Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen. Gleichen Charles Henri
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СКАЧАТЬ que le roi catholique avait donnés, pressé par son conseil d'accorder cette satisfaction au roi d'Angleterre, on eut une peine inouïe à l'y résoudre; il disait toujours: Mais c'est moi qui ai tort, j'aimerais bien mieux écrire au roi d'Angleterre, que les ordres ont été de moi, que j'en suis fâché, et que je lui en demande pardon. Une preuve bien remarquable de sa bonté, qui proportionnait son ressentiment à l'incapacité d'un ministre, qu'il aurait pu et dû ne pas écouter, est le ménagement plus qu'humain, qu'il eut après la perte de la Havane, pour M. Ariago, ministre de la marine et des Indes, homme borné et ridiculement dévot, mais parfaitement bon et honnête. Son avis, expressivement inepte, de renfermer la flotte dans le port et de s'en servir comme d'une fortification, l'emporta sur celui du roi, qui voulait avec raison qu'on fît sortir la flotte et l'employer à combattre. En conséquence elle et la ville furent prises. M. Ariago ne voulait pas le croire, parce qu'il avait recommandé l'une et l'autre tous les matins à la sainte Vierge. Mais n'en pouvant plus douter, il tomba dangereusement malade de désespoir: ce que le roi ayant appris, il le fit assurer, que jamais il ne lui parlerait de la Havane, et poussa la générosité au point de ne pas prononcer ce nom de longtemps en présence de ce pauvre ministre.

      Comme j'ai été témoin de cette guerre désastreuse, dans laquelle la France engagea Charles III, qui n'avait pas encore eu le temps de reconnaître le délabrement des forces militaires de l'Espagne, et que j'ai vu de près la résistance incroyable, que le petit Portugal a opposée à toute l'armée espagnole, combinée avec un corps français auxiliaire, il faut que j'atteste et que je note un trait d'ignorance, de désordre et de négligence si au-dessus de tant d'autres que j'ai vus depuis, et si fort, que quoique tout le monde me l'assurât à Madrid, j'ai été le seul ministre qui n'ait pas osé le mander à sa cour, le croyant impossible. L'armée était presque arrivée aux frontières du Portugal et on avait oublié, on ne me croira pas … on avait oublié … la poudre!! Quand le roi vint en Espagne, on s'était aperçu dans toutes les places, où il fallait tirer le canon, qu'on manquait de poudre, et à Madrid on fut obligé d'en tirer du dépôt pour les chasses: on avait eu presque une année pour se préparer à cette guerre, et malgré tout cela on avait oublié la poudre. Le prince de Beauveau, qui était à la tête des troupes françaises, envoya un courrier à M. de Saint-Amand, qui commandait à Bayonne, pour faire vider, sous sa responsabilité, tous les magasins à poudre de ce port et des forts voisins; et j'ai eu la certitude complète de cet oubli monstrueux par la lettre de M. de Beauveau, que M. de Saint-Amand me montra, lorsque je passai à Bayonne pour retourner en France. Je pourrais citer encore bien d'autres traits de l'ineptie des ministres espagnols, du dérangement total de la machine guerrière, qui se sont manifestés dans cette campagne. M. de Flobert, excellent ingénieur, que M. de Choiseul leur avait donné pour maréchal de logis, leur demandait des cartes du Portugal, et on n'en trouva pas même d'exactes des provinces espagnoles!

      M. de Flobert disait à tout le monde, qu'il était allé en Portugal à l'aide de la boussole, et on l'enferma dans la tour de Ségovie. L'armée était arrivée aux frontières, et M. de Squillacci marchandait encore avec les approvisionneurs; aussi les pauvres soldats espagnols, malgré leur sobriété naturelle, mouraient de faim, et ne vivaient que des miettes tombant de la table des Français. Les canons étaient sans affûts, les boulets étaient ou trop grands ou trop petits, et toutes les armes dans un dépenaillement inexprimable. Ce dépérissement était l'ouvrage presque réfléchi de la reine Barbe et de M. de l'Ensenada, son ministre affidé, qui, pensant avec regret aux dépenses, que la reine Farnèse avait faites, pour établir ses deux fils en Italie, voulaient s'assurer de tous les fonds pour donner des fêtes et des opéras, et ôter à l'Espagne la possibilité de guerroyer. Ils avaient même, en maltraitant les officiers et les soldats qui s'étaient distingués en Italie, étouffé cet esprit militaire, qui honorait les Espagnols, et on eut toutes les peines du monde à ramasser 50000 hommes pour aller en Portugal. Ce n'est donc pas la faute de Charles III, si toute cette guerre, entreprise par déférence pour le chef de sa famille, a si mal tourné. Quoique son règne n'ait pas été marqué par des victoires et des conquêtes, il mérite cependant des éloges, pour avoir combattu avec courage et persévérance plusieurs préjugés, défauts de police et mauvaises habitudes nationales, et pour avoir commencé la civilisation d'une nation incroyablement arriérée, et difficile à être mise au courant des autres, à cause de son ignorance, de sa paresse, de son orgueil et de sa philosophie cynique.

