquillement; j’en fus surpris, connoissant l’humeur impétueuse du Président. J’ai toujours soupçonné que pendant un moment d’absence avec Argentine, sous prétexte de rendre visite à un cabinet nouvellement meublé de Perse, il s’étoit précautionné contre les effets du vin de Champagne. Au reste je le plains, s’il a été si long-tems sage sans préparation. Pour moi je m’apperçus bien que l’on n’est pas réservé quand on le veut. Est-ce un si grand mal de n’avoir pas un empire absolu sur la nature? On dit qu’il y a de la gloire à prendre sur elle; je trouve qu’il y a plus de plaisir à lui laisser prendre sur nous.
Déjà les propos enjoués avoient animé notre repas; quelques couplets de chansons assez libres avoient fait naître des désirs agréables, plusieurs baisers avoient, en conséquence, effleuré les charmes de nos convives, qui ne résistoient qu’autant qu’il le falloit pour se donner une réputation de s’être défendues. Nous ne songions à personne lorsque Laverdure nous annonça que l’on pensoit très-fort à nous, & nous remit une lettre de la part de Rozette.
Le Président la décacheta avec empressement: elle étoit badine, & nous félicitoit sur l’aimable désordre où elle supposoit que nous devions être, & nous avertissoit qu’avant une demi-heure elle partageroit nos amusemens. On but à sa santé; je le fis d’une façon trop marquée. Le cœur se trahit aisément, on le prend sur le fait à chaque rencontre. Cette façon découvrit à Argentine & à Laurette que je lui donnois la préférence. Toute femme est jalouse; les filles du genre de ces Demoiselles ne le sont pas précisément & en forme; mais elles ne sont point insensibles. Pourquoi, ayant des agrémens, l’orgueil ne seroit-il pas aussi leur apanage? Sans se dire mot elles se le donnerent pour empêcher que Rozette à son arrivée ne profitât de ce qu’elles avoient mérité comme premieres occupantes. Ce systême ne СКАЧАТЬ
2
Marchand Bijoutier; rue Saint Honoré; vis-à-vis le Grand-Conseil.
3
Fameux Cuisinier.