Monsieur de Camors — Complet. Feuillet Octave
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Monsieur de Camors — Complet - Feuillet Octave страница 8

Название: Monsieur de Camors — Complet

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ d'elle-même chaque jour et à chaque heure, déléguant à peine quelques-uns de ses droits, n'en aliénant aucun, vivant, non sans lois, mais sans maîtres, et développant enfin son activité, son bien-être, son génie avec toute la plénitude de justice, d'indépendance et de dignité que l'état républicain donne seul à tous et à chacun. Tout autre cadre social leur paraît garder quelque chose des servitudes et des iniquités de l'ancien monde, et leur semble suspect tout au moins de créer entre les gouvernants et les gouvernés des intérêts différents, quelquefois hostiles. Ils revendiquent enfin pour les peuples la forme politique qui sans contredit fait le plus d'estime de l'humanité. On peut contester l'opportunité pratique de leurs vœux; on ne peut méconnaître la grandeur de leur principe. C'est en réalité une fière race d'esprits et de cœurs. Ils ont eu de tout temps leurs puritains sincères, leurs héros et leurs martyrs; mais de tout temps aussi ils ont eu, comme tous les partis, leurs faux dévots, leurs aventuriers et leurs ultras, qui sont leurs plus dangereux ennemis. Dardennes jeune, pour se faire pardonner sans doute l'origine équivoque de ses convictions, devait prendre rang parmi ceux-là.

      Louis de Camors, jusqu'au jour où il sortit du collège, ne connaissait pas son oncle Dardennes, qui était resté brouillé avec son père; mais il professait pour lui un culte secret et enthousiaste, lui attribuant toutes les vertus du principe qu'il représentait à ses yeux. La république de 1848 expirait alors, et son oncle était un vaincu. Ce fut un attrait de plus pour le jeune homme. Il alla le voir à l'insu de son père, comme en pèlerinage, et il fut bien accueilli. Il le trouva exaspéré non pas tant contre ses adversaires politiques que contre son propre parti, qu'il accusait du désastre de sa cause.

      — On ne fait point, disait-il d'un ton solennel et dogmatique, on ne fait point les révolutions avec des gants. Les hommes de 93 n'en avaient pas... on ne fait point d'omelette sans casser des œufs. Les pionniers de l'avenir doivent marcher la hache à la main. La chrysalide des peuples ne se développe pas sur des roses. La liberté est une déesse qui veut de grands holocaustes. Si on eût terrorisé la France en 48, on en fût resté le maître!

      Ces maximes grandioses étonnèrent Louis de Camors. Dans sa naïveté juvénile, il savait un gré infini aux hommes honnêtes qui avaient gouverné leur pays dans ces jours difficiles, non seulement d'être sortis du pouvoir aussi pauvres qu'ils y étaient entrés, mais d'en être sortis les mains pures de sang. À cet hommage qui leur sera rendu par l'histoire et qui les vengera de beaucoup d'injustices contemporaines, il ajoutait un reproche qui ne se conciliait guère avec les étranges griefs de son oncle: il leur reprochait de n'avoir pas dégagé plus franchement, ne fût-ce que dans les détails de mise en scène, la république nouvelle des mauvais souvenirs de l'ancienne. Loin de croire, comme son oncle en effet, que des procédés renouvelés de 93 eussent assuré le triomphe de cette république, il pensait qu'elle avait succombé uniquement sous l'ombre sanglante du passé, et que, grâce à cette terreur tant vantée, la France était le seul pays du monde où les dangers de la liberté parussent, pour des siècles peut-être, disproportionnés à ses bienfaits.

      Il est inutile d'insister plus longtemps sur les relations de Louis de Camors avec son oncle Dardennes. On comprend assez qu'elles jetèrent dans son esprit la défiance et le découragement, qu'il eut le tort ordinaire de faire rejaillir sur la cause tout entière les violences trop peu désavouées d'un de ses médiocres apôtres, et qu'il prit enfin dès ce moment l'habitude fatale, et trop commune en France, de confondre le mot progrès avec le mot désordre, la liberté avec la licence et la Révolution avec la Terreur.