      L'Espagnol, de sa nature, n'est propre qu'à la guerre et aux sciences: par sa bravoure et sa sobriété, il est excellent soldat; et son esprit naturel, s'il était cultivé, pourrait le rendre célèbre dans l'empire des lettres; mais il est et sera toujours un mauvais paysan; on n'en fera jamais ni un artisan habile, ni un cultivateur diligent. Il lui faut si peu à sa manière: il fait bonne chère avec un oignon et un peu de lard; un vieux manteau lui suffit pour se vêtir et être couché; il se chauffe au soleil, ne s'ennuie point à ne rien faire, et regarde le travail comme un malheur et un opprobre. Que voulez-vous qu'on fasse d'un peuple pareil, auquel on ne peut pas même communiquer des besoins, qui partout ailleurs sont devenus les aiguillons de l'industrie et de la fatigue? J'ai souvent rêvé en bâtissant mes châteaux en Espagne, comment je m'y prendrais pour réformer les Espagnols, et je n'ai jamais pu imaginer qu'une marche bien lente et problématique pour guérir leurs infirmités physiques et morales. Il y a trois provinces en Espagne dont les habitants sont bien faits, sains, robustes, laborieux et intelligents: c'est la Biscaye, la Catalogne et Valence. C'est de là que je prendrais mes béliers pour anoblir et bonifier les autres races abâtardies, surtout celle des Castillans. Je croiserais ces derniers avec mes Biscayens, mes Catalans et mes Valenciens, auxquels j'accorderais les priviléges d'entreprises dédaignées par les Castillans, et peut-être pourrait-on exciter leur émulation par la jalousie de leur orgueil et par l'opposition sensible de leur misère à la prospérité des autres.

      Mais sans entrer dans ces spéculations théoriques, Charles III commença par ce qui frappait les sens. Il entreprit d'abord de purifier Madrid, dont l'infection était si épouvantable, qu'on la sentait à six lieues à la ronde, et qu'on la mâchait pendant six semaines avant de s'en être blasé. Il n'y a sorte d'oppositions et de difficultés qu'il n'éprouva dans ce projet. Il fallut faire venir et employer des Napolitains, pour établir de force des latrines dans les maisons, et le corps des médecins composa un mémoire pour représenter que l'air de Madrid ayant toujours été fort sain, il leur paraissait dangereux de vouloir le changer. Ceci me fait souvenir de l'histoire d'un Espagnol qui était tombé malade en France, et dont les médecins ne pouvaient pas deviner la maladie. Son valet de chambre imaginant que l'air natal pourrait lui faire du bien, et le malade ne pouvant plus être transporté, il fourra sous son lit un bassin plein d'odeur de Madrid. L'Espagnol, après des rêves délicieux, s'éveilla en disant: «Ho Madrid de mi alma»! et il guérit.

      Charles III, après avoir purgé la capitale de son infection, fit mettre des lanternes dans les rues; et aujourd'hui elle est une des villes les plus propres et les mieux éclairées de l'Europe. Sa tentation de rogner les manteaux, et la défense rigoureuse de rabattre les chapeaux sur la figure, mascarade très-dangereuse dans l'obscurité, ne fut pas si sage, parce que les rues étant éclairées, cette défense n'était plus si nécessaire, et qu'elle fut exécutée avec tant de violence qu'il en résulta une émeute très-fâcheuse. Cette imitation de la rigueur avec laquelle Pierre le Grand fit couper la barbe aux Russes, avait le même but, de changer les mœurs en changeant le costume; mais cette idée est moins vraie que le proverbe: l'habit ne fait pas le moine. Une entreprise bien plus sage, pour introduire un peu plus d'industrie étrangère, et qui a beaucoup mieux réussi, c'est l'établissement de cette colonie allemande qui transforma les déserts infectés de voleurs de la Sierra Morena, en une route garnie de champs cultivés et d'auberges commodes. Cette entreprise fut faite par le marquis Olavides, homme sans mœurs et sans religion, mais plein de génie et de zèle, pour polir sa nation et lui être utile.

      Le roi le protégea longtemps contre ses ennemis, mais enfin sa mauvaise conduite, sa prépotence, et surtout son incontinence scandaleuse, forcèrent le prince à le mettre entre les mains de l'inquisition. Je ne citerai qu'une preuve de son mauvais caractère. Étant du conseil du Mexique, il fut condamné СКАЧАТЬ