Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen. Gleichen Charles Henri
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СКАЧАТЬ avec laquelle il paya tant de générosité. Il la traitait avec le plus grand mépris, la forçait à vivre avec une certaine doña Gracia, qui était sa maîtresse, chose alors inouïe à Madrid, et dépensait ainsi les richesses que son épouse lui avait abandonnées.

      L'abaissement et la modification du tribunal de l'inquisition, dont j'ai été témoin, est une des plus belles époques du règne de Charles III. Depuis le concordat conclu entre l'Espagne et la cour de Rome, il subsistait une défense rigoureuse d'afficher une bulle qui n'aurait pas été approuvée par la cour. Le nonce en avait reçu une, que tous les évêques d'Espagne lui avaient refusé de publier; il gagna le grand inquisiteur, qui crut pouvoir faire usage de son ancienne indépendance en matières ecclésiastiques. Un beau matin nous apprîmes avec étonnement à Saint-Ildefonse, que le grand inquisiteur avait été enlevé de son lit par un détachement de dragons, et conduit dans un fort. L'indifférence méprisante avec laquelle les courtisans racontaient ce fait hasardeux, et le silence presque approbateur du peuple, excitèrent une surprise égale à l'admiration que méritaient le courage et la politique éclairée du roi. Bientôt après, tous les inquisiteurs, abasourdis par ce coup foudroyant, arrivèrent pour demander grâce, et la délivrance de leur chef, qu'on ne leur accorda qu'aux conditions suivantes: qu'ils n'auraient plus rien à leur disposition absolue que la censure des livres, que deux fiscaux royaux siégeraient parmi eux, et que personne ne pourrait être jugé ni condamné sans le consentement de la cour. Ce grand pas vers la lumière, suivi de l'expulsion des Jésuites, autre acte mémorable de Charles III, a ouvert la carrière des sciences qui commencent à prospérer en Espagne.

      Je ne puis pas quitter les souvenirs que me donne ce pays, sans citer quelques bizarreries remarquables qui m'y ont frappé. Les habitants de Madrid ont plusieurs usages, qui sont au rebours des nôtres et du sens commun. Par exemple: les jeux de paume sont blancs, et les balles sont noires; ils portent au marché les noix dans des corbeilles, et les figues dans des sacs; leur premier plat est la salade, et le dernier la soupe; et les clefs de la ville de Madrid se trouvent dans une petite maison au dehors de la porte, et toutes les nuits le portier renferme les habitants. Les propos galants, les soupirs et agaceries amoureuses sont exprimés en Espagne dans la classe inférieure des petits maîtres et des dulcinées de ce pays, par de petits hoquets artificiels, que l'estomac profère ordinairement, qui forme entre eux un duo singulier, qui doit apparemment imiter le roucoulement de deux tourterelles, mais qui ressemble à quelque chose de fort indécent. Au lieu de l'Opéra, si fameux sous le règne de la reine Barbe, je n'ai vu que des comédies saintes, appelées Autos sacramentales, spectacles trop curieux, pour que je n'en dise pas deux mots avant de finir cet article.

      La première à laquelle je me suis trouvé, était une pièce allégorique, qui représentait une foire. Jésus-Christ et la sainte Vierge y tenaient boutiques en rivalité avec la mort et le péché, et les âmes y venaient faire des emplettes. La boutique de notre Seigneur était sur le devant du théâtre, au milieu de celles de ses ennemis, et avait pour enseigne une hostie et un calice, environnés de rayons transparents. Tout le jargon marchand était prodigué par la mort et le péché, pour s'attirer des chalands, pour les séduire et les tromper, tandis que des morceaux de la plus belle éloquence étaient récités par Jésus-Christ et la sainte Vierge, pour détourner et détromper ces âmes égarées. Mais malgré cela ils vendaient moins que les autres, ce qui produisit, à la fin de la pièce, le sujet d'un pas de quatre, qui exprimait leur jalousie, et qui se termina à l'avantage de notre Seigneur et de sa mère, lesquels chassèrent la mort et le péché à grands coups d'étrivières. Une autre pièce assez plaisante et fort spirituelle, est la comédie du pape Pie V. C'est une critique très-bien faite des mœurs espagnoles. Dans la dernière scène on voit ce pape, qui est un saint, sur un trône au milieu de ses cardinaux, et deux avocats plaider devant ce consistoire pour et contre les belles qualités et les défauts des Espagnols; l'avocat contre finit par dénoncer le fandango comme une danse scandaleuse et licencieuse, et digne de la censure apostolique; alors l'avocat pour tire une guitare de dessous son manteau et dit, qu'il faut avant tout avoir entendu un fandango avant que de pouvoir en juger. Il le joue, et bientôt le plus jeune des cardinaux ne peut plus y tenir: il se trémousse, descend de son siége et remue les jambes; le second en fait autant; la même envie passe au troisième, et les gagne l'un après l'autre jusqu'au Saint Père, qui résiste longtemps, mais qui enfin se mêle parmi eux; et tous finissent par danser et rendre justice au fandango.