      L'effet naturel de l'irritation et du désenchantement sur cette âme ardente fut de la rejeter brusquement vers le pôle des opinions contraires. Camors se dit qu'après tout sa naissance, son nom, ses conditions de famille lui indiquaient son devoir véritable, qui était de combattre les doctrines despotiques et cruelles qu'il croyait voir désormais au bout de toutes les théories démocratiques. Une chose, d'ailleurs, l'avait encore choqué et rebuté dans le langage habituel de son oncle, c'était la profession d'un athéisme absolu. Il avait lui-même, à défaut de foi très formelle, un fonds de croyance générale, de respect et comme de sensibilité religieuse que l'impiété cynique offensait. De plus, il ne comprenait point et il ne comprit jamais dans tout le cours de sa vie que des principes pussent se soutenir par leur propre poids dans la conscience humaine, s'ils n'avaient des racines et une sanction plus haut. — Ou un Dieu ou pas de principes! — ce fut un dilemme dont aucun philosophe allemand ne put le faire sortir.

      La réaction de ses idées le rapprocha des autres branches de sa famille, qu'il avait un peu négligées jusque-là. Ses deux tantes demeuraient à Paris. Toutes deux, en raison de la réduction de leur dot, avaient dû autrefois faire quelques concessions pour passer à l'état de mariage. L'aînée, Éléonore-Jeanne, avait épousé du vivant de son père le comte de la Roche-Jugan, qui avait dépassé la cinquantaine, mais qui était, d'ailleurs, un fort galant homme. Il était digne d'être aimé. Néanmoins sa femme ne l'aima pas, leur manière de voir différant extrêmement sur quelques points essentiels. M. de la Roche-Jugan était de ceux qui avaient servi le gouvernement de la Restauration avec un dévouement inviolable, mais attristé. Il avait été attaché dans sa jeunesse au ministère et à la personne du duc de Richelieu, et il avait conservé, des leçons et de l'exemple de cet illustre personnage, l'élévation et la modération des sentiments, la chaleur du patriotisme et la fidélité sans illusions. Il vit de loin les abîmes, déplut au prince en les lui montrant, et l'y suivit. Rentré dans la vie privée avec peu de fortune, il y gardait sa foi politique plutôt comme une religion que comme une espérance. Ses espérances, son activité, son amour du bien, il tourna tout vers Dieu. Sa piété, aussi éclairée qu'elle était profonde, lui fit prendre rang parmi cette élite d'esprits qui s'efforçait alors de réconcilier l'antique foi nationale avec les libertés irrévocables de la pensée moderne. Il éprouva dans cette tâche, comme la plupart de ses nobles amis, de mortelles tristesses, et tellement mortelles, qu'il y succomba. Sa femme, il est vrai, ne contribua pas peu à hâter ce dénoûment d'une vie excellente par l'intempérance de son zèle et l'acrimonie de son étroite dévotion. C'était une personne d'un petit cœur et d'un grand orgueil, qui mettait Dieu au service de ses passions, comme Dardennes jeune mettait la liberté au service de ses rancunes. Dès qu'elle fut veuve, elle purifia son salon: on n'y vit plus figurer désormais que des paroissiens plus orthodoxes que leur évêque, des prêtres français qui reniaient Bossuet, et, en conséquence, la religion fut sauvée en France. Louis de Camors, admis dans ce lieu choisi à titre de parent et de néophyte, y trouva la dévotion de Louis XI et la charité de Catherine de Médicis, et y perdit bientôt le peu de foi qu'il avait.

      Il se demanda douloureusement s'il n'y avait pas de milieu entre la Terreur et l'Inquisition, et s'il fallait être en ce monde un fanatique ou rien. Il chercha quelque opinion intermédiaire constituée avec la force et la cohésion d'un parti, et il ne la put découvrir.

      Il semblait alors que toute la vie se fût réfugiée dans les opinions extrêmes, et que tout ce qui n'était pas violent et excessif en fait de politique ou de religion fût indifférent et inerte, vivant au jour le jour, sans principe et sans foi. Tel lui parut être du moins le personnage que les tristes hasards de sa vie lui présentèrent comme le type des politiques tempérés.

      Sa plus jeune tante, Louise-Élisabeth, que ses goûts portaient aux jouissances de la vie mondaine, avait jadis profité de la mort de son père pour se mésallier richement. Elle avait épousé le baron Tonnelier, dont le grand-père avait été meunier, mais dont le père, homme de mérite et d'honneur, avait rempli des fonctions élevées sous le premier Empire, le baron Tonnelier avait une grande fortune, qu'il accroissait encore chaque jour par des spéculations industrielles. Il avait été dans sa jeunesse beau cavalier, voltairien et libéral. Avec le temps, il était resté voltairien, mais il avait cessé d'être beau cavalier et surtout libéral. Tant qu'il fut simplement député, il eut encore çà et là quelques velléités démocratiques; mais, le jour où il fut investi de la pairie, il reconnut définitivement que le genre humain n'avait СКАЧАТЬ