Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia. Foscolo Ugo
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Название: Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia

Автор: Foscolo Ugo

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ à celle de l'homme. Tu le vois: quant à lui, l'homme n'a point à se louer de la sienne; et, si parfois il rencontre sur son chemin les prés fleurissants d'avril, il doit plus souvent encore traverser les sables brûlants de l'été et les glaces mortelles de l'hiver.

22 janvier.

      Ainsi vont les choses, cher ami; hier au soir, j'étais auprès du foyer autour duquel s'étaient rassemblés quelques paysans des environs, qui, en se chauffant, s'amusaient à raconter leurs anciennes aventures. Tout à coup une jeune fille, les pieds nus et paraissant transie de froid, entre, et, s'adressant au jardinier, lui demande l'aumône pour la pauvre vieille. Tandis qu'elle se réchauffait, il préparait pour elle deux petits fagots de bois sec et deux pains bis. La paysanne les prit, nous salua et partit; je sortis derrière elle, et, sans intention, je suivis ses traces imprimées dans la neige.

      Arrivée à un monceau de glaces qui barraient le chemin, elle s'arrêta, cherchant des yeux une place où elle pût passer. Je la joignis.

      – Allez-vous bien loin, jeune fille?

      – Non, monsieur, là, un demi-mille environ.

      – Ces fagots sont trop lourds pour vous, laissez-m'en prendre au moins un.

      – Ils ne me fatigueraient point si je pouvais les porter sur mes épaules; mais ces deux pains m'embarrassent.

      – Alors, laissez-moi donc porter les pains.

      Elle me les présenta en rougissant, et je les mis sous mon manteau. Après une petite heure de marche, nous entrâmes dans une chaumière au milieu de laquelle nous aperçûmes une vieille femme qui se chauffait à un vase de braise, sur lequel elle étendait les paumes de ses mains en appuyant ses pouces sur ses genoux.

      – Bonjour, mère, lui dis-je en m'approchant d'elle.

      – Bonjour, me répondit-elle.

      – Comment vous portez-vous, mère?

      Cette question et dix autres que je lui fis successivement restèrent sans réponse, tant elle était occupée à se réchauffer les mains; de temps en temps seulement, elle levait les yeux pour voir si nous étions partis. Nous déposâmes toutes nos petites provisions; et la vieille, sans plus nous regarder, fixa sur elles son œil immobile, et, à notre promesse de revenir le lendemain, elle ne nous répondit que par un second «Bonjour!» qu'elle laissa échapper comme malgré elle.

      En regagnant la maison, la jeune paysanne me racontait que cette femme, qui pouvait avoir environ quatre-vingts ans, était très-malheureuse, en ce que la saison empêchait souvent les habitants du village de lui faire passer les secours dont elle avait besoin, et que quelquefois on l'avait trouvée près de mourir de faim; cependant, la crainte de quitter la vie était si forte chez elle, qu'on la voyait continuellement occupée à marmotter des prières pour que Dieu la conservât en ce monde. J'ai entendu dire ensuite à un vieux paysan que, depuis qu'elle avait perdu son mari tué d'un coup d'arquebuse, elle avait vu, dans une année de disette, mourir autour d'elle ses fils, ses filles, ses gendres, ses belles-filles et ses neveux. Et cependant, frère, cette malheureuse, qui joint aux maux présents le souvenir des maux passés, demande encore au ciel de lui conserver une vie noyée dans une mer de douleurs.

      Hélas! tant de dégoûts assiégent notre existence, qu'il ne faut pas moins que cet instinct invincible qui nous y attache, pour l'acheter, quand la nature nous donne tant de moyens de nous en délivrer, pour l'acheter, dis-je, comme nous le faisons par l'avilissement, les pleurs, et quelquefois encore par le crime…

17 mars.

      Depuis deux mois, je ne te donne pas signe de vie, et tu t'en es effrayé, et tu as craint que je ne fusse vaincu par l'amour, au point de ne me souvenir ni de toi ni de la patrie. – O frère! que tu me connais peu, que tu connais peu le cœur humain et toi-même, si tu penses que le sentiment de la patrie puisse s'attiédir ou s'éteindre, et si tu crois qu'il cède aux autres passions, tandis qu'au contraire il les irrite et en est irrité. – C'est vrai, et, en cela, tu as dit vrai: L'amour dans un cœur malade, et où les autres passions sont désespérées, renaît tout-puissant. – Et j'en suis une preuve; mais qu'il y renaisse mortel, tu te trompes; sans Thérèse, je serais aujourd'hui dans la tombe.

