Histoire de Sibylle. Feuillet Octave
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Название: Histoire de Sibylle

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ dans une circonstance à ses yeux si intéressante et si essentielle, parut au marquis de Férias d'une légèreté à peine supportable, et, bien qu'accoutumé aux formes mondaines et évaporées qui recouvraient chez M. de Vergnes un fonds assez sérieux de réflexion et de sensibilité, ce ne fut pas sans appréhension qu'il se rendit de sa personne à la gare de *** pour y recevoir l'institutrice qui lui était annoncée dans un langage si équivoque. Le premier aspect de miss O'Neil descendant de wagon avec son sac de voyage fut loin de dissiper les angoisses du marquis: il la reconnut sans peine, malgré les ombres du crépuscule. Miss Augusta-Mary O'Neil affirmait immédiatement son identité. C'était une grande fille maigre, anguleuse, marchant avec une régularité et une roideur d'automate; instinctivement on évitait ses coudes, qui semblaient toujours près de percer ses manches; de chaque côté de son visage aux pommettes saillantes, de longues boucles couleur de feu pendaient comme deux branches de saule. Un chapeau d'été en paille brune, affectant vaguement la forme d'un saladier renversé, surmontait, comme un dôme, cette disgracieuse anatomie. Le coeur de M. de Férias se serra:

      – Vraiment, murmura-t-il, de Vergnes est bien coupable!

      Cependant, lorsqu'il se fut approché de la pauvre miss O'Neil, il vit briller dans son oeil d'un bleu pâle une clarté pareille à celle qui tombe des étoiles, si pure, si honnête, si tendre, en même temps si triste, qu'il en fut soudain ému et à demi conquis. Miss O'Neil, que la conscience de son malheureux extérieur rendait timide, répondit aux compliments courtois du vieux marquis avec un peu de gaucherie, mais en bons termes, sobres et convenables. Sa voix était d'une douceur musicale. M. de Férias commençait à croire, comme M. de Vergnes, que la personne pouvait être un ange, bien que ses ailes fussent effectivement peu apparentes. Il la fit asseoir à ses côtés dans sa voiture, qui prit le chemin de Férias, et il ne différa pas un instant de l'éclairer sur le caractère du jeune esprit dont la direction allait lui être livrée. L'Irlandaise l'écouta religieusement sans l'interrompre jusqu'à ce qu'il eût terminé son discours par un bref résumé de ses principes an matière d'éducation.

      – Monsieur, dit alors miss O'Neil, je vois ce qu'est l'enfant, et je suis heureuse qu'elle soit ainsi. Quant à vos principes, ce sont exactement les miens. Développer et cultiver les dons naturels d'une intelligence, c'est un devoir et ce n'est jamais un danger, si l'on fait en sorte que l'idée de Dieu domine tout et sanctifie tout.

      Le marquis respira longuement sur cette phrase. Il secoua la tête à plusieurs reprises d'un air de satisfaction, et un nuage de poudre parfumée se répandit dans la voiture.

      – Ma chère miss O'Neil, reprit-il, je vous prierais maintenant, si je l'osais, de me conter votre histoire, sur laquelle je vous avoue que mon cousin de Vergnes m'a très-incomplétement renseigné; mais n'allez pas au moins, miss O'Neil, vous méprendre sur les motifs de mon indiscrétion: c'est uniquement au nom de l'intérêt dont vous m'avez tout de suite pénétré que je sollicite cette faveur de votre condescendance.

