Monsieur de Camors — Complet. Feuillet Octave
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Название: Monsieur de Camors — Complet

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ sa large main.

      — Mon Dieu! dit Camors d'une voix sourde.

      Il écouta un moment Lescande qui sanglotait. Il fit un mouvement pour lui prendre la main, et n'osa pas.

      — Est-ce possible! reprit-il.

      — Cela est arrivé si vite, dit Lescande, que cela me paraît un rêve... un rêve affreux... Tu sais, la dernière fois que tu es venu, elle souffrait... je te l'avais dit, je m'en souviens... Elle avait pleuré toute la journée... pauvre enfant! Le lendemain, quand je suis revenu, elle a été prise... Une congestion aux poumons... à la tête aussi... est-ce que je sais? enfin, elle est morte... que veux-tu!.. et si bonne, si aimante jusqu'au dernier instant, mon ami!.. Une demi-heure avant, elle m'a appelé... elle m'a dit: «Oh! je t'aimais tant! je t'aimais tant! je n'aimais que toi... vraiment que toi! Pardonne-moi!.. pardonne-moi!..» Lui pardonner... quoi, mon Dieu? De mourir probablement!.. car jamais elle ne m'avait fait un autre chagrin au monde... avant celui-là! Ô Dieu de bonté!

      — Je t'en prie, mon ami...

      — Oui, oui! j'ai tort, pardon! Tu as aussi tes douleurs, toi... mais on est égoïste, tu sais... Ce n'est pas de cela que je suis venu te parler, mon ami... Dis-moi... je ne sais ce qu'il y a de vrai dans un bruit qui s'est répandu... Tu m'excuseras si je me trompe... Je suis bien loin de songer à t'offenser, tu peux croire, mais enfin on dit que tu restes dans une situation de fortune difficile... Si cela était, mon ami...

      — Cela n'est pas.

      — Enfin, si cela était... je ne vais pas garder ma petite maison là-bas, tu comprends... à quoi bon maintenant?.. Quant à mon fils, il peut attendre, je travaillerai pour lui... Eh bien, ma maison vendue, j'aurai deux cent mille francs, j'en mets la moitié à ta disposition... tu me les rendras, si tu peux.

      — Merci, mon ami, dit Camors... Véritablement je n'ai besoin de rien... Il y a bien ici quelque désordre... mais je reste encore plus riche que toi.

      — Oui, mais avec tes goûts...

      — De grâce!

      — Enfin tu sauras toujours où me trouver... et je compte sur toi, n'est-ce pas?

      — Oui.

      — Adieu, mon ami... Je te fais du mal... je m'en vais... au revoir... Tu me plains, dis?

      — Oui, au revoir.

      Lescande sortit.

      Le jeune comte était demeuré debout, immobile, les yeux fixés dans le vide. De légères convulsions passaient sur ses traits. Cette minute fut décisive dans sa vie. Il y a des moments où le besoin du néant se fait si violemment sentir, qu'on y croit et qu'on s'y jette. En présence de ce malheureux homme si indignement trahi, si brisé, si confiant, Camors, s'il y avait quelque chose de vrai dans la vieille morale spiritualiste, devait se reconnaître coupable d'une action atroce qui le condamnait à un remords presque insoutenable; mais, s'il était vrai que le troupeau humain fût le résultat purement matériel des forces de la nature, produisant au hasard des êtres forts et des êtres faibles, des agneaux et des lions, — il n'avait fait que son métier de lion en égorgeant son camarade. Il se dit, le testament de son père sous les yeux, qu'il en était ainsi, et se calma.