      La nature crée de sa propre autorité des esprits qui ne peuvent être que généreux; il y a vingt ans, il était possible qu'ils demeurassent sans force et engourdis dans la torpeur universelle de l'Italie; mais les temps d'aujourd'hui ont réveillé en eux leurs natives et viriles passions; et ils ont acquis telle trempe, qu'on puisse les briser, oui – les faire plier, non. Et ceci n'est point une sentence métaphysique; crois-moi, c'est la vérité qui resplendit dans la vie de beaucoup d'hommes des anciens jours, glorieusement malheureux: vérité dont je me suis convaincu en vivant avec beaucoup de concitoyens que je plains et que j'admire en même temps; parce que, si Dieu n'a pas pitié de l'Italie, ils devront enfermer au plus profond de leur cœur l'amour de la patrie, – le plus funeste des amours, en ce qu'il brise ou endolorit toute la vie, et qu'avant de l'abandonner, ils auront pour chers les périls, l'agonie et la mort; – et je suis un de ceux-là; – et toi aussi, Lorenzo.

      Mais, si j'écrivais là-dessus ce que j'ai vu et ce que je sais, je ferais une chose inopportune et cruelle, en rallumant en vous tous cette flamme que je voudrais éteindre en moi. – Je pleure, crois-moi, la patrie; je la pleure secrètement, et je désire

Que je répande seul mes larmes ignorées

      Une autre espèce d'amateurs d'Italie se plaint à haute voix, criant qu'ils ont été vendus et livrés; mais, s'ils se fussent armés, ils eussent été vaincus peut-être, mais non pas trahis; et, s'ils s'étaient défendus jusqu'à la dernière goutte de leur sang, les vainqueurs n'eussent pas pu les vendre, et les vaincus n'eussent point tenté de se racheter. Il y en a beaucoup parmi nous qui croient que la liberté se peut payer à prix d'argent, qui pensent que les nations étrangères viennent, par amour de l'équité, s'égorger réciproquement dans nos campagnes pour délivrer l'Italie; mais les Français, qui ont rendu odieuse la divine théorie de la liberté publique, feront les Timoléons à notre égard. – Beaucoup espèrent dans le jeune héros né de sang italien, né où se parle notre langue; – moi, d'une âme basse et cruelle, je n'attendrai jamais rien d'utile ni d'élevé pour nous; que m'importe qu'il ait le courage et le rugissement du lion, s'il a l'esprit du renard! Oui, bas et cruel, et les épithètes ne sont pas exagérées; n'a-t-il pas vendu Venise avec une franche et généreuse fierté? Selim Ier, qui fit égorger sur le Nil trente mille soldats circassiens qui s'étaient fiés à sa parole, et Nadir schah, qui, dans notre siècle, assassina trois cent mille Indiens, sont plus féroces, c'est vrai, mais moins méprisables. J'ai vu de mes yeux une constitution démocratique, apostillée par le jeune héros, apostillée de sa main, et envoyée de Passeriano à Venise, pour qu'elle y fût acceptée; et le traité de Campo-Formio était déjà signé depuis plusieurs jours, et Venise vendue: et la confiance que le héros nous inspirait à tous a rempli l'Italie de proscrits, d'émigrants et d'exilés. Je n'accuse pas la raison d'État, qui vend les nations comme des troupeaux de bêtes: ce fut et ce sera toujours ainsi mais je pleure ma patrie,

      Qui me fut enlevée, et de telle manière,

      Que l'offense en mon cœur vit encore tout entière.

      Il est né Italien, et secourra un jour la patrie. – Qu'un autre le croie; moi, j'ai répondu et je répondrai toujours: «La nature le créa tyran, et le tyran n'a point d'égard à la patrie. Il n'en a pas!»

      Quelques-unes des nations, en voyant les plaies de l'Italie, vous disent qu'il faut savoir les guérir avec les remèdes extrêmes nécessaires à la liberté. C'est vrai, l'Italie a des abbés et des moines; mais elle n'a plus de prêtres; car, là où la religion n'est point incarnée dans les lois et dans les mœurs d'un СКАЧАТЬ