      Mais la plus plaisante de toutes ces saintes farces, est la comédie de l'annonciation. On y voit la sainte Vierge accroupie devant un brasier. Gabriel entre, le manteau sur le nez avec le chapeau rabattu sur la face; il se démasque, laissant tomber son manteau, et paraît en costume de petit-maître espagnol avec deux ailes d'ange. Marie le prie de prendre place auprès du brasier, et lui offre du chocolat; l'ange Gabriel lui répond, qu'il ne peut pas avoir cet honneur-là, par la raison qu'il était invité à manger un Oglio chez le Père éternel. Après bien des discours fort beaux, mais trop longs, arrive le saint Esprit qui danse avec la sainte Vierge un fandango, dont l'expression peint toujours, d'un bout à l'autre, l'acte le plus contraire au mystère dont il s'agit.

      J'ai interrogé le nonce, comment il était possible, que les évêques d'Espagne pussent tolérer des spectacles si ridicules? Il m'a assuré en avoir parlé à plusieurs, que tous lui ont répondu, que tant que le peuple ne s'en moquerait pas, au contraire s'y édifierait, ils les croyaient presque plus utiles que des sermons, qui, en Espagne, sont souvent accompagnés d'intermèdes figurés, et ne ressemblent pas mal à des comédies. Effectivement ces Autos sacramentales sont remplis d'une excellente morale, et de morceaux très-pathétiques pour inspirer la dévotion; et j'ai été témoin que, dans une de ces comédies où on représentait la messe sur le théâtre avec l'illusion la plus parfaite, beaucoup de spectateurs se frappaient la poitrine, et que quelques-uns se mettaient à genoux au son de la clochette. Aujourd'hui ces spectacles n'existent plus: le même progrès de l'esprit, qui les a rendus ridicules, les a défendus.

      II

      LE DUC DE CHOISEUL

      L e duc de Choiseul était d'une taille assez petite, plus robuste que svelte, et d'une laideur fort agréable; ses petits yeux brillaient d'esprit; son nez au vent lui donnait un air plaisant, et ses grosses lèvres riantes annonçaient la gaieté de ses propos.

      Bon, noble, franc, généreux, galant, magnifique, libéral, fier, audacieux, bouillant et emporté même, il rappelait l'idée des anciens chevaliers français; mais il joignait aussi à ces qualités plusieurs défauts de sa nation: il était léger, indiscret, présomptueux, libertin, prodigue, pétulant et avantageux.

      Lorsqu'il était ambassadeur à Rome, Benoît XIV le définissait un fou, qui avait bien de l'esprit. On dit que le parlement et la noblesse le regrettent et le comparent à Richelieu: en revanche ses ennemis disent que c'était un boute-feu, qui aurait embrasé l'Europe.

      Jamais je n'ai connu un homme, qui ait su répandre autour de lui la joie et le contentement autant que lui. Quand il entrait dans une chambre, il fouillait dans ses poches, et semblait en tirer une abondance intarissable de plaisanteries et de gaieté. Il ne résistait pas à l'envie de rendre heureux ceux qui savaient lui peindre le bonheur dont il pourrait les combler. Il puisait dans les trésors du crédit pour les obliger, pourvu que cela ne lui coûtât pas trop de peine. Au contraire, l'image du malheur lui était insupportable, et je lui ai entendu faire des plaisanteries, qui me paraissaient affreuses, sur les pleurs de la famille de son cousin Choiseul le marin, qu'il avait été obligé de faire exiler pour se mettre à l'abri de ses menées enragées; et voilà comme il s'armait par une feinte dureté contre la facilité et la faiblesse, qui lui étaient naturelles. Je lui ai entendu répondre à madame de Choiseul qui l'appelait un tyran: dites, un tyran de coton! Aussi, un moyen sûr d'obtenir de lui ce qu'on voulait, était de l'irriter auparavant sur un autre objet; cette colère passée, le lion devenait un mouton. J'ai employé deux fois contre lui ce secret que je n'ai communiqué à personne, et sans jamais en avoir abusé.

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