      On ne saurait dire combien l'affectueuse urbanité du vieux marquis parut à miss O'Neil chose nouvelle et savoureuse. Pauvre et laide jusqu'au ridicule, le monde, on le conçoit, ne l'avait point gâtée. Enveloppée sans cesse d'une atmosphère glaciale qui la contractait, toujours empesée, crispée et nerveuse comme une personne qui marche sous des regards malveillants et ironiques, elle avait beaucoup souffert dans sa fierté, qui était grande et légitime. Pour la première fois de sa vie, elle se sentit appréciée: ce beau vieillard lui parlait un langage qu'elle n'avait jamais espéré entendre que dans le ciel, de la bouche des élus ses frères, uniquement épris de la beauté et de la splendeur morales. Profitant de l'obscurité, elle laissa glisser de sa paupière deux larmes qu'elle essuya du bout de son gant de soie noire; puis elle conta brièvement son histoire, qui était d'ailleurs fort simple. Le seul point sur lequel elle insista fut l'antique origine de sa famille: elle descendait des anciens rois d'Irlande, qui n'étaient à la vérité, ajoutait-elle, que des chefs de clan; mais enfin un de ses ancêtres, Fergus le Roux, figurait authentiquement au nombre de ces chefs irlandais auxquels le prince Jean Plantagenet (dont miss O'Neil ne prononçait le nom qu'avec une amertume dédaigneuse) avait eu l'indécence de tirer la barbe dans une cérémonie publique. Le père de miss O'Neil lui avait laissé une fortune assez ronde; mais elle avait deux frères qui n'avaient pas apporté dans l'administration de leur bien toute la prudence désirable. M. de Férias comprit que l'héritage de miss O'Neil s'était englouti bénévolement dans les désordres fraternels. Au surplus, les fonctions auxquelles elle avait dû se consacrer lui plaisaient extrêmement et lui avaient donné tout le bonheur possible, jusqu'au jour où elle avait dû quitter son élève; mais ce jour lui avait déchiré le coeur. Elle avait offert de demeurer auprès de la jeune personne à des conditions qui lui répugnaient un peu, mais qu'elle croyait acceptables (en qualité de femme de chambre probablement, la pauvre fille!); la famille s'y était refusée pour des raisons de convenance dont elle-même reconnaissait d'ailleurs la valeur.

      – Miss Augusta, dit la marquis, permettez-moi de vous affirmer que vous n'aurez jamais à craindre dans ma maison un pareil déchirement. Tant que je vivrai, ma chère miss O'Neil, vous vivrez sous mon toit, et je me tromperais étrangement sur les sentiments de ma petite-fille, si elle ne faisait pas honneur, après moi, à la recommandation formelle que je compte lui laisser à cet égard.

      Miss Augusta ne put que murmurer un remercîment indistinct; mais elle passa de nouveau son gant de soie noire sur sa joue osseuse.

      Ce fut sur ce pied d'heureuse intelligence que M. de Férias et miss O'Neil descendirent de voiture dans la cour du château. Peu d'instants après, la marquise, que son mari avait eu soin de prémunir, par deux mots de préface, contre l'impression du premier coup d'oeil, complétait le ravissement de l'Irlandaise par la tendre bienveillance de son accueil. Il était tard. On introduisit à petit bruit miss O'Neil dans la chambre de Sibylle, qui dormait dans ses rideaux blancs, un bras replié sous sa tête et perdu dans ses boucles soyeuses, avec la grâce que son âge charmant porte jusque dans le sommeil. La nourrice approcha une lampe, et miss O'Neil contempla longtemps sans parler l'enfant immobile et dont le souffle même semblait suspendu, tandis que la marquis et la marquise se penchaient derrière elle, le visage empreint d'un sourire d'extase. A un mouvement soudain que fit Sibylle, miss O'Neil posa un doigt sur ses lèvres, recula discrètement de quelques pas, et, montrant aux deux vieillards attentifs son oeil humide et rayonnant:

      – C'est un archange, dit-elle d'un ton de mystère; je l'adore!

      Installée aussitôt dans un appartement voisin avec une ampleur et des raffinements auxquels elle avait été peu accoutumée, la descendante de Fergus le Roux, malgré la fatigue du voyage, demeura éveillée une bonne partie de la nuit, promenant un regard attendri sur les grandes tapisseries à personnages qui l'entouraient: c'étaient, dans des bocages élyséens, des bergers en culottes courtes et des bergères à paniers, qui paraissaient heureux, mais qui l'étaient assurément moins que miss O'Neil. Il est désolant de penser qu'au moment même où l'honnête créature prenait si délicieusement possession de ce paradis, l'épée flamboyante, toute prête à l'en chasser, planait déjà sur sa tête.

      Le lendemain matin, madame de Férias, après un entretien qui la fortifia dans tous les sentiments qu'elle avait déjà voués à miss O'Neil sur la parole de son mari, alla présenter l'institutrice à son élève. Sibylle, qui avait, à un degré rare pour son âge, le discernement de l'harmonie et de la beauté, considéra d'abord miss O'Neil avec inquiétude et répondit froidement à ses avances, en personne mal édifiée par les circonstances extérieures et qui réserve son jugement. La marquise les laissa ensemble pour qu'elles fissent connaissance plus commodément, et descendit au salon. Elle y trouva M. de Férias contant les mérites de miss O'Neil à l'abbé Renaud et à madame de Beaumesnil, que l'importance de l'événement avait attirés tous deux au château dès l'aurore.

      – Eh bien, ma chère? dit le marquis.

      – Eh bien, mon ami, autant que je suis capable d'en СКАЧАТЬ