Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen. Gleichen Charles Henri
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СКАЧАТЬ et plus ennuyeux que l'Odyssée. J'ai emporté, mon cher baron, le regret de n'avoir pu vous être utile, le seul qui ait affecté mon cœur et qui sera éternel, si ce malheur me prive à jamais du bonheur de vous revoir dans ce pays-ci. Vous savez que je ne suis pas de ceux avec qui les absents ont tort; si je perds le plaisir de vous voir, je ne perdrai jamais, mon cher baron, celui de vous aimer.

      «J'envoie ma lettre à la petite-fille (Mme du Deffand) pour qu'elle vous la fasse tenir par une occasion sûre. Ne me répondez pas sur votre affaire. Je vous avertis que je n'écrirai plus. M. de Choiseul me charge de vous faire mille tendres compliments.»

      Gleichen eût pu se consoler à Naples de sa mauvaise fortune, au sein des arts et des débris de l'antiquité qu'il aimait tant, et dans la société d'un autre exilé de Paris, l'abbé Galiani. Mais un des premiers actes de M. d'Osten, après son entrée au ministère des affaires étrangères, fut de supprimer ce poste diplomatique, dont, mieux que personne, il connaissait l'inutilité pour le Danemark. Gleichen, après un an de séjour à Naples, fut nommé ministre à Stuttgart, à la place de M. d'Asseburg, qui, Allemand comme lui, n'avait pas eu plus que lui à se louer du service du Danemark, et passait à celui de Catherine. Gleichen ne pouvait se résigner à aller végéter dans la triste résidence du duc de Wurtemberg. Sur son refus d'accepter ce poste si inférieur, il fut mis à la retraite; mais il dut renoncer à la pension de mille thalers que lui accordait M. d'Osten, parce que ce ministre y joignait la condition par trop onéreuse de résider en Danemark. Cette pension fut rendue à Gleichen un peu plus tard, et avec la permission de vivre où il lui plairait, par le neveu de M. de Bernstorff, le comte André Pierre, successeur de M. d'Osten dans le ministère des affaires étrangères, après la catastrophe de Struensée.

      Devenu libre, Gleichen mit à profit ses loisirs pour satisfaire sa curiosité et son goût pour les voyages, mais toujours il revenait à Paris, qui était sa véritable patrie. En quittant Naples, son premier soin fut de faire une visite à ses amis dans ce triomphant exil de Chanteloup, où il fit de longs et fréquents séjours, et il resta jusqu'à la fin le discret et dévoué adorateur de la duchesse de Choiseul. La révolution française bouleversa son existence. Dans ses derniers jours, il se retira à Ratisbonne, et il y mourut le 5 avril 1807. C'est dans cet obscur asile qu'il écrivit ses souvenirs, à la prière de son ami, M. de Weckerholz, et d'un émigré français, qui, après avoir été envoyé de France à la diète de Ratisbonne, s'était fait Allemand, le comte de Bray.

      L'existence de ces Souvenirs, auxquels on donnait volontiers le titre par trop ambitieux de mémoires, était connue de beaucoup de contemporains de Gleichen. Un fragment en a même été publié en 1810, à Paris, dans le Mercure Étranger. Ils ont été imprimés complétement, mais non publiés en Allemagne, par un éditeur qui ne s'est pas nommé4.

      Gleichen a laissé d'autres écrits en langue allemande, publiés en 1796 et 1797, sur divers sujets de philosophie et sur les beaux-arts. Mais ces méditations, auxquelles il attachait sans doute beaucoup de prix, sont loin de valoir ces simples esquisses de la société de son temps, qui, par leur exactitude et les curieux détails qu'elles renferment, méritent d'être consultées par tous ceux qu'intéresse l'histoire du dix-huitième siècle.

P. G.

      I

      FERDINAND VI ET CHARLES III ROIS D'ESPAGNE

      Ferdinand VI avait hérité de son père la maladie du dieu des jardins et la terreur maniaque qu'on en voulait à sa vie. Cette double irritabilité morale et physique l'avait rendu encore plus dépendant de la reine Barbe de Portugal, sa femme, que Philippe V ne l'avait été de la sienne. La folie de l'un et de l'autre s'adoucissait par le charme de la musique et du chant de Farinelli qui, passionnément aimé de la reine Barbe et de son mari, était parvenu à un degré de faveur plus honorable pour lui que pour ses maîtres; car il n'a jamais fait qu'un bon usage de son crédit et s'est tenu modestement à sa place, tant qu'il a pu, évitant respectueusement les grands, et vivant avec les gens de sa sorte et de son pays. Je suis arrivé à Madrid peu de mois après son départ; on n'avait pas même encore achevé d'effacer tous ses portraits, qu'on avait placés, sculptés et incrustés dans toutes les maisons royales: mais on ne touchait point à sa mémoire, que j'ai vue respectée et honorée presque universellement.