      Plus il réfléchit ce jour-là et les jours qui suivirent, dans la retraite profonde où il s'ensevelit, plus il se persuada que cette doctrine était la vérité même qu'il avait tant cherchée, et que son père lui avait légué la vraie formule de la vie. Son âme épuisée de dégoûts et d'inertie, son âme vide et froide, s'ouvrit avec une sorte de volupté à cette lumière qui la remplit et l'échauffa. Il avait dès ce moment une foi, un principe d'action, un plan d'existence, tout ce qui lui manquait, et il n'avait plus ce qui l'oppressait, ses doutes, ses agitations, ses remords. Cette doctrine, d'ailleurs, était haute ou du moins hautaine: elle satisfaisait son orgueil et justifiait ses mépris. Pour conserver sa propre estime, il lui suffirait de rester fidèle à l'honneur, de ne faire rien de bas, comme le disait son père, et il était bien décidé à ne rien faire en effet qui eût à ses yeux ce caractère. Au surplus, il y avait des hommes — n'en avait-il pas rencontré? — profondément imbus du dogme matérialiste, et qui comptaient parmi les plus honnêtes gens de leur temps. Peut-être eût-il pu se demander si ce fait incontestable ne devait pas être attribué aux individus et non à la doctrine, et s'il n'y avait pas dans le mal comme dans le bien des hommes qui croient et qui ne pratiquent pas. Quoi qu'il en soit, à dater de cette crise, Louis de Camors fit du testament de son père le programme de sa vie.

      Développer à toute leur puissance les dons physiques et intellectuels qu'il tenait du hasard, faire de lui-même le type accompli d'un civilisé de son temps, charmer les femmes et dominer les hommes, se donner toutes les joies de l'esprit, des sens et du pouvoir, dompter tous les sentiments naturels comme des instincts de servage, dédaigner toutes les croyances vulgaires comme des chimères ou des hypocrisies, ne rien aimer, ne rien craindre et ne rien respecter que l'honneur, tels furent en résumé les devoirs qu'il se reconnut et les droits qu'il s'arrogea.

      C'était avec ces armes redoutables, maniées par une intelligence d'élite et par une volonté vigoureuse, qu'il devait rentrer dans le monde, le front calme et grave, l'œil caressant et implacable, le sourire aux lèvres, comme on l'a connu. Dès cet instant, il n'y eut plus un nuage ni dans sa pensée, ni sur ses traits, qui semblèrent même ne plus vieillir.

      Il résolut avant tout de ne point déchoir et de conserver, malgré l'exiguïté présente de ses ressources, ses habitudes d'élégance et de luxe, dût-il vivre pendant quelques années sur son capital. La fierté et la politique lui en donnaient également le conseil. Il n'ignorait pas que le monde est aussi dur aux besoigneux qu'il est secourable à ceux qui ne manquent de rien. S'il l'eût ignoré, l'attitude première de sa famille après la mort de son père l'eût suffisamment édifié à cet égard. Sa tante de la Roche-Jugan et son oncle Tonnelier lui avaient, en effet, témoigné en cette circonstance la froide circonspection de gens qui peuvent soupçonner qu'ils ont affaire à un malheureux. Ils avaient même, pour plus de sûreté, quitté Paris, en négligeant de dire au jeune comte quelle retraite ils avaient choisie pour y cacher leur douleur. Il devait, au reste, l'apprendre bientôt. Pendant qu'il achevait de liquider la succession de son père et qu'il organisait ses projets de fortune et d'ambition, il éprouva par une belle matinée du mois d'août une assez vive surprise.

      Il comptait parmi ses parents un des plus riches propriétaires fonciers de France, le général marquis de Campvallon d'Arminges, célèbre au Corps législatif par ses interruptions effrayantes. Il avait une voix de tonnerre, et, quand il disait de cette voix de tonnerre: «Bah!.. Allons donc!.. Assez!.. Ordre du jour!» l'hémicycle tremblait dans ses profondeurs, et MM. les commissaires du gouvernement bondissaient sur leurs sièges. C'était, d'ailleurs, le meilleur homme du monde, quoiqu'il eût tué en duel deux de ses semblables; mais il avait eu ses raisons. — Camors le connaissait peu; il lui rendait strictement les devoirs que la parenté et la politesse exigeaient, le rencontrait au cercle, faisait quelquefois son whist, et c'était tout. Il y avait deux ans que le général avait perdu un neveu qui était l'héritier direct de son nom et de ses biens, et il était assiégé en conséquence d'une foule de cousins et de collatéraux empressés, parmi lesquels madame de la Roche-Jugan et la baronne Tonnelier concouraient au premier rang. Camors était d'une humeur différente, et il avait depuis ce temps apporté dans ses relations avec le général une réserve particulière.

      Il ne reçut donc pas sans étonnement le billet que voici:

      «Mon cher parent,

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