      Revenons au pauvre roi Ferdinand, dont la maladie et la mort offrent quelques particularités plus remarquables que son règne, qui n'a été célèbre que par la magnificence de ses opéras.

      La tentative de l'assassinat de Louis XV, suivie de celle qui eut lieu en Portugal, sont les causes funestes, qui ont commencé et achevé le dérangement total de l'esprit du malheureux Ferdinand. Lorsqu'il reçut la nouvelle du dernier de ces attentats, il s'orienta dans la chambre, pour placer la France à sa droite et le Portugal à sa gauche; puis, tenant la lettre qu'il relisait, il s'écria après un long silence: «Stilettata di quà, pistolettata di là: ed io in mezzo. Oime!» Après quoi il se fourra sous le lit de la reine, qui était vis-à-vis de lui, et d'où on ne put le tirer qu'avec beaucoup de peine. Son état ne fit qu'empirer depuis, par la petite vérole de sa femme. Cette circonstance lui imposa des privations, qui mirent le comble à ses fureurs aphrodisiaques, qui ont été au point de vouloir violer l'agonie de cette pauvre reine. Du moment qu'elle fut morte, sa folie n'eut plus de bornes. Il fallut l'emporter à Casa del Campo, où, étant arrivé, il s'accrocha au gentilhomme de la chambre, jusqu'à le faire tomber à terre; on fut obligé de le détacher de force. Le monarque continua seul la promenade, refusant toute nourriture pendant plus d'une semaine, après quoi il mangea pendant huit jours l'impossible, et s'efforça à ne rien rendre en s'asseyant sur les pommeaux pointus des chaises antiques de sa chambre, desquels il se faisait des tampons. Ce cercle vicieux de jeûner, de se bourrer et de se constiper, dura plusieurs mois, et il mourut après avoir tenu son royaume dans un état d'anarchie, que la pitié fraternelle de Charles III refusait de terminer, malgré les pressantes sollicitations du ministère espagnol de venir prendre les rênes du gouvernement.

      La mémoire de ce monarque, que j'avais connu dans trois voyages à Naples, avant d'avoir eu le bonheur de l'approcher journellement durant les deux années de ma mission en Espagne, m'est trop chère pour ne pas lui consacrer quelques pages. Ce prince était d'une laideur parfaite, de la tête aux pieds, mais sans aucune difformité, et on s'accoutumait facilement à cette laideur par l'air de bonté et les manières simples et naturelles, dont elle était accompagnée, et qui lui tenaient lieu de grâces. Cette laideur me rappelle un bon mot, d'autant plus saillant qu'il était dit par un sot, en contemplant le portrait de Charles III que j'avais sur une tabatière, et qui circulait à la table de M. de Voltaire à Ferney. Je racontais combien ce prince était jaloux de son autorité en Espagne, tandis qu'à Naples il l'avait abandonnée à sa femme au point de passer pour un imbécile, uniquement pour avoir la paix du ménage: Elle était donc bien méchante, dit M. de Voltaire, et que lui aurait-elle donc fait? Elle l'aurait dévisagé, lui répondis-je. Alors cet homme, qui n'avait pas desserré les dents de toute la journée, et qui, dans ce moment, regardait le portrait, s'écria: Ma foi, elle lui aurait rendu là un grand service. L'accoutrement rustique du roi, ses culottes de peau, ses bas de laine roulés, ses poches, qui avaient l'air de deux havre-sacs, tant elles étaient toujours remplies, et sa petite queue, donnaient à la royauté un air de bonhomie si original, qu'on lui voulait du bien de ne se faire respecter que par réflexion. Il n'avait absolument que le sens commun. Car, l'ayant entendu parler beaucoup et longtemps, je ne lui ai jamais rien ouï dire qui fût spirituel, encore moins brillant; mais aussi ne lui ai-je jamais entendu proférer un propos d'ignorant, ou qui fût mal raisonné ou déplacé. Il me questionnait avec discernement, parlait à chacun suivant son âge, son pays ou son état, et s'abstenait de tous les lieux communs, qui sont les objets ordinaires de la conversation des princes.

      Il était constant dans ses affections et avait un véritable ami, chose bien rare pour un roi. C'était le duc de l'Ossado, le seul être contre lequel la reine ne pouvait rien. Mais ce qui СКАЧАТЬ



<p>4</p>

Denkwurdigkeiten des Barons Carl Heinrich von Gleichen. Leipsig. Druck von J. B. Hirschfeld. 1847. (P. 234, in-8